L'ABAISSEMENT DU CONSENTEMENT SEXUEL À 9 ANS EN IRAK : UN RECUL ALARMANT DES DROITS DES FEMMES
- Clara Pujol
- 7 avr.
- 6 min de lecture
Selon un rapport de l’UNICEF paru en 2023, 28 % des femmes irakiennes étaient mariées avant l’âge de 18 ans. Bien que cette pratique clandestine fût illégale, sanctionnée par les textes de loi, elle n’est pas strictement appliquée, contraignant parfois des jeunes filles mineures à épouser des hommes. Depuis que le gouvernement chiite islamique de Mohammed Chia Al-Soudani est au pouvoir, la protection des droits des jeunes filles a été bafouée. Néanmoins, le Parlement irakien s’apprête à passer une loi réduisant à abaisser l’âge légal du consentement au mariage de 18 ans à 9 ans. Un recul significatif de leur droit et de leur sécurité dans un pays où les droits des femmes sont déjà fragilisés.

Cet amendement suscite des préoccupations majeures concernant les droits des femmes et des enfants dans le pays, abaissant l’âge du consentement sexuel à un niveau où les jeunes filles n’ont même pas conscience de ce que représente le concept du consentement et des relations sexuelles.
En novembre 2024, une proposition de loi visant à modifier l'âge légal du consentement sexuel des jeunes filles a suscité une vive controverse en Irak. Cette révision, portée par la coalition chiite conservatrice au pouvoir, a immédiatement alerté les organisations de défense des droits humains qui ont exprimé une profonde inquiétude face à cette proposition de loi. Human Rights Watch a dénoncé cette réforme comme un « recul dévastateur pour les femmes et les filles ».
Une origine religieuse et politique
Entre corruption, violations des droits de l’homme, tensions avec les minorités sunnites et kurdes, l’Irak est un État autoritaire et fortement influencé par des idéologies conservatrices, particulièrement en ce qui concerne les droits et libertés des femmes.
Un point historique est à souligner pour comprendre cette arrivée soudaine du recul de l'âge du consentement des femmes. L’invasion américaine de l’Irak en 2003 marque un tournant décisif dans la recomposition du paysage politique du pays. La chute du raïs de Bagdad, Saddam Hussein, dont le régime dominé par les sunnites du parti Baas marginalisait et réprimait la majorité chiite, ouvre la voie à une prise de pouvoir progressive par les partis chiites, soutenus par l’Iran. Dès 2005, des partis chiites, représentant 60% de la population irakienne, montent en puissance et les élections voient l’ascension du Conseil suprême islamique et du parti Dawa, qui s’appuient sur des milices militaires déjà très présentes dans le pays, telles que la brigade Badr.
Sous Nouri al-Maliki (2006-2014), l’État irakien devient un outil de répression contre les sunnites, favorisant l’essor de groupes extrémistes comme l’État islamique. Si cette domination chiite s’accompagne d’une répression politique, elle entraîne aussi un recul généralisé des libertés, en particulier pour les femmes. Sous Saddam Hussein, bien que son régime promouvait à son arrivée des mesures modernes et progressistes sur la condition des femmes, le discours conservateur du dictateur encourage la ferveur religieuse et la soumission de la femme au “maître du foyer”. Selon le chercheur Joseph Sassoon, Saddam Hussein conduisait cette politique conservatrice afin de baisser le chômage en excluant les femmes du marché du travail.
Malgré sa chute après 2003, la montée des conservatismes religieux et l’influence iranienne accentuent ces positions, provoquant une régression drastique du statut des femmes. En 2014, un projet de loi Jaafari prévoyait déjà d’abaisser l’âge légal du mariage à 9 ans pour les filles et 15 ans pour les garçons, ancrant dans le droit une vision rigoriste de l’islam chiite. En outre, des propositions de loi avaient été soumises par le Parlement pour réduire l'âge du consentement sexuel, mais elles n'avaient jamais été adoptées en raison des répercussions populaires qu’elles ont suscitées. Des tentatives répétées en 2014 et 2017, pour réduire l’âge du consentement, ont émaillé la vie politique irakienne, reflétant une poussée conservatrice croissante.
Après qu’une crise politique et des affrontements aient éclaté en novembre 2021, le gouvernement Mohammed Chia Al-Soudaniest est élu dans un contexte d’instabilité politique, confrontant de nouveau le dualisme historique sunnite et chiite. Sous le gouvernement d’Al-Soudani et du parti chiite conservateur Dawa, l'Irak a connu des propositions législatives controversées qui menacent les droits fondamentaux des femmes. Un exemple notable est le projet d'amendement à la loi sur le statut personnel de 1959, présenté par une coalition de partis islamistes chiites conservateurs.
« Malheureusement, les députés hommes qui soutiennent cette loi parlent de manière masculine et demandent ce qui ne va pas avec le mariage d'une mineure. Leur raisonnement est étroit d'esprit. Ils ne prennent pas en considération le fait qu'ils sont les législateurs qui déterminent le sort des gens... mais suivent plutôt leur raisonnement masculin pour autoriser cela » députée irakienne Alia Nassif
Une situation actuelle critique au coeur des débats sur le consentement sexuel des jeunes filles en Irak
Porté par la coalition conservatrice, la proposition de loi de novembre 2024 vise à l'abrogation d’une loi adoptée en 1959, considérée comme la plus progressiste du Moyen Orient. Cette loi 188/1959 relatives aux droits des femmes et aux affaires familiales, prévoyait notamment des protections concernant le mariage, le divorce, et la garde des enfants. Concrètement, si cet amendement est adopté, les Irakiens auront la possibilité de choisir entre les autorités religieuses et l’Etat en ce qui concerne l’héritage, le divorce, la garde des enfants ou le mariage. Se soumettre à la loi islamique, c’est se soumettre à des pratiques qui pourraient inclure la légalisation du mariage des filles dès l'âge de neuf ans, la suppression des droits des femmes en matière de divorce et d'héritage, et la diminution des protections pour les femmes divorcées .
Bien qu’approuvé en deuxième lecture le 16 septembre 2024 par le Parlement, l’amendement n’a pas recueilli assez de voix pour obtenir à la majorité nécessaire. La date de reprise des débats au Parlement n’est pas encore connu, ce qui laisse le temps aux partis musulmans chiites de s’allier aux partis sunnites et kurdes. Les tensions entre ces groupes révèlent actuellement un désaccord, ce qui est avantageux en ce qui concerne l'adoption de cette proposition de loi.
Cette décision scelle un tournant tragique pour les droits des femmes et des enfants dans un pays en proie à l’instabilité politique et à un durcissement religieux. La proposition de loi est passée entre les mailles du filet tandis que le pays était frappé par des bombardements de groupe djihadiste, illustrant la complexité et la gravité de la situation actuelle en Irak.
Des conséquences désastreuses : l'urgence de la mobilisation internationale
L’abaissement de l’âge du consentement sexuel provoque de multiples répercussions négatives. Indéniablement, le mariage de mineurs serait légalisé et, par là, le mariage forcé. Cette réforme légalise le mariage de mineures, ouvrant la voie à des unions forcées et à une normalisation des violences sexuelles. En parallèle, elle retire aux femmes des droits fondamentaux tels que le divorce, la garde des enfants après une séparation, et l’accès à l’héritage. La proposition de loi a suscité de fortes réactions sur les réseaux sociaux de la société civile, des militantes irakiennes féministes qui soutiennent que ce texte imposerait une obligation maritale, particulièrement en excluant les femmes de leurs droits d’héritage sur les biens et de leur droit à la pension alimentaire.
Selon le journal américain The Guardian, cette loi “légalise la pratique du viol sur les enfants”, mettant en péril la sécurité des mineurs et leurs droits fondamentaux. De plus, cette réforme amplifie les difficultés d’accès à l’éducation et au marché du travail pour les jeunes filles. Dans un contexte où les familles préfèrent marier leurs filles plutôt que de les scolariser, cette législation aggrave les disparités économiques et sociales auxquelles elles font face.
Cet amendement va à l’encontre de plusieurs dispositions internationales auxquelles l’Irak s’est engagé en droit international. L’Irak avait ratifié en 1986 la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1979. Les signataires de ladite convention s'engagent à supprimer toute forme de discrimination envers les femmes et favoriser leur plein développement économiques, politiques et sociaux. La Convention relative aux droits de l’enfant, signée par le pays en 1994, permet de garantir les droits fondamentaux aux mineurs et certains principes relatifs à leur protection, tel que la non discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect des opinions de l’enfant. Avec cet amendement, c’est une violation directe des principes de ces garanties par l’Irak.
Le gouvernement irakien, dominé par des factions pro-iraniennes, adopte des législations inspirées du droit religieux, en dépit des protestations et des organisations de défense des droits humains et d’une partie de la société civile. Selon le Parlement européen dans un avis juridique de novembre 2024, “ les modifications proposées augmentent la vulnérabilité des filles, en particulier des orphelines et des enfants issues de familles à faibles revenus, et accroissent le risque qu’elles soient victimes de la traite des êtres humains et exploitées par des tuteurs et/ou des proches”. Amnesty international intervient aussi dans ce contexte pour alerter que le mariage des enfants les exposent à davantage de “violences sexuelles et physiques, ainsi qu’aux risques pour leur santé liés aux grossesses précoces” selon la chercheuse Razaw Salihy.
Si cette réforme venait à être définitivement adoptée, elle marquerait un recul historique pour les droits des femmes en Irak, réduisant à néant des décennies de progrès en matière de libertés individuelles. Une mobilisation internationale forte et unanime est indispensable pour empêcher ce retour en arrière et garantir aux femmes irakiennes un avenir où leurs droits fondamentaux ne seront pas sacrifiés.
Clara Pujol
Image © - AFP / AHMAD AL-RUBAYE
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