Ce lundi 28 novembre, RÉESAH a accueilli Murad Subay, un street-artiste originaire du Yémen. Murad a commencé à peindre à l'âge de 14 ans et a lancé sa première campagne de street art en 2012 juste après la révolution au Yémen. Depuis, il a lancé 11 campagnes, la dernière étant " Prison Blood " à Paris. Il a également remporté de multiples prix, comme le prix Art for Peace de la Fondation Veronesi, une fondation italienne qui récompense chaque année un artiste pour ses œuvres d'art favorisant la paix dans le monde. Au début du mois de novembre, il prononce un discours au Forum de la paix de Paris.
Murad Subay a toujours utilisé son art pour dénoncer la guerre au Yémen et les conditions de vie de la population, tout en évitant de prendre parti pour l'un des belligérants. Souvent comparé à Banksy, il invite néanmoins quiconque souhaite peindre à ses côtés dans la rue à participer à son œuvre.
Présentation de la conférence par Murad Subay, Aix-en-Provence 2022 ©RÉESAH
La conférence a débuté par la diffusion d'une courte vidéo réalisée par Abdurahman Hussain, présentant Murad et son travail sur le terrain. Cette vidéo nous a montré comment il travaille : sur des ruines, avec les gens, dans un Yémen qui a sombré dans la haine.
Puis Murad nous a décrit son travail, séparé en trois grandes périodes. Dans la première période, son objectif était d'inviter les gens à concevoir la campagne avec lui. Il a peint sur une grande ligne à Sanaa, séparant les pro et les anti-révolution. Il n'avait pas le droit de peindre partout et devait garder un bon contact avec les autorités pour avoir la permission de faire son art. Il n'y a plus d’État au Yémen et de fait, il faut désormais composer avec les hommes puissants.
Murad aime peindre dans des endroits où se trouvaient des slogans de haine pour les recouvrir d'art. Beaucoup de gens ont rejoint son mouvement, qu'ils ont appelé la « Revolution Colour ». Après cela, d'autres campagnes ont commencé. En 2012, « Revolution Walls » venait inciter la population à recouvrir les murs de la vielle, où même des soldats ont participé.
Une autre campagne a été vraiment significative : « The walls remember their faces », qui a duré de septembre 2012 à avril 2013 et portant sur les cas de disparition forcée. 800 visages de personnes portées disparues ont été peints dans 4 villes différentes - Sanaa, Ibb, Aden et Ta'izz - en travaillant avec des familles de proches disparus. Il a notamment vu l'obsession de ces familles pour vouloir les retrouver. Par exemple, il a pu rencontrer Mutah Aleyriani, un homme qui est revenu mais qui était disparu depuis 1982.
Ces personnes étaient d'origines diverses mais avaient en commun le fait d'annoncer publiquement leur opinion politique. Plus tard, Murad a perdu l'autorisation de peindre sur les murs des villes, mais une centaine de personnes ont protesté avec lui, le soutenant dans sa démarche. Il a donc été progressivement réhabilité.
Après cela, il a mené la campagne "12 hours" entre juillet 2013 et juin 2014, afin de dénoncer le recrutement d'enfants et la trahison. La campagne "Ruins" a suivi de septembre 2014 à mai 2018. Murad a commencé à peindre sur différents murs : hôpitaux, écoles, maisons....
Une pièce majeure qu'il a peinte en 2016 à Sanaa est Assassination Eye. Ce triptique représente une cible se rapprochant de plus en plus. Cela symbolise les événements et les pressions politiques qui sont arrivés à Murad, ses amis, des journalistes, d'autres opposants dissidents, etc.
Aussi, Murad a décrit "Family portrait", une œuvre d'art de 2015 qu'il a peinte après qu'une maison a été totalement détruite et que la famille à l'intérieur a été tuée. Il s'agit d'un cadre avec un portrait de famille et un corbeau au-dessus, qui symbolisent la mort, la guerre. L'artiste a rencontré le père, seul survivant, et nous a dit que c'était étrange de rencontrer une personne traumatisée. Il n'y avait aucun sentiment sur son visage.
Murad a présenté une grande partie de son travail séparément, nous avons donc pu voir qu'au cours de l'année, il est devenu de plus en plus politique, dénonçant la guerre. Un bon exemple est « Fuck War », une œuvre d'art qu'il a réalisée sur une ruine, montrant un guitariste avec une seule corde de guitare et le majeur gauche, assis sur un baril de TNT.
Il voulait aussi exprimer le traumatisme de son peuple, qui est maintenant totalement vide de sentiments à cause de toute la violence à laquelle il est exposé chaque jour. « Hollowed mother », peint en 2019 à Londres expose le traumatisme sévère pouvant affecter les victimes de la guerre : plus d'émotions, ni joie ni peine mais un état de vide intérieur, comme si les personnes avaient dépassé l'expression de leurs sentiments, de leur volonté de vivre.
En 2015, toujours animé par son désir de rencontrer des gens autour de l'art, Murad a créé l'Open day of Art, un événement annuel qui s'est produit non seulement au Yémen mais dans beaucoup d'autres endroits dans le monde : Madagascar, Paris, Séoul, Vérone etc....
Murad a ensuite quitté le Yémen en 2018 et a commencé à travailler en Europe, à Paris, Londres, Berlin... C'est important pour lui de montrer la guerre aux Européens qui souvent ne sont pas au fait de ce qui se passe au Yémen. Et parce que d'une certaine manière, beaucoup de gouvernements occidentaux prennent part aux conflits.
Ensuite, Murad a répondu aux questions de l'auditoire, en voici quelques unes :
À travers votre art, vous envoyez beaucoup de messages puissants, avez-vous peur au Yémen ?
Je suis né 19 ans avant la révolution, mon frère était journaliste en 2014 et il a été condamné à mort. Toute ma famille est militante. J'ai commencé par mener des manifestations à l'intérieur de mon université. Plus tard, la révolution est arrivée : J'étais prêt à me battre et à protester. Quand ils ont tiré sur mon frère, je l'ai vu comme un message. Il a passé 30 jours à l'hôpital, maintenant il vit en Égypte.
Que pensez-vous de la comparaison entre vous et Banksy ?
Je suis honoré, bien sûr. Mais cela ne donne pas l'image complète de mon travail. Le mien est un peu moins politique, il s'agit davantage de dénoncer la guerre en général.
Quels sont vos prochains projets ?
Il ne s'agira pas de politique car je ne suis pas dans mon pays. Je dois faire attention quand je parle de problèmes locaux. J'aurais aimé travailler sur l'Afghanistan avant que les Talibans ne reprennent le pouvoir mais maintenant, je ne peux pas y retourner. Peut-être davantage sur le Myanmar, la Libye ou le Soudan. Mais ce serait dans les dix prochaines années, car je n'ai pas les moyens de voyager en ce moment. Mais je sais que je dois le faire, c'est mon but dans la vie.
Par Camille Chambon
Image © - RÉESAH
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