« Sans solution politique, nous verrons le Yémen disparaître sous nos yeux ». Ces paroles de l’ambassadeur Jürgen Schultz, représentant permanent de l’Allemagne auprès de l’Organisation des Nations Unies (ONU), font écho au nouveau rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) publié le 26 septembre 2019. Cette étude alarme sur la situation du Yémen, qui deviendrait le pays le plus pauvre du monde si le conflit perdure jusqu’en 2022. Néanmoins, ce conflit ne désemplit pas et avait déjà fait l’objet d’un article par Reesah en décembre 2017. Deux ans plus tard, la qualification de « pire crise humanitaire du monde » semble toujours d’actualité.
Le Yémen peut-il réellement devenir le pays le plus pauvre du monde ?
Pour comprendre ce déclin, il faut remonter au début du conflit. À l’origine, le Yémen était divisé en deux parties qui ont fusionné en 1990. L’État central peinait à imposer son contrôle sur l’ensemble du territoire, entrainant l’apparition de revendications sécessionnistes au sud et la rébellion d’un mouvement armé au nord. Cette rébellion est celle des Houthis, du nom de son fondateur et principal leader Hussein Al-Houthi, qui a été tué en 2004 lors d’une confrontation armée avec l’État central. C’est lors des printemps arabes de 2011 que des révoltes populaires ont éclaté et ont contraint le Président Ali Abdullah Saleh à quitter ses fonctions après 33 ans au pouvoir. Son vice-président, Abd Rabbu Mansour Hadi, lui a succédé. Afin de donner suite aux revendications des manifestations de 2011, un nouveau projet a vu le jour divisant le Yémen en plusieurs régions. Cette répartition a été jugée inégalitaire puisque ne prenant pas en compte certains critères tels que l’accès aux ports ou encore la réparation des ressources naturelles, ce qui a provoqué une forte opposition notamment au niveau des Houthis. En septembre 2014, ils sont parvenus à s’emparer de la capitale Sana’a, ce qui a accru leur pouvoir et ainsi, a marqué le début du conflit actuel. En janvier 2015, les Houthis prennent le pouvoir. Dans les semaines qui suivent, le Président Hadi s’exile à Riyad, en Arabie Saoudite, laissant ainsi les Houthis contrôler l’ouest du pays. L’Arabie Saoudite lance alors l’opération « tempête décisive » en coalition avec 9 pays arabes pour lutter contre la rébellion. Cette coalition marque une autre opposition, cette fois entre deux branches de l’islam : les sunnites et les chiites. L’Arabie Saoudite est un pays sunnite tandis que les Houthis sont majoritairement chiites. Ce pays du Moyen-Orient, connu pour être le berceau de l’Islam, cherche à stopper l’influence de l’Iran, également chiite, sur la rébellion houthiste. Cette opposition peut également expliquer la motivation de Mohammed ben Salmane, prince héritier saoudien et vice-premier ministre, pour avoir initié le conflit. Cependant, son ampleur était difficilement anticipable. En effet, les Houthis, ayant été alliés à la garde républicaine de l’ancien Président Saleh, sont parvenus à mettre la main sur un important stock de matériel militaire. Ils sont, encore actuellement, en mesure de rivaliser contre la coalition et ainsi d’être toujours au cœur du conflit cinq ans après. Ce conflit a entrainé l’effondrement d’un État, en emportant avec lui la vie de milliers de Yéménites. Toutefois, il est difficile de connaître le nombre exact de victimes en raison des diverses causes de mortalité des civils : lors des combats, avec les frappes aériennes et les opérations militaires, ou suite aux difficultés humanitaires. En juillet 2019, l’Oxfam estimait que 80% de la population avait besoin d’assistance humanitaire, soit 24 millions de personnes. L’ONU a estimé qu’en 2019, 16 millions de Yéménites n’avaient pas accès à l’eau potable, paralysant la lutte contre les épidémies de choléra. Cependant, l’assistance humanitaire est très difficile, voire impossible, à mettre en place en raison du blocus aérien et maritime imposé par la coalition militaire depuis 2017. Ce blocus vise la plupart des ports maritimes, des aéroports et des accès terrestres, entravant l’approvisionnement en nourriture, carburant, médicaments et autres marchandises. Pour Wafa’a Al-Saidy, pharmacienne yéménite chargée de la coordination de l’action humanitaire de Médecins du Monde au Yémen, « l’aide humanitaire ne peut remplacer la paix. Le blocus prend la vie du peuple ! ». Le Yémen importait déjà 80% de ces denrées avant le début du conflit, le pays se retrouve donc livré à lui même. Des millions de Yéménites se retrouvent exposés aux maladies et à la faim, et avec un accès aux soins de plus en plus limité. La coalition fait de la famine une arme de guerre afin de faire plier les Houthis, ce qui constitue une violation du droit international humanitaire. Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la même position dans une résolution 2417, dans laquelle il condamne le recours à la famine et les refus d’accès humanitaire. L’étude du PNUD de septembre 2019 souligne que le taux de pauvreté est passé de 47% en 2014 à 75% en 2019. La situation est d’autant plus critique que l’avenir est sombre pour les Yéménites ; l’étude estime qu’en 2022, 79% de la population vivra sous le seuil de pauvreté et 65% dans une pauvreté extrême. Néanmoins, il est possible d’entrevoir une lueur d’espoir pour les millions de Yéménites qui subissent quotidiennement ce conflit. Le 5 novembre 2019, le gouvernement yéménite et le Conseil de transition du Sud ont signé l’ « accord de Riyad » visant à parvenir à un règlement pacifique du conflit. Ce Conseil est une autorité gouvernementale rebelle de transition proclamée en 2017 et non reconnue par la communauté internationale. Il se revendique comme représentant les intérêts de la population du Yémen du Sud, notamment dans leur désir d’indépendance. Le vice-président du Conseil, Hani Ben Brik, a considéré que l’accord de Riyad est « une victoire pour tous », y compris pour la coalition menée par l’Arabie saoudite. Cette même coalition a annoncé ce 26 novembre que 200 rebelles yéménites Houthis allaient être libérés, un premier pas tendant vers l'apaisement de la situation ? Il ne reste qu’à voir si cet accord tiendra ses promesses et qu’une issue pacifique imminente au conflit sera possible.
Marie Thomas
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