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Photo du rédacteurMarie Moynier

MINORITE HAZARA FACE AUX TALIBANS : LE RECIT ENTRE SURVIE ET ESPOIR D'UN REFUGIE AFGHAN


Le mardi 5 mars 2024, RÉESAH a eu la chance d’accueillir F., réfugié afghan en France depuis la prise de pouvoir des Talibans en 2021, dans le cadre d’une conférence sous forme de questions-réponses avec l’auditoire. F. est issu de la minorité ethnique Hazara. Depuis longtemps soumis à des discriminations et des violences, les membres de la communauté Hazara sont de nouveau exposés à de graves risques pour leur vie depuis le retour des Talibans.


 

L'ethnie Hazara se tient sur une falaise grêlée de grottes où les gens vivent encore comme ils le faisaient il y a des siècles à Bamiyan, en Afghanistan, le 3 octobre 2021.

A propos des Hazaras

Présente en Afghanistan, en Iran et au Pakistan, l’origine de l’ethnie Hazara est assez débattue dans le monde académique. Selon un consensus minimum, elle serait issue des mouvements des peuples nomades Mongols entre le 13e et le 15e siècle.


Les Hazaras représentent la minorité chiite la plus importante d’Afghanistan. Dans cet État à majorité sunnite, les Hazaras ont toujours été une communauté opprimée, subissant une discrimination structurelle violente. Installée principalement dans la région de l’Hazara-jât, située au centre de l’Afghanistan, les Hazara ont longtemps préservé une « terre insoumise » comme l’explique Alessandro Monsutti, professeur au département d’anthropologie et de sociologie de l’Institut des hautes études internationales et du développement à Genève et spécialiste de l’ethnie hazara, dans une interview donnée au journal L’Orient-Le Jour. A la fin du 19e siècle, sous le règle de l’émir Abdul Rahman Khan, issu de la communauté Pachtoune, une campagne d’unification du pays est menée, se terminant en bain de sang pour les Hazaras : 60% de leur population est massacrée et les jeunes filles et garçons sont réduits à l’esclavage, notamment sexuel.


Depuis, les personnes issues de cette ethnie sont exposées à des violences et au racisme ordinaire. Les politiques étatiques ont mené à une exclusion totale dans les domaines de l’éducation et du développement agricole. Plus généralement, cette population subit un ostracisme dans la société afghane, subissant des expulsions de leurs terres, et faisant face à une impossibilité d’accéder à des postes de responsabilité. Leur persécution a continué au long du 20e siècle au cours de nombreux conflits internes, le paroxysme de la violence à leur encontre a été la prise de pouvoir par les Talibans en 1996 et ce, jusqu’à leur chute en 2001.


Ces 15 dernières années, les Hazaras ont lutté pour leur intégration dans la société afghane. La majorité des personnes diplômées dans le pays sont désormais issues des Hazaras, la Constitution de 2004 reconnaît parmi les langues officielles de l’État le Dari, leur langue traditionnelle, et leur existence en tant qu’ethnie faisant partie du peuple afghan. Bien que les avancées soient lentes et parfois seulement sur le papier, les conditions se sont améliorée pour ce peuple aux souffrances nombreuses. Dans les régions où vivent les Hazaras, par exemple dans la ville de Bâmiyân, leur communauté a été libre ces dernières années de vivre selon leurs us et coutumes. Karim Pakzad, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques, donne l’exemple dans un article de LaCroix, de la place des femmes dans cette ville où nombreux sont les Hazaras « les femmes ne sont pas restreintes, peuvent faire du vélo, avoir leurs propres associations, être chanteuses… ».


La violence les poursuis cependant. Les Hazaras sont ciblés par les groupes islamistes de la région. En 2020, plusieurs attentats sont menés contre la communauté : une attaque menée dans un maternité d’un quartier hazara de Kaboul fait une vingtaine de victime dont deux nourrissons, la même année, un attentat à la bombe a lieu dans une école, tuant 85 petites filles dont la majorité étaient hazaras. D’après AP News, en 2021 plus de 1200 personnes hazaras ont été assassinées par des attentats terroristes menés depuis 2015 qui visent principalement les enfants et les hôpitaux. Ces signes de volonté de destruction de leur groupe ethnique sont des actes de génocide affirme Gregory H. Stanton, président fondateur de Genocide Watch.


Du fait de leur appartenance à cette communauté, plusieurs personnes hazaras ont fui leur pays et tenté de trouver l’asile à l’étranger. Parmi eux, F. et sa famille tentent de sauver leur vie en quittant le pays durant l’été 2021 pour la France.


A propos de la conférence

Pendant la conférence, F. a répondu avec sincérité et parfois humour aux différentes questions sur son parcours d’exile et son quotidien aujourd’hui, à plus de 5000 km de sa maison.


Voici quelques extraits des échanges :


Comment avez-vous vécu votre parcours vous êtes-vous adapté à la culture française ?


« Je suis arrivé pendant la pandémie de Covid. J’ai passé un mois de quarantaine à Strasbourg dans un hôtel, avec plusieurs autres afghans. Ensuite je suis allé à Marseille où je vis depuis. Sur l’adaptation culturelle, je me souviens de quelques anecdotes qui m’ont marqué en arrivant. Déjà, en Afghanistan, on mange chaud et ici, j’avais l’impression que toute la nourriture était froide ! Et puis en France, vous vous serrez la main, même avec les femmes. Chez moi, les hommes se font une poignée de main et une bise, et les personnes proches se serrent dans les bras. J’ai essayé de comprendre la bise, mais tout le monde ne fait pas le même nombre ! Et vous ne commencez pas du même côté… »


Avez-vous un souvenir positif et un souvenir moins positif depuis que vous êtes arrivé que vous pourriez nous partager ?


« Ouf, la bureaucratie française… Non plus sérieusement, je pense qu’un de mes meilleurs souvenirs est de voir ma fille revenir de l’école la première fois qu’elle a pu y retourner. Je suis tellement heureux pour elle et pour ma femme, personne ne leur dit quoi faire, elles s’habillent comme elles le souhaitent, et font ce qu’elles veulent. Un  souvenir moins joyeux est mêlé à un heureux. Je venais de finir une tournée de mon spectacle de marionnettes avec des collègues français. On était dans le nord alors quelqu’un a dit « Allez, on rentre à la maison », et sur le coup, j’ai vu ma maison en Afghanistan, et j’ai réalisé que non, je ne rentrais pas à la maison. Ici, j’ai un peu la sensation d’être un colocataire, un invité. »


Quels sont vos espoirs et vos peurs par rapport à votre futur ?


« Je pense que ma première peur est de perdre mon statut de réfugié. Je suis terrifié à cette idée pour moi, et pour ma famille. Ce que j’espère le plus, c’est de pouvoir rentrer en Afghanistan. En fait je rêve du jour où je pourrai faire à nouveau mon spectacle de marionnette pour les enfants de Kaboul. Je voudrais leur raconter la vie des enfants en France, les différences et les points communs avec eux. Je voudrais leur parler de l’encouragement à créer et l’initiation à l’art qui existe dans les écoles ici. Par contre, j’ai très peur que ça ne puisse jamais arriver. J’ai peur que les Talibans restent au pouvoir et que ma famille et moi on ne puisse jamais rentrer chez nous. »


Peut-être pour conclure, pourquoi avez-vous choisi la France ?


« Chez moi en Afghanistan, j’ai travaillé à plusieurs reprises pour l’Institut culturel français, avec une délégation de l’UNICEF où travaillaient des français. Donc je connaissais déjà un petit peu la langue, la culture et des personnes avec qui je m’entendais bien. Et puis, j’adore les arts français et la place de la culture. »




Par Marie Moynier

Image © APF/Bulent Kilic


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