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  • Mathis Coggiola

« DIS VIVE LA FRANCE ET FERME TA GUEULE » : CHRONIQUES D’UNE MARAUDE ORDINAIRE

Dernière mise à jour : 17 oct. 2022


A l’unité locale de la Croix-Rouge d’Aix-en-Provence, il est 19h. Les thermos de café sont chargés dans la camionnette, les vestes sont enfilées, l’équipe est au complet. La soirée débute pour René*, bénévole et senior de cette mission, Clarisse* et Faustine* également bénévoles, ainsi que Dylan, étudiant en droit membre de REESAH, tout comme moi.


Je monte à l’avant, entre René et Clarisse, tandis que Dylan et Faustine vont faire le tour des boulangeries pour collecter les invendus. J’apprends à connaître mes collègues avec qui je vais partager plusieurs heures.


On entame notre route, direction le Novotel. Là-bas, le majordome nous ouvre. L’hôtel est désert, on rejoint les cuisines tout aussi désertes, où nous attend sur le feu une soupe encore en train de bouillir. On la charge avant de se rendre à la gare routière, lieu de rendez-vous pour les personnes nécessitant un hébergement d’urgence. Neuf personnes, tous des hommes, nous attendent, pour certains éméchés mais tous cordiaux. Le Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale Henri Dunant (CHRS) sera ric-rac encore une fois ce soir-là. Treize places sont allouées à la Croix-Rouge, soit quatre de disponibles pour notre tournée en soustrayant les neuf qui ont appelé au préalable pour réserver. Leur hébergement dans ce centre ne pourra être que succinct, pas plus de quelques jours, au maximum quinze jours pour des cas bien particuliers. Dans la camionnette, c’est le jerk de Thierry Hazard qui met l’ambiance. René a pour radio de prédilection Nostalgie qui rythmera toute la soirée.

My friend David didn’t call, can he come?” prononce soudain un des occupants de la camionnette, l’air inquiet. Notre réponse par l’affirmative le rassure, il pourra retrouver son ami dans quelques instants. Les places pour le centre d’hébergement s’amenuisent.


On retrouve Dylan et Faustine au centre : ils ont déjà commencé à servir les résidents. Les stocks de nourriture sont particulièrement importants ce soir-là, c’est un buffet de luxe avec plusieurs dizaines de sandwichs, de quiches, de parts de pizza, de la soupe, et tout un tas de viennoiseries et pâtisseries. Dylan, ayant quelques maraudes à son actif, fait remarquer que c’est très rarement le cas, les résidents ont davantage l’occasion de déguster les sandwichs au kiri préparés par les bénévoles de la Croix-Rouge. Cette abondance de nourriture permet à tout le monde de manger à sa faim, quels que soient les préférences alimentaires de chacun. Il nous reste une quantité démesurée de viennoiseries et pâtisseries, le sucré n’attire finalement que très peu les sans-abris.


On récupère la nourriture pour la maraude, lorsqu’un résident nous interpelle. Il souhaiterait prendre la tarte aux framboises en entier, après avoir déjà reçu un repas complet. René hésite mais ne lui donne qu’un quart pour éviter tout gâchis.


Pas le temps de s’attarder plus longtemps, le tour de la ville commence. Clarisse vérifie dans le carnet de la camionnette les entrées des jours précédents, indiquant le lieu et l’heure où les précédents bénévoles ont rencontré des personnes sans-abri. Elle établit le parcours de la soirée en se concentrant uniquement sur le centre d’Aix, comme toujours. J’active le gyrophare qui permet aux sans-abris de nous repérer, et René met le contact. En sortant du centre, il frôle les arbres et dit à Clarisse : « Tu es passée cyprès ».Des éclats de rire dans la camionnette, Clarisse nous prévient à raison qu’on subira les boutades de René tout du long.


Notre premier arrêt se fait sur le parking d’un gymnase voisin. Quelques coups de klaxon pour annoncer notre venue au camping-car garé là depuis plusieurs mois déjà. Tandis que Faustine, Clarisse, et Dylan prennent soin de ses occupants, je pars en reconnaissance avec René. Il a repéré sur la route une cabane, un squat fait de cartons à l’arrière du gymnase. Des bouteilles d’eau, un lit, mais personne à l’horizon. On aperçoit à l’intérieur deux équipes s’affronter et en repartant, une employée du club sportif vient à nous. Elle décrit un voisin cordial de longue date, avec qui elle n’a jamais eu de problèmes. René plaisante en lui demandant s’il ne serait pas dans les tribunes, au chaud. On retrouve l’équipe qui sert au choix café, thé, soupe, sandwichs, ou viennoiseries aux trois occupants du camping-car. Pas de salade à réchauffer, ils n’auront du gaz que lundi si tout va bien. On discute un peu, une jeune femme de 22 ans se plaint de douleurs au cœur mais il est trop compliqué d’aller consulter dans les hôpitaux voisins. Pas le temps de trop s’attarder néanmoins, nous devons déjà repartir.


Notre second arrêt est à la Gare SNCF, lieu très fréquenté par les sans-abris. A peine arrivé, nous sommes alpagués par deux individus. Dylan prépare leur repas, soupe et café pour chacun. On discute avec eux, écoute leur histoire. « Donnez-moi juste un pistolet et une balle » fait le Français en mimant son suicide d’un air accablé. L’Italien de son côté a vécu 5 ans en Sicile, 7 ans en Corse, il parle six langues et se désole d’être à la rue malgré tout. Il entend le Français se lamenter, et lui sort de nulle part un « Sprichst du Deutsch?? ». La conversation s’engage entre les deux. L’Italien lui demande s’il est vacciné, l’autre lui rétorque que jamais il ne le sera. Très vite, le ton monte. « C’est la France qui te nourrit, respecte-là, va te faire vacciner. Dis vive la France et ferme ta gueule ». Les individus se rapprochent sans en venir aux mains. Une dame chargée de sacs arrive au même moment, discrète. Elle demande une soupe puis repart aussitôt. Les échauffourées continuant, on se dépêche de les servir pour partir. Le mot d’ordre en cas de conflit est de rentrer dans la camionnette, puis éventuellement d’appeler la police, voire la BAC comme a déjà dû le faire Clarisse. Il n’est pas question de jouer les héros, René plaisantait juste avant sur la présence d’un Taser dans la boîte à gants en cas de complication. L’Histoire ne dira pas si j’y ai cru ou non.


On repart, direction les Allées provençales. On y traverse le marché des villes jumelles, mais sans trouver personne, ce qui est plutôt rare. On ressort rapidement, sous un torrent de grêle. Le 115 nous appelle pour nous indiquer que quatre individus voudraient un repas au Parc Jourdan. Ça tombe bien c’était notre prochain arrêt, on y sera dans 2 minutes. Plus rapide qu’un Deliveroo ! Là-bas, j’y sers le café et les sacs de nourriture tandis que les sans-abris discutent avec mes collègues.


Clarisse a repéré sur le carnet qu’un habitué que les bénévoles connaissent bien traînait ces derniers jours aux alentours de la piscine Yves Blanc, on s’y rend. On se place au milieu du parking en espérant le voir. Il est 22h30, Clarisse en profite pour appeler le 115 afin de lui confirmer le nom de chacun des sans-abris hébergés au CHRS. Il est en effet extrêmement rare qu’un nouveau sans-abri demande une place à cette heure, ils dorment déjà tous probablement ou refuseront d’être déplacés. Les minutes passent, l’habitué ne vient pas. On se décide à repartir quand il apparaît soudain. Il nous a aperçu sur le boulevard grâce au gyrophare et a couru pour rejoindre la piscine. René descend à la hâte pour lui servir le café, quand la camionnette se met brusquement à reculer. Le frein à main n’était pas enclenché. Heureusement on s’en rend compte suffisamment vite pour éviter la casse ou des blessés. On repart pour le fameux tour en centre-ville, Faustine est ravie à l’idée de voir les illuminations. N’habitant pas Aix, elle n’aurait autrement pas eu le temps d’aller y faire un tour. A la Rotonde, Clarisse me dit de compter le nombre de bornes. Elle doit descendre tous les cinquante mètres pour demander qu’on nous ouvre. Trois, quatre, cinq, j’arrête de compter. Autant de protections pour nous empêcher de pénétrer dans l’hypercentre, où la camionnette fait l’objet de regards circonspects et interrogateurs. « Je me demande à quoi ils pensent en nous voyant, certains sont pour, mais d’autres sont certainement contre nos actions » se questionne Clarisse.


On remonte le Cours Mirabeau au pas, quand on aperçoit au loin à l’intérieur du stand de marrons un chien emmitouflé dans une couverture. On s’arrête et trouve un sans-abri avec ses trois chiens qui lui tiennent compagnie. KFC, Tenboy, et Nawak, ses fidèles compagnons. Il nous indique qu’il en avait quatre auparavant, mais Baloo a été tué à Marseille il y a deux mois, au cours d’une histoire de vol de sac dans le métro que j’avoue ne pas avoir entièrement saisie. La police et l’agent de sécurité du marché de Noël sont venus le voir quelques heures auparavant, l’autorisant à rester car il ne dérangeait personne. On lui donne un repas, une couverture, et des croquettes pour ses chiens avant de repartir.


On arpente les rues, inlassablement à la recherche de cabanes ou de sans-abris, en vain. On s’arrête place de la mairie, Faustine et René en profitent pour prendre des photos tout en discutant de la vie nocturne aixoise. En repartant vers le boulevard, on repère un individu sur le pas de la porte de Sciences Po. Mes collègues le connaissent bien. Ils ne l’avaient pas vu depuis longtemps, précisément depuis qu’il avait trouvé un travail et qu’il était parvenu à remonter la pente. C’est l’air désolé qu’on se présente à lui, on lui offre un sac rempli à ras bord de nourriture puisque c’est déjà la fin de notre tournée.


Sur le chemin du retour, René m’indique un endroit où il avait l’habitude il y a plusieurs années de nourrir en fin de service des travailleuses du sexe ghanéennes, jusqu’à ce que la crise du Covid n’arrive. Elles ont disparu, et elles ne sont pas les seules. Tout au long de la soirée le constat est le même : les sans-abris sont beaucoup moins nombreux aujourd’hui qu’ils ne l’étaient en période pré-crise. « Ils sont là quelque part, ils ne se sont pas volatilisés, il faut juste qu’on les trouve » nous dit René, là où Clarisse plus optimiste se dit que s’ils ont disparu, c’est peut-être qu’ils ont réussi à remonter la pente.


René me parle ensuite des étudiants REESAH. Ils ne peuvent venir que le week-end car en semaine les bénévoles sont accompagnés d’infirmiers ou de travailleurs sociaux chargés de la réinsertion des sans-abris. Il apprécie particulièrement de nous voir. Il regrette cependant parfois les maraudes avec ceux qui manquent d’implication et se contentent de discuter entre eux à l’arrière de la camionnette. Clarisse souligne qu’on doit prendre des initiatives, poser des questions, sans quoi la maraude n’a d’intérêt ni pour eux ni pour nous.


On passe alors par le CHRS où l’on dépose un peu de nourriture, principalement des viennoiseries pour le petit-déjeuner puisque les résidents devront quitter les lieux à 8h. On revient enfin à l’unité locale de la Croix-Rouge, enfin presque. Le portail refuse de s’ouvrir et René doit l’escalader pour l’ouvrir de l’intérieur. C’est l’heure du rangement du matériel, du nettoyage de la camionnette, et du tri de la nourriture. Minuit, c’est fini, et dire que c’était l’histoire de ma première maraude.


Mathis Coggiola


* Par souci d’anonymat pour les bénévoles de la Croix-Rouge, leurs prénoms ont été modifiés

Image © - Mathis Coggiola





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