L’Asie du Sud-Est est une région du monde naturellement propice à subir des catastrophes naturelles : elle réunit « tous les ingrédients d’un cocktail explosif ». Situés au croisement de masses d’eau chaude provenant des océans et de masses d’air froid issues du Nord (Sibérie et Tibet), les pays d’Asie du Sud-Est concentrent les caractéristiques de zones à risque et sont sujets à des épisodes météorologiques extrêmes. Pour n’en citer que quelques exemples, les inondations en Thaïlande durant plusieurs mois en 2011 ou le super-typhon Haiyan au Myanmar en 2013 avaient causé la mort de centaines de personnes et entrainé des dommages matériels conséquents. Plus récemment, les typhons Molave et Goni ont fait d’importants dégâts au Vietnam et aux Philippines en 2020. Actuellement, et ce depuis le début du mois d’avril 2021, le cyclone Seroja est à l’origine d’inondations et glissements de terrain en Indonésie et au Timor oriental.
Les modes de vie et secteurs de développement en Asie du Sud-Est : des facteurs d’aggravation des conséquences humanitaires
Ces catastrophes naturelles à répétition sont d’autant plus un enjeu pour les pays d’Asie du Sud-Est puisqu’elles impactent les conditions de vies des populations. Les zones côtières, exposées à l’élévation du niveau de la mer, sont souvent très peuplées et risquent, à l’avenir, d’être submergées. Selon l’Union internationale pour la Conservation de la Nature, les grandes villes côtières basses et surpeuplées de Rangoun (Myanmar), Bangkok (Thaïlande) ou Ho Chi Minh (Vietnam) sont les plus menacées. Les populations vivent principalement des secteurs agricoles, halieutiques et touristiques, secteurs facilement impactés lors de catastrophes climatiques. Bien que les pays d’Asie du Sud-Est tentent de se préparer aux conséquences de ces aléas climatiques, en développant notamment une agriculture résiliente, leurs capacités d’adaptation et de réaction restent faibles en raison de leur niveau de développement.
Face aux inondations, cyclones ou sécheresses, les populations perdent souvent des membres de leurs familles, leurs habitations et voient leurs terres agricoles noyées ou asséchées au point de ne plus obtenir de rendements. L’économie de ces pays est fortement impactée et les moyens de subsistances inexistants. L’UNICEF alerte en particulier sur la situation des enfants des suites de ces catastrophes. En effet, sujets à la malnutrition et la précarité, ils n’ont plus accès à l’école ni aux soins nécessaires. Plus généralement, ces catastrophes compliquent l’accès à l’eau potable, aggravent l’insécurité alimentaire et accentuent la paupérisation des populations. Les pays de la région font preuve de solidarité lors de telles catastrophes, ils coordonnent notamment la mobilisation des ressources nécessaires à l’assistance humanitaire grâce au Centre de coordination de l’aide humanitaire de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), créé en 2011.
Un risque de déstabilisation de la région en raison de migrations climatiques à prévoir
Ces conséquences humanitaires s’accentuent de crises en crises, de même que le nombre de personnes contraintes de quitter leurs habitations inondées ou détruites. Selon le Internal displacement monitoring center, de 2008 à 2018, près de 54,5 millions de personnes ont été déplacées en raison de catastrophes naturelles en Asie du Sud-Est. Au regard des prévisions du Climate Central, d’ici 2050, des marées hautes inonderont quotidiennement les villes côtières, zones où vivent près de 48 millions de personnes actuellement. L’augmentation des mouvements migratoires liés au changement climatique sont à prévoir dans les prochaines années. Par ailleurs, si les déplacés se comptent en millions, cela risque d’accroître l’instabilité régionale. Une réaction internationale et une prise en compte humanitaire et juridique de ces populations contraintes de quitter leurs terres semblent nécessaires.
Les prévisions inquiétantes et enjeux autour de l’impact du changement climatique sur la région
Ces catastrophes naturelles ont donc des répercussions humanitaires désastreuses et doivent être envisagées sur un modèle d’anticipation et de résilience. Ces catastrophes sont dites naturelles, pour autant la main de l’Homme et le changement climatique influent sur leur occurrence et leur intensité. Les constats actuels sur le réchauffement climatique en Asie du Sud-Est sont déjà alarmants. Chaque décennie depuis 1960, la température moyenne augmente de 0,14 à 0,60° C et le taux de précipitations annuelles est de 22 millimètres. Selon les prévisions de la Banque Mondiale, la situation risque de s’aggraver davantage puisque les précipitations gagneront en intensité et les typhons atteindront plus fréquemment des catégories 4 et 5. Le niveau de la mer pourrait augmenter de 50cm d’ici 2050, accentuant le risque d’inondation des principaux deltas essentiels à la culture de riz des pays comme le Myanmar ou le Vietnam. De même, les inondations des nappes phréatiques risquent de causer des problèmes d’accès à l’eau potable. Les récifs coralliens seront également impactés par la hausse des températures des mers et océans. Ce sont la faune, la flore mais aussi le secteur de la pêche et du tourisme qui seront touchés. Les économies de ces pays, essentiellement axées sur ces domaines clefs, risquent une chute de leurs PIB de près de 11%, selon les estimations du GES Bunisess As Usual.
Toutes ces estimations et inquiétudes alertent aujourd’hui l’Organisation des Nations Unies, qui caractérise l’Asie du Sud-Est comme la « région du monde la plus menacée par le changement climatique ».La région connait une croissance rapide depuis deux décennies qui s’accompagne du corollaire du développement contemporain : l’émission de gaz à effet de serre. En effet, pour répondre aux projets d’urbanisation et aux besoins alimentaires et énergétiques nécessaires à l’accroissement démographique, les pays d’Asie du Sud-Est ont recourt massivement à la déforestation. Ce procédé participe à l’appauvrissement en ressources des sols, et peut créer des puits de carbone, provoquant davantage d’émissions de CO2. Aussi, l’absence d’arbres ou de mangroves empêche la retenue des eaux en cas de fortes précipitations. D’autre part, les pays d’Asie du Sud-Est restent dépendants des énergies fossiles, les centrales à charbon sont ainsi la deuxième source d’émission de CO2 dans la région. De nouveaux projets de centrales à charbon attirent d’ailleurs d’autres pays souhaitant échapper à des normes environnementales trop strictes. Il s’agit d’un phénomène de déplacement des centres pollueurs qui ne participe pas à l’amélioration de la situation globale.
Des solutions possibles sous réserve d’une mobilisation et d’une réaction internationales
Pour autant, les pays d’Asie du Sud-Est ont conscience du réchauffement climatique et de son effet sur la récurrence des catastrophes naturelles dans la région. Ces pays ont signé et ratifié la plupart des grandes conventions internationales sur ce sujet et notamment l’Accord de Paris de 2015. Pour respecter les objectifs visés par ce traité, certains gouvernements des pays de l’ASEAN ont reconnu le changement climatique comme une « menace existentielle à la nation » et se sont fixés pour objectifs d’augmenter la part des énergies renouvelables à 23% d’ici 2025. Toutefois, ces politiques ne suffisent pas à atteindre les niveaux attendus en raison de financements insuffisants. Par exemple, le Vietnam s’est engagé à réduire ses émissions de CO2 de 8% d’ici 2030, mais affirme pouvoir porter ce chiffre à 25% avec un soutien financier extérieur. Aussi, en mars 2021, le Fond vert pour le climat a octroyé 300 millions de dollars à destination de la Banque asiatique de développement afin de soutenir la relance en Asie du Sud-Est et de financer les projets d’infrastructures vertes. Enfin, les pays riches, et notamment les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, se sont engagés à réduire leurs émissions et à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Ils ont également promis de porter assistance à hauteur de 100 milliards de dollars au bénéfice des pays en développement pour les aider dans la lutte contre le réchauffement climatique. Pour autant, certains pays ne respectent pas ou tardent à agir pour remplir leurs engagements.
Les réunions de Sommets mondiaux pour le climat se multiplient, à l’instar du Sommet international organisé le 22 avril 2021 à l’occasion de la journée de la Terre. De telles réunions créent un élan d’optimisme et d’espoir pour les régions en première ligne face au changement climatique. Ces prises de consciences internationales doivent désormais être suivies d’actions concrètes, tel que rappelé par le Secrétaire Général des Nations Unis, António Guterres, qui incite à trouver un « accord sur une direction commune à suivre » afin de « stabiliser notre climat et mettre fin à notre guerre contre la nature ».
Délia Hammar
Image : © Aji Styawan/Bourse Getty Images, Climate Visuals - Juin 2018
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