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  • Lena Kostic

DE LA SEGREGATION A LA RECONCILIATION ENTRE NOIRS-AMERICAINS ET COMMUNAUTE CADIENNE EN LOUSIANE

Localisée principalement dans l'État de la Louisiane aux Etats-Unis, la culture cadienne se singularise par ses caractéristiques empruntées de ses deux colonisateurs, la Français et l’Angleterre. Autrement appelés les Cajuns, ses membres perpétuent encore aujourd’hui un racisme né lors de la période esclavagiste. Un vrai fléau dans un état américain où pauvreté, délinquance et catastrophes naturelles s’insèrent dans le quotidien des Louisianais.


Cajun Zydeco Festival où sont célébrés les riches traditions musicales du sud-ouest de la Louisiane chaque année.

La transmission d'un héritage français

Marquée par l’histoire de cet État différent des autres, la culture cadienne préserve une variante de la langue française dans son usage longtemps menacée par l’anglophonie. A l’occasion d’une rencontre avec un cadien, il vous invitera à un « chambonhourra », synonyme de fête joyeuse, désignerait un ivrogne de « pinteur » et lui indiquerait « les commodes » en guise de toilettes. Les colons français ont migré du Canada vers les bayous de la Louisiane pendant la période du « Grand Dérangement » pour avoir refusé de prêter allégeance à la Couronne anglaise. Ils se sont installés avec les peuples autochtones sur le territoire de la Nouvelle-France. Un métissage culturel grandiose s’opère alors entre les Cadiens, les Amérindiens, les descendants d’esclaves, les Créoles français, ainsi que les Allemands et les Espagnols. Cet idiome a été prohibé pendant la première partie du XXe siècle.


C’est dans les années 1970 que des mesures gouvernementales sont prises pour sauvegarder les traditions acadiennes. Située à l’ouest de la Nouvelle-Orléans, l’autonomie acadienne est aujourd’hui reconnue. Dans cet État, réputé pour ses fêtes locales sur une musique à la fois folk, country et blues appelé le zydeco, accompagné du fameux gombo, une très forte part de cette communauté est composée de blancs descendants des colons. La cohabitation et le dialogue notamment avec les Noirs-Américains et les Créoles se sont rapidement dégradés jusqu’à arriver à un point de non-retour.


Un système de discrimination raciale institutionnalisé remis en cause

Dans cet Etat républicain, le Un-Cajun Committee a longtemps entretenu une politique de ségrégation raciale à l’égard des Noirs-Américains qui se traduisait par une partialité des forces de l’ordre et un empêchement pour les Noirs-Américains d’accéder aux institutions. Rappelons que la discrimination raciale en droit international s’entend de « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique » comme rappelé à l’article premier de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée en 1965. 


L’affaire des Six de Jena (Jena Six) est un tournant dans l’histoire de la Louisiane et même dans celle du pays puisqu'elle a révélé au grand jour un racisme dans le système judiciaire, constituant les prémisses du combat acharné mené par les groupes militant contre les inégalités de traitement aux Etats-Unis. A Jena, ville du centre de la Louisiane peuplée majoritairement de blancs (à plus de 80%), six adolescents Noirs-américains ont été inculpés pour tentative de meurtre et complot sur un adolescent Blanc. Le délit a été commis au sein de la Jena High School en 2006 après que des cordes aient été accrochées à un arbre dédié uniquement aux lycéens blancs. Des étudiants noirs se seraient assis sous cet arbre et auraient été menacés par certains adolescents blancs, sanctionnés par la direction de l’établissement à trois jours d’exclusion. La présence de nœuds exprimait alors une menace proférée en réponse aux provocations des adolescents blancs. Les élèves ne prenaient pas place ensemble en cours pour éviter de se mélanger. S’en sont suivies des échauffourées violentes entre blancs et noirs, envenimant la situation jusqu’à la déclaration de l’incendie d’une aile du lycée avant l’affaire. Les accusés, incarcérés dans un premier temps, ont été jugés un par un par le tribunal judiciaire composé uniquement de jurés, avocats et témoins blancs. Cependant, l’instance, point de départ des contestations des activistes noirs, a été annulée par la Cour d’appel pour des chefs d’accusation inadéquats avec les faits et la minorité des accusés.


La population minoritaire noire américaine se place en avocat de la défense, protestant en faveur d’une indulgence pour ces six jeunes. Ces soulèvements ont fait écho dans le pays, à tel point que des milliers de militants noirs se sont déplacés pour manifester. Parmi eux, Martin Luther King III, le fils du père de la lutte pour les droits civiques afro-américains et d’autres figures illustres du mouvement tels que les pasteurs Al Sharpton et Jesse Jackson. Ce fait divers est d’autant plus significatif car il s’est déclaré lors du 50e anniversaire des Neuf de Little Rock, affaire qui a sollicité l’intervention du président Eisenhower pour intégrer neuf étudiants refusés à la Little Rock High School pour leur couleur de peau. Si pour certains le cas d’école des Six de Jena déguiserait une bataille insignifiante, pour d’autres elle a fait prendre conscience de la discrimination noire-américaine en Louisiane. Les activistes ont obtenu gain de cause puisque le procès final a condamné cinq mineurs afro-américains à verser des dommages et intérêts. Le plus âgé des adolescents a lui été condamné à 18 mois de détention pour des circonstances atténuantes de coups et blessures et complot. 


Le cas des Six de Jena a retentit, renforçant la lutte contre les discriminations raciales aux Etats-Unis. En ce sens, la législation américaine va s’étoffer autour de ce concept au fil du temps. Le quatorzième amendement par son « Equal Protection Clause » ainsi que la loi fédérale sur les droits civiques de 1866 assurent l’égalité devant la loi à toute personne résidant sur le sol américain. Le Civil Rights Act de 1866 est le premier texte fédéral promulgué après la Guerre civile en faveur des droits des Noirs-Américains. Le quinzième Amendement garantit à tout citoyen américain le droit de vote et exclut tout refus, basé sur la race, la couleur ou la condition antérieure de servitude, d’accès aux urnes. Finalement, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, entrée en vigueur en 1969, sera ratifiée par les Etats-Unis en 1994. 


Concernant la Louisiane, la plus grande victoire réside dans l’amorce vers une nouvelle ère « post- raciale » entre la communauté acadienne et les Noirs-Américains


La fin du séparatisme et la construction d'une communauté inclusive à travers une culture commune

Ce lourd passé a poussé les deux minorités à se serrer les coudes pour imposer le bon vivre. L’une des causes communes essentielles des deux communautés est celle du catholicisme. La foi religieuse aurait pu expliquer un recul de la haine raciale grâce à la tolérance prêchée par l’Eglise catholique. Mais le principal argument demeure dans le maintien de la culture et de la langue française des Afro-américains de la Louisiane et des Cajuns. Des programmes d’échange entre les pays francophones et la Louisiane ont été instaurés et profitent à la culture acadienne. Longtemps interdite dans les établissements publics, la langue française y fait son grand retour en 1968 pour le plus grand bonheur des générations contraintes à parler anglais sous peine d’être punies.


L’éducation s’impose comme le remède à la négligence et la mise à l’écart des Acadiens. Les pays francophones européens se sont engagés dans la reconnaissance Cajuns en envoyant des soutiens financiers. Pour se faire, la France et la Belgique ont procédé à la subvention de professeurs volontaires afin d’enseigner en Louisiane. Le Conseil pour le développement du français en Louisiane collabore avec les Etats européens et africains et propose un accès à la citoyenneté américaine en échange d’un service de trois ans dans les écoles et les paroisses louisianaises.


Ressemblant fortement à la cause des droits civiques, la communauté acadienne travaille main dans la main avec les Afro-Américains et autres francophones en dehors des Etats-Unis offrant leur aide. L’objectif reste celui de transmettre les valeurs et d'échanger sur leurs différences culturelles. Le « rêve » de Martin Luther King ne se serait-il pas concrétisé ? 



Lena Kostic


Image © Cheryl Gerber

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