Depuis plusieurs années, le Cameroun fait face à de multiples problématiques d’insécurité. La présence de Boko Haram à l’extrême nord du pays ainsi que la crise récente dans les régions anglophones, situées au Nord-Ouest et Sud-Ouest, accentuent l’instabilité.
Le conflit, qui a débuté fin 2016, prend ses origines dans un mouvement contestataire de la minorité anglophone. Elle proteste contre l’aliénation croissante de l’anglais dans le système éducatif et juridique. Ces manifestations pacifistes se sont transformées en revendications plus largescontre la marginalisation de la minorité anglophone (qui représente 1/5e de la population au Cameroun) et le manque de reconnaissance systématique du bilinguisme et de leur culture. L’ONG Amnesty International, dans un rapport publié en 2018, fait état de la « tournure tragique » des événements et met en lumière les atteintes aux droits de l’Homme perpétrées par les forces armées camerounaises et les milices séparatistes anglophones depuis le début de la crise. De leur côté, les ONG et instances internationales interpellent sur la situation de centaines de milliers d’habitants des régions anglophones, qui ont été obligés de se déplacer à travers le pays ou de se réfugier au Nigéria, pays anglophone voisin.
Les origines historiques du conflit
Maître de conférences à l’Université de Valenciennes et à l’Université de Yaoundé au Cameroun, Bouopda Pierre Kamé s’est intéressé à la crise identitaire que traverse le pays et soutient qu’il s’agit d’une « crise politique majeure dont les racines sont anciennes et profondes ».
Le « Kamerun », ancienne colonie allemande, a été divisé par la Société des Nations à la suite de la Première Guerre mondiale. Le territoire a ensuite été réparti entre le Royaume-Uni (partie occidentale 20%) et la France (partie orientale 80%) qui ont administré les territoires de façon distincte. Le Cameroun francophone prend son indépendance en 1960 et le Cameroun anglophone en 1961. Le 1er octobre 1961, ces deux territoires ne forment plus qu’une seule et même entité, et la République fédérale du Cameroun est créée. Elle deviendra, le 20 mai 1972, la République unie du Cameroun avec une Constitution qui déclare que les deux langues officielles sont le français et l’anglais. Toutefois, le fédéralisme, qui devait permettre l’unité nationale, a conduit à une désinstitutionnalisation de l’héritage anglophone. Dès les années 1980, des dirigeants politiques anglophones ont protesté contre cet effacement institutionnel et l’aliénation de leur culture. La crise actuelle n’est que le reflet de problématiques anciennes liées à la place de cette minorité dans le pays.
D’une crise sociopolitique à un conflit armé La crise sociopolitique amorcée par des manifestations d’avocats, d’enseignants et des étudiants à la fin de l’année 2016 s’est muée fin 2017 en véritable conflit armé opposant le gouvernement de Paul Biya, actuel président du Cameroun (réélu pour un 7emandat en 2018), et des groupes armés séparatistes anglophones qui souhaitent l’indépendance de la région. Les premiers soulèvements, pour la plupart pacifistes, ont été violemment réprimés par les forces de sécurité camerounaise et ont résulté en l’arrestation d’une centaine de personnes. Le 1eroctobre 2017, une déclaration d’indépendance de la zone anglophone est proclamée par des séparatistes et le territoire est nommé « Ambazonie ». La répression violente qui a suivie, exercée par le gouvernement, a participé à l’enlisement du conflit. Les insurrections et les représailles se sont multipliées ; plusieurs groupes armés séparatistes anglophones se sont alors développés. Selon Crisis Group, sept milices armées auraient été formées depuis le début du conflit, comptant entre 2000 et 4000 combattants. Elles recrutent surtout parmi les civils anglophones, mais aussi au sein des forces de sécurité, et comptent dans leurs rangs des dizaines de mercenaires nigérians. L’ADF (Ambazonia Defense Forces), un des groupes armés le plus importants, a été l’auteur de nombreuses attaques contre l’armée, la police et la gendarmerie, mais également d’enlèvements ou de meurtres de représentants politiques. Depuis 2018, les milices armées ont progressivement pris le contrôle d’une partie du territoire anglophone et ont attaqué des villes importantes de la zone comme Buea (Sud-Ouest) et Bamenda (Nord-Ouest). Les ONG Human Rights Watch et Amnesty International ont également mis en avant les attaques par les forces du gouvernement qui ont brûlé des villages entiers de la zone anglophone et ont torturé de nombreux civils. Toutefois, le gouvernement nie ces allégations de violations des droits de l’Homme et du droit humanitaire. Malgré un bilan difficile à quantifier, les affrontements auraient fait depuis septembre 2017 plus de 3000 morts.
L’impact sur la population
Actuellement, le Cameroun fait face à une crise sécuritaire et humanitaire de grande envergure dont les premiers touchés sont les habitants des régions anglophones. Depuis le début du conflit, Crisis Group rapporte le déplacement de plus de 530 000 personnes à travers le pays et plus de 45 000 réfugiés dont 35 000 au Nigéria voisin, ainsi que des dizaines de milliers vers les pays occidentaux. L’impact est considérable. La majorité des écoles ont été fermées par les groupes séparatistes, action revendiquée comme un moyen de contestation de la marginalisation anglophone. Pour Crisis Group,« si le conflit perdure, cela risque d’engendrer un problème plus grave encore : celui d’une génération ayant grandi dans la haine du Cameroun, qui pourrait constituer l’ossature de groupes armés futurs ». En deux ans, 170 villages ont été détruits et l’économie locale, qui représente environ un cinquième du PIB du pays, est sinistrée. De plus, les exactions commises sont particulièrement importantes depuis le début du conflit. Amnesty International rapporte des faits de violations des droits de l’Homme dans les deux camps. Les forces de sécurité se sont rendues responsables d'arrestations arbitraires, d'homicides illégaux et de l'incendie de plusieurs dizaines de villages. Des groupes séparatistes armés ont fait preuve d'actes de violence incluant le meurtre de membres des forces de sécurité et de civils, l'enlèvement de représentants de l'État, d'étudiants et d'enseignants, et la destruction d'écoles, de gendarmeries, de postes de police et de véhicules de l'armée. Quel avenir pour le conflit ? La question du dialogue national Pour le gouvernement de Paul Biya, remettre en question la forme de l’État est impossible. Cependant, certains séparatistes se montrent intransigeants quant à l’indépendance de la zone anglophone. La difficulté d’un accord entre les différents camps et l’enlisement du conflit inquiète la communauté internationale. L’Union africaine ainsi que de nombreux acteurs internationaux ont appelé à un dialogue national. En réponse, un « Grand débat national » a été organisé pendant 5 jours en octobre 2019. Il s’agissait notamment de s’interroger sur le bilinguisme, la diversité culturelle et la cohésion sociale. Les groupes séparatistes ont tous décliné l’invitation au dialogue. Les représentants anglophones présents sont revenus sur la nécessité d’un véritable fédéralisme ou d’une décentralisation effective. Ainsi, les régions seraient autonomes et auraient un financement adéquat, et les spécificités anglophones en matière judiciaire et éducative seraient respectées. Cependant, le gouvernement camerounais semble toujours exclure le fédéralisme. À suivre…
Blandine Maltese
Comments