En 2021, plus de 28 000 migrants ont traversé la Manche à bord d’embarcations de fortune pour rejoindre le Royaume-Uni, soit trois fois plus qu’en 2020. Malgré l’augmentation du nombre de personnes risquant leur vie et de personnes ayant perdu la vie en tentant de traverser la frontière franco-britannique, le parcours et les conditions de vie actuelles des migrant.es restent méconnus par la plupart des français.es. Si la population civile est généralement informée du démantèlement de la Jungle de Calais en 2016, elle semble moins consciente des violations encore en cours des droits humains des migrant.es dans les camps de fortune présents à Calais et à Grande-Synthe.
Dans un tel contexte, mêlant désinformations du fait des enjeux électoraux et mise en silence de la part des médias, il nous a semblé important de nous rendre à Calais et à Grande-Synthe pour comprendre la situation des personnes exilées. En effet, convaincu.es que les meilleures informations sont celles recueillies à la source, nous bâtissons nos actions sur des études de terrain approfondies, en allant à la rencontre des acteur.ices des crises en France et à l’international et en recueillant des témoignages et des récits de vie. Cette année, nous avons choisi Calais pour démontrer qu’il existe aussi en France des situations de crise humanitaire qui demeurent préoccupantes malgré le silence dont elles font l’objet.
Notre équipe, composée de 7 bénévoles, est ainsi partie 8 jours dans le Nord de la France pour observer, réaliser des entretiens et collecter des informations dans le but de rendre compte de la situation et de permettre de sensibiliser, notamment, un public étudiant puis le grand public, via un retour d’expérience. Notre équipe, grâce à l’aide d’autres bénévoles de l’association, a ainsi rencontré lors de cette semaine près d’une quinzaine d’acteur.ices sur place à Calais et à Grande-Synthe. La diversité des acteur.ices rencontré.es nous a permis de nous rendre compte de la situation des personnes exilées à Calais et à Grande-Synthe à travers différents prismes (humanitaire, médiatique, politique…) et thématiques (sécurité alimentaire, genre, enfance, droit d’asile, accès à l’eau et conditions d’hygiène, accès aux
soins, etc.).
Afin de couvrir le mieux possible ces thématiques et de rencontrer le plus d'acteur.ices possibles, nous nous sommes divisés en deux équipes sur le terrain. Voici le planning de notre semaine :
- Samedi 16 et Dimanche 17 : Nous sommes parti.es le samedi à 10h30 d’Aix-en-Provence, pour arriver aux alentours de 21h à Peuplingues, à côté de Calais. La journée du dimanche était réservée à la planification de la semaine, à l’élaboration des questions pour nos entretiens et à des discussions relatives à nos attentes sur cette étude de terrain.
- Lundi 18 : Le matin, 3 bénévoles ont rencontré l’association SALAM de Grande-Synthe pour réaliser distribution alimentaire sur les camps, et le reste de l’équipe est partie à la rencontre des habitant.es de Calais pour réaliser un micro-trottoir. L’après-midi, les bénévoles sont restés avec l’association SALAM tandis que le reste de l’équipe est allé faire une rencontre avec plusieurs ONG pour comprendre et débattre de la situation des migrant.es à Calais et Grande-Synthe. Les associations présentes étaient Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s, Secours Catholique, Refugee Info Bus et Utopia 56.
- Mardi 19 : Le matin, 4 bénévoles ont rencontré le journaliste Edouard Odièvre, alors que les 3 autres bénévoles qui n’avaient pas pu réaliser de distribution alimentaire la veille ont rencontré l’association SALAM de Grande-Synthe. L’après-midi, les bénévoles en distribution sont restés avec SALAM, et les autres membres de l’équipe ont rejoint l’association WoodYard. Toute l’équipe s’est retrouvée en fin d’après-midi pour rencontrer une civile ayant des connaissances plus juridiques sur la situation dans le Nord de la France.
- Mercredi 20 : Le matin, 4 bénévoles ont rencontré Soeur Braillon, une religieuse engagée auprès du Secours Catholique, tandis que les autres ont rencontré les bénévoles de Calais Food Collective pour préparer des colis alimentaires. L’après-midi, 2 bénévoles sont partis sur le terrain aider Refugee Info Bus, et les autres bénévoles ont rencontré l’association Mosaic. En fin de journée, l’équipe a été invitée par le Secours Catholique à rompre le jeûne avec les personnes exilées.
- Jeudi 21 : Le matin, 3 bénévoles ont discuté avec le coordinateur de l’Auberge des Migrants, association parapluie qui regroupe plusieurs ONG dans un hangar. L’autre partie de l’équipe est allée assister à des audiences judiciaires publiques visant des personnes exilées. L’après-midi, 5 bénévoles sont partis à la rencontre des habitant.es de Grande-Synthe pour obtenir le ressenti des locaux sur la situation des exilé.es, tandis que 2 autres bénévoles ont essayé de rencontrer des autorités publiques et policières pour obtenir également leur avis (en vain).
- Vendredi 22 : Toute la journée, 5 bénévoles sont partis en mission dans les locaux de l’association Care4Calais. Dans le même temps, les 2 autres membres de l’équipe ont rencontré une bénévole du Refugee Women’s Centre pour discuter de la problématique du genre dans la migration. Le soir et la nuit, 2 bénévoles ont pu partir en mission dans les camps avec Utopia 56.
- Samedi 23 : Nous sommes parti.es à 9h30 de Peuplingues pour arriver en début de soirée à Aix-en-Provence.
En bilan, cette étude de terrain a eu un fort impact sur les 7 bénévoles qui ont pu participer directement à l’étude de terrain. Grâce à ce projet, nous avons pu apprendre grandement sur la situation des personnes exilé.es dans le littoral Nord, mais nous avons pu aussi cerner les enjeux humanitaires et politiques qui expliquent la complexité de ce contexte. Parmi les principaux enjeux identifiés lors de notre étude, nous pouvons citer :
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Une politique aux frontières françaises rendant les conditions de vie des migrant.es très précaire : démantèlements toutes les 48h, destructions des ressources primaires, violences policières…
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Une politique migratoire européenne lacunaire et dysfonctionnelle (Schengen), au détriment de la dignité des personnes exilées
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Les activités des associations sur place obstruées : arrêtés interdisant les distributions alimentaires, amendes à répétition contre les bénévoles, tensions avec la police…
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Les conditions de vie désastreuses des migrant.es : les besoins restent trop importants malgré l’aide humanitaire déjà présente, et la traversée de la Manche est trop dangereuse
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Des traumatismes psychologiques à répétition : les migrant.es arrivé.es à Calais et à Grande-Synthe ont vécu.es de nombreux traumatismes pour arriver en France, ce qui continue de s’aggraver avec le traitement dans les camps par la politique aux frontières et aux tensions pouvant exister dans les camps (qui deviennent des micro-villages, composés de nombreuses origines)
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L’invisibilisation de la situation par les médias et les politiques locales, malgré la persistance de la violation des droits humains des exilé.es et l’existence d’une préoccupation sur les conditions de vie des migrant.es par la population locale
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La présence forte d’organisations non gouvernementales ayant des convictions, des modes d’actions et des financements très différents ce qui peut parfois amener à un manque d’efficacité et de crédibilité sur le terrain
A partir de la diversité des points de vue que nous avons pu obtenir, chaque bénévole a pu construire une réflexion critique sur ce qu’il ou elle a pu voir et entendre lors de cette semaine. Si un ressenti général de révolte se dessine à travers l’équipe, nos différentes rencontres et discussions nous ont motivé à analyser les problématiques que nous dégageons de cette semaine. L’impact sur notre équipe est d’autant plus fort que nous avons pu réaliser de réelles activités humanitaires, constituant une grande opportunité dans nos futures carrières.
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Reesah tient particulièrement à remercier :
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Toutes les associations et journalistes nommé.es ci-dessus, pour avoir accepté de nous rencontrer pendant notre séjour ;
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La population calaisienne et grand-synthoise, pour avoir accepté de nous livrer leur ressenti sur cette crise humanitaire ;
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Le Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE) de l'Université d'Aix-Marseille, pour son aide indispensable à la réalisation de ce projet. C'est grâce à sa confiance et son soutien que l'équipe a pu mener à bien son travail ;
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Toutes les personnes qui ont participé à notre cagnotte de crowdfunding, pour leur aide financière ;
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Toutes et tous les bénévoles de notre association, qui nous ont aidé à construire ce projet.
CALAIS ET GRANDE-SYNTHE, LE BILAN DE L’ÉQUIPE SUR LE PROJET
Photographies du projet
© Louis Courtier