Population particulièrement vulnérable, les enfants ont toujours été au centre des conflits armés. Leur recrutement et leur utilisation au sein des conflits armés n’est ni une pratique nouvelle, ni en passe de disparaître, bien que les efforts locaux et internationaux contribuent à la diminution de ce phénomène. Aujourd’hui, on dénombre entre 250 000 et 300 000 enfants impliqués dans les conflits armés dans le monde, le continent africain en concentrant les deux cinquièmes. Ils sont enrôlés aussi bien par les forces armées régulières que les groupes rebelles, dans tous les conflits armés se déroulant autour du monde, et sont utilisés pour des tâches diverses, comme faire la cuisine ou le ménage, mais aussi en tant qu’esclaves sexuels ou encore combattants.
La participation des enfants dans les conflits armés : les enfants-soldats
Les « enfants-soldats » sont définis comme tout participant aux hostilités de moins de 18 ans par le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés. Ils peuvent être recrutés de force, par le biais de menaces de représailles sur eux-mêmes et leur famille, mais peuvent aussi s’engager volontairement. En effet, la guerre et l’extrême pauvreté les poussent parfois à rejoindre les rangs de groupes armés, espérant une vie meilleure et souhaitant souvent soutenir leur famille. Par exemple, en République Démocratique du Congo (RDC), l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) leur promettait cent dollars américains par mois s’ils les rejoignaient, un salaire qu’ils ne pouvaient espérer obtenir ailleurs. Cette technique de recrutement est particulièrement efficace, puisqu’entre 1998 et 2002 on estimait à plus d’un tiers la proportion des enfants-soldats du monde se trouvant en RDC. D’autres motivations peuvent être un désir de vengeance après le meurtre d’un membre de leur famille par le groupe armé ennemi ou le sentiment d’être investis d’un rôle de protection de leur communauté dans un contexte de conflit, influencés par leurs camarades ayant déjà rejoint les rangs. Parfois, ce recrutement est masqué pour éviter d’éveiller les soupçons, comme par exemple les « camps d’été » organisés par les brigades du Jihad islamique palestinien et du Hamas à destination d’enfants, dont les plus jeunes avaient 14 ans.
Cette pratique du recrutement d’enfants pour la guerre est encore très fréquente, la multitude d’enfants-soldats au sein d’un même groupe armé permettant souvent de les utiliser pour les tâches les plus dangereuses, afin de préserver le reste des soldats. Ils servent notamment de boucliers humains en RDC, et transportent des engins explosifs artisanaux très instables au Nigéria. Outre l’extrême danger auquel ces enfants sont exposés lors des combats, certains meurent durant les entraînements, en raison de la dangerosité des exercices, des corrections physiques et du rationnement alimentaire. Il est également question de rites initiatiques au moment du recrutement, consistant par exemple à battre ses proches à mort ou à boire du sang dans l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) en Ouganda.
L’utilisation des enfants comme esclaves sexuels, une autre réalité des conflits armés
L’autre utilisation très préoccupante des enfants en temps de conflits armés est celle de l’esclavage sexuel. Si cette problématique est majoritairement subie par les filles, qui sont régulièrement mariées aux membres des groupes armés, elle touche également les garçons. Par exemple, en Afghanistan, des corps de police et des milices gouvernementales ont recours à de jeunes garçons pour le « batcha bazi », une pratique consistant à se divertir en regardant l’enfant danser et en abusant sexuellement de lui au cours de fêtes. De plus, les groupes armés sont souvent liés à des réseaux criminels qui leur procurent un financement, c’est notamment le cas en Lybie où des réseaux de traite des êtres humains servent à la prostitution de jeunes filles captées par des groupes armés.
Les conséquences irréversibles sur les enfants du fait de leur implication dans les conflits armés
Les enfants recrutés dans les conflits armés sont considérés par les groupes armés réguliers et rebelles comme des entités remplaçables, interchangeables, et qui ne méritent pas de soins particuliers. A ce sujet, les Nations Unies et la communauté internationale se déclarent particulièrement alarmées par le refus extrêmement fréquent de l’accès à l’aide humanitaire pour ces enfants. Par exemple, en Afghanistan, les talibans ont déjà refusé que des équipes de vaccination puissent accéder aux enfants dans leurs rangs afin de les immuniser contre la polio. De la même façon, les autorités gouvernementales traitent très durement les enfants soupçonnés d’entretenir des liens avec des organisations rebelles, les traitant comme des adultes. C’est notamment le cas des Forces de défense et de sécurité maliennes qui avaient arrêté des enfants et les avaient transférés au procureur antiterroriste de Bamako. Le Secrétaire Général des Nations Unies a demandé à plusieurs reprises que les enfants présumés être en lien avec des groupes armés soient traités comme les victimes de ces groupes et non comme des participants au conflit, leur détention ne devant être décidée qu’en dernier recours et pour la période la plus courte possible.
L’embrigadement de ces enfants les condamne à vie, même une fois les conflits terminés. Ils souffrent de séquelles physiques et psychologiques, et perpétuent souvent le cycle de la violence en devenant à leur tour recruteurs d’enfants-soldats. C’est notamment le cas de l’ancien chef de guerre de la LRA en Ouganda, Dominic Ongwen. Ce dernier a été kidnappé à dix ans et était devenu vingt-cinq ans plus tard, lors de son arrestation et de son transfert à la Cour Pénale Internationale (CPI) en 2015, l’un des officiers les plus zélés de la milice en matière de recrutement d’enfants-soldats. L’exposition à la violence provoque chez eux des troubles du comportement et de fréquents épisodes dépressifs ; tandis que les violences, notamment sexuelles, dont ils ont été victimes peuvent aussi occasionner des grossesses non-désirées, des infections au VIH, et autres. Ils sont la plupart du temps dépendants de certaines drogues et de l’alcool, substances utilisées pour supporter leurs conditions de vie, ou qui leur sont parfois distribuées par les membres des groupes armés pour les rendre plus docile.
Une perspective d’espoir : la mobilisation locale et internationale contre ce phénomène
Certaines ONG, comme Vision du Monde, ont mis en place des programmes de réinsertion pour ces enfants. Ils sont accompagnés dans leur reconstruction, médicalement et psychologiquement, et peuvent suivre des formations afin de favoriser leur réinsertion professionnelle. En outre, Vision du Monde cherche à les réunir avec leurs familles, et à faire évoluer la mentalité des communautés locales afin qu’elles les accueillent sans préjugés. Certaines milices se sont formées localement pour venir en aide aux enfants membres de forces armées, œuvrant à leur libération puis à leur réinsertion. C’est notamment le cas de la Force expéditionnaire civile commune, qui officie dans le nord-est du Nigéria.
La solution la plus efficace reste néanmoins de traiter le problème à la racine, en négociant avec les groupes armés afin que le recrutement des enfants dans le cadre de conflits armés cesse. Les Nations Unies se trouvent au premier plan de cette entreprise, accompagnant les efforts des groupes armés rebelles et autorités gouvernementales, ce qui aboutit à des résultats encourageants. Par exemple, au Myanmar, les négociations des agences onusiennes avec les groupes rebelles Karen ont mené à la libération de vingt-cinq enfants en 2020. Par ailleurs, au Yémen en 2019, quatre-vingt-dix membres des forces armées gouvernementales ont été formés à l’identification des enfants enrôlés dans les rangs des groupes armés rebelles. Enfin, en cas d’échec des négociations, la menace de la justice pénale internationale reste un bon moyen dissuasif, le recrutement et l’utilisation d’enfants dans un conflit armé pouvant être qualifié de crime de guerre ou de crime contre l’humanité. C’est le cas des groupes ex-Séléka et anti-balaka en République centrafricaine, contre lesquels a été déposée une communication devant la Cour Pénale Internationale à ce sujet, en 2014.
L’utilisation des enfants dans les conflits armés est l’une des problématiques extrêmement préoccupantes et récurrentes du droit international humanitaire, en raison de leur grande vulnérabilité à la violence et à la manipulation, ainsi que de leur présence à travers le monde. Il est alors essentiel de continuer à diffuser des messages de prévention à l’attention des parties à d’éventuels conflits, à organiser des opérations de dés-embrigadement de ces enfants et à mettre en place des programmes de réinsertion pour leur donner une seconde chance.
Julia Bourget
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