Ce mardi 28 novembre, REESAH a accueilli des membres d’Action Contre la Faim. Organisation non-gouvernementale connue de tous, mais sait-on réellement en quoi consiste sa mission et dans quel cadre plus globalement elle intervient ? C’est ce que sont venus nous présenter Julie Grolier et Arnaud Pavy que nous remercions grandement pour leur temps et la pertinence de leur présentation. En guise d’introduction, nous avons fait un rapide balayage de tout ce qui semblait avoir un lien avec l’aide et la sécurité alimentaire. Or, une des hypothèses qui ressort généralement se trouve être le fait de jouer sur la stabilisation de la population, en sois une idée reçue lorsqu’on sait, aujourd’hui, qu’un tiers de la quantité totale de la nourriture produite dans le monde est perdue ou gaspillée. Alors, qu’en est-il réellement ?
Aide alimentaire délivrée par Action Contre la Faim pendant la crise sanitaire s'inscrivant dans un mouvement global de lutte contre le virus à travers sa mission en France ouverte en fin d'années 2019.
Conceptualisation générale de l'aide alimentaire
La conférence a débuté par une présentation des grands concepts d’Action Contre la Faim. Son action s’inscrit dans un cadre multisectoriel qu’est la malnutrition, et se divise ainsi en plusieurs volets.
Volet Nutrition et santé : spécialisé sur les apports alimentaires inadéquats, le développement de croissance perturbée, les maladies, et composé à ce titre principalement de membres du corps médical.
Volet « wash » : s’emploie à l’étude et à l’amélioration des enjeux environnementaux sanitaires sous la contribution d’ingénieurs. On parle ici notamment, de mauvaises conditions sanitaires ou hydriques qui ont pour conséquence directe que le corps n’est plus en capacité d’ingérer correctement les nutriments, causant ainsi des cas de malnutrition.
Volet Santé mentale et soins : un travail est réalisé sur le lien psychosocial, et notamment le lien mère-enfant, comprenant par exemple la difficulté des mères à allaiter.
Volet sécurité alimentaire et moyens d’existence : réalise un travail de prévention sur l’apport nutritionnel via notamment les politiques agricoles.
Volet plaidoyer : travaille sur les politiques publiques via notamment des recommandations sur le contexte politique, social et économique.
De manière générale, les activités menées par l’Organisation vont être différenciées selon le contexte, d’où tout un travail de diagnostique en amont est nécessaire à la mise en place d’une activité.
Pour mieux cerner les enjeux, une définition de la notion de sécurité alimentaire mérite d’être posée. Cette dernière « existe lorsque tous les être humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » comme il a été déclaré par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) lors du sommet mondial de l’alimentation à Rome en 1996. De cette disposition doivent être tiré quatre concepts de la sécurité alimentaire :
Disponibilité : elle porte sur le côté de l’offre de la sécurité alimentaire, faisant référence au stock total de nourriture dans le pays ou la région au niveau macro, ou pour une population, un groupement ou encore un ménage donné au niveau micro. Elle est déterminée par le niveau de production alimentaire, les niveaux de provisions et le commerce.
Utilisation : il s’agit de la manière dont la nourriture est utilisée au niveau micro. Parmi les facteurs impactant l’utilisation des denrées, on retrouve notamment les aspects physiologiques concernant notre capacité individuel à absorber les nutriments, les aspects hygiéniques concernant la qualité de l’eau et des conditions sanitaires, l’aspect éducatifs à propos des connaissances d’une alimentation diversifiée, des règles de conservation, ou encore de la manière de cuisiner, et enfin un aspect financier concernant la capacité individuelle à avoir accès à l’équipement nécessaire à l’alimentation.
Accès : fait référence à la capacité d’une population ou d’un ménage à se procurer suffisamment de nourriture pour satisfaire les besoins nutritionnels de tous ses membres. Parmi les facteurs impactant cet accès, on retrouve l’économie générale du ménage qui doit faire face à l’inflation des prix malgré un revenu faible, voire inexistant parfois, mais également les conditions sociales du ménage et on parle ici par exemple des discriminations ethniques, religieuses ou sociales auquel il peut être confronté, et enfin les politiques agricoles rendant difficile l’accès aux terres et semences.
Stabilité : ici, l’accent est mis sur la possibilité de changement des situations disponibilité, d’accès ou d’utilisation et implique la nécessité de réduire l’impact de conditions défavorables sur la sécurité alimentaire, tel que les évènements climatiques, l’instabilité politique ou les facteurs économiques.
Ainsi, sont pris en compte l’ensemble de ces paramètres de manière interdépendante pour travailler sur une situation donnée. Notons que leur observation constante et de manière globale est nécessaire puisqu’il suffit qu’un de ces concepts ne soit pas optimal pour déstabiliser l’ensemble d’un projet.
Contextualisation de l'aide alimentaire en France
Après cette présentation générale, les intervenants nous ont permis d’appréhender le contexte alimentaire en France, et pour cela les chiffres sont importants. En effet, selon l’INSEE en 2021 le taux de la population française vivant sous le seuil de pauvreté était de 14,5%, sachant que le seuil de pauvreté est fixé quant à lui à 1 102 € par mois pour une personne seule, et ce, sans parler de toutes les personnes en situations irrégulières vivant sur le territoire français et au nombre de 9 millions de personnes. C’est dans le 3ème arrondissement de Marseille que l’on trouve le taux de pauvreté le plus important en France, avec 53% de la population du territoire, soit 1 personne sur 2. D’ailleurs, il s’agit du département considéré comme le plus pauvre de France, voire même d’Europe, où l’on dénombre 200 000 personnes sur 860 000 habitants considérés comme pauvres.
La prudence quant à ces chiffres est à rappeler puisque diverses significations peuvent leur être attribué. De plus, encore aujourd’hui, beaucoup de personnes ne font pas partie des sondages et ne sont pas représentées dans les chiffres de l’INSEE.
Dans la législation française, l’aide alimentaire est définie à l’article L266-2 du Code de l’action sociale et des familles, et reprend globalement la définition de la FAO citée précédemment. Mais alors comment s’est-elle vue mise en place ? C’est dans les années 80, avec la prise de parole de Coluche à un moment où le taux de chômage explose, que l’aide alimentaire va prendre son essor. Mais très vite, cette réponse, qui se voulait conjoncturelle en réponse aux problématiques d’une période donnée, va se voir transformer en réponse structurelle sur laquelle va se développer une réelle politique publique.
Sans revenir sur l’entièreté de la législation en la matière, il semble intéressant de s’arrêter sur les avancements récents. En effet, en 2016 a été adoptée la loi Garot permettant désormais de faire un lien entre gaspillage et aide alimentaire. A ce titre, désormais, il est interdit de rendre délibérément impropre à la consommation des denrées alimentaire. La loi prévoit également la possibilité pour les grandes surfaces et la restauration de donner aux associations les denrées proches de la date de péremption.
Toutefois, face à ces avancées, on peut encore s’interroger aujourd’hui sur le budget alloué à l’aide alimentaire par l’Etat français. En effet, au regard du budget général, la part des crédits étatiques attribués à l'aide alimentaire, soit les subventions de l’Etat, n’était que de 3% en 2018. Or, le montant des exonérations fiscales accordées aux dons divers et variés est 4 fois plus élevés, que les crédits étatiques, soit fixés à 15%. De manière hypothétique, on pourrait très bien imaginer que cette défiscalisation, fixée notamment pour inciter, voire obliger les grandes surfaces à donner leur surplus de denrées, pourrait être investie en tant que subvention directe des associations contribuant à apporter une aide alimentaire. D’autant plus que ce mécanisme de défiscalisation limite l’orientation des politiques publiques en ne permettant pas au Gouvernement de contrôler une partie des financements qu’il accorde aux dites associations.
Enfin, pour terminer la conférence, les intervenants sont revenus sur les enjeux actuels auxquels l’aide alimentaire est confrontée. Il s’agit notamment de l’inflation en flèche sur les produits alimentaires depuis janvier 2020 et estimé à 23,7%, alors que le taux d’inflation général est quant à lui estimé à 6-7%. De ce fait, on constate une augmentation notoire des personnes en situation de vulnérabilité ayant désormais besoin de bénéficier d’une aide. Un second phénomène s’observe quant aux dons du secteur industriel et de restauration. Celui-ci, estimé à 20% notables des dons nécessaires à l’aide apportée, a pour effet de rendre cette aide dépendante de ces dons. Or, on assiste dans cette situation à un transfert de nombreuses responsabilités du secteur donnant vers les associations redistributrices, telles que la gestion des déchets, le tri des denrées utilisables ou non, et la rapidité avec laquelle ce dernier doit être effectué au regard des courtes durées des dates limite de consommation.
La situation actuelle rend donc de plus en plus difficile l’offre d’aide alimentaire par les associations. On rappelle d'ailleurs que récemment, les Restos du Cœur ont affirmé qu’ils seraient contraints de refuser des bénéficiaires dès cet hiver. La prise de conscience du contexte actuel est donc plus qu’importante.
Par Natacha Manen
Image © Action Contre la Faim - Laurence Geai
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