« C'est le moment pour les gens normaux de penser à la paix, pas à l'agression », a déclaré Volodymyr Zelensky lors du sommet du G7, en exhortant la Russie à renoncer aux hostilités armées à l'approche de Noël. Ce à quoi a répondu le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, qu'il n'avait reçu aucune proposition de Kiev pour suspendre les hostilités à l’approche des fêtes et qu'un cessez-le-feu n'était pas à l'ordre du jour de Moscou. Bien que la Russie et l’Ukraine ne fêtent traditionnellement Noël que le 7 janvier – date à laquelle est célébrée cette fête dans le monde chrétien orthodoxe – aucune trêve ne semble être d’actualité dans le conflit russo-ukrainien pour l’heure.
À Mykolaïv (sud de l’Ukraine), la statue de Saint Nicolas recouverte de sac de sables est devenue le sapin de Noël à l'aide de filets de camouflage.
Ce choix militaire de ne pas négocier de trêve de Noël est critiquable au regard des conséquences psychologiques observées sur la population ukrainienne. À l'est, une campagne russe de démoralisation est également menée contre les forces ukrainiennes, à l’arrivée de l’hiver et d’une guerre de tranchées. La négation de la foi religieuse ukrainienne et des pratiques traditionnelles en devient dès lors une méthode de guerre per se de la Russie, pour viser à obtenir la capitale Kiev ou la région orientale du Donbass.
Il n’existe, en droit international humanitaire (DIH), aucune définition communément admise de la notion de trêve (ou de suspension d’armes), mais celle-ci pourrait être définie comme un « accord conclu entre belligérants dans le but d’interrompre pour une durée déterminée l’emploi des moyens de combat dans une localité ou un secteur défini ». De même, aucune norme de droit international humanitaire ne formule l’obligation d’accepter ce type de proposition. Seul les motifs dûs à l’enlèvement, à l’échange et au transport des blessées malades faisant suite à un combat peuvent entrer dans ce champ juridique, à en croire le Dictionnaire pratique du droit humanitaire*. Si la nature de la trêve n’est pas forcément religieuse, comme celle (non-reconduite) de 6 mois du Yémen, aucun motif religieux ou spirituel ne figure dans le corps des textes du droit international humanitaire.
Dès lors, il est important d’étudier la place des célébrations religieuses dans le droit international humanitaire. Si la religion est aujourd’hui considérée comme un « vecteur » de la diffusion du DIH, il n’en reste que les principes de ce « droit dans la guerre » – le jus in bello – tirent leur essence même des religions. Mis à part le fait que certains conflits aient été motivés par des considérations religieuses, la religion a également été l’instrument utilisé en Europe pour arbitrer entre les situations de paix et de guerre. L’adoption par l’Église catholique entre 975-1025 des « institutions de la paix » peut en témoigner, à travers des prescriptions visant à restreindre la violence belliqueuse à l’égard des personnes et dans le temps. La justification et le choix moral a toujours été partie intégrante des conflits armés :
Cet état de fait s'est traduit par des références timides aux religions dans les Conventions de Genève de 1949 : l’article 24 de la Ire Convention de Genève et l’article 36 de la IIe Convention de Genève consacrent l’obligation de respecter et de protéger le personnel religieux. Les prisonniers de guerre et les civils détenus ont également le droit de pratiquer leur religion et les morts – combattants comme civils – doivent être inhumés selon leurs rites religieux. Ainsi, le droit de la guerre tel qu’il se manifeste dans les instruments contemporains ne peut nier son influence religieuse ; même si la protection conférée est moindre, voire inexistante. La neutralité du droit international humanitaire est alors synonyme de laïcité, et non d’amoralité, comme semble le faire penser la réaction russe à la trêve demandée par l’Ukraine.
Une circonstance de fait dont la Russie fait indirectement usage par ce refus. Sachant pertinemment l’importance religieuse et traditionnelle que représentent les fêtes de Noël pour le peuple ukrainien, elle souhaite affaiblir son ennemi de guerre moralement durant la période hivernale, en plus de cibler les infrastructures énergétiques ukrainiennes et plonger les villes dans le froid et l’obscurité. Les conséquences psychologiques sur l’ensemble de la population ukrainienne sont déjà perceptibles et risquent de s’aggraver à la suite de cette décision politico-militaire. Plus de 20 000 personnes ont été soutenues psychologiquement par Malteser International depuis le début du conflit. Selon l’UNICEF, 1,5 million d’enfants seraient également concernés quant au risque de souffrir de dépression, d’anxiété, de troubles de stress post-traumatique et d’autres troubles mentaux. Ainsi, il est indéniable que la guerre en Ukraine a lourdement fait peser sur la vie de son peuple depuis février 2022. Sans trêve hivernale, couplée à l’absence d’électricité, la période des fêtes de Noël se voit également occultée des esprits au point que certains pourraient la percevoir comme une célébration déplacée ou un luxe inaccessible.
Par conséquent, la guerre russo-ukrainienne possède une dimension morale indéniable comme en témoignent les préoccupations énoncées par Zelensky pour la célébration des fêtes de Noël. La force de ces célébrations religieuses et traditionnelles est telle que - même après la tentative de destruction morale par une stratégie militaire russe opaque - des sapins de Noël de fortune, fabriqués avec des filets militaires de camouflage, ont été aperçus dans certains territoires ukrainiens. Même si aucun doute n’est émis sur le fait que les prochaines semaines seront difficiles pour les soldats, aussi bien russes qu'ukrainiens, l’esprit de Noël semble résister à toute épreuve.
Abigaëlle Guazzelli
Image © - AFP/Dimitar Dilkoff
*Les conventions de Genève régissant le droit de la guerre demandent que « chaque fois que les circonstances le permettent, une interruption du feu ou des arrangements locaux soient convenus pour permettre l’enlèvement, l’échange et le transport des blessés et des malades dus aux combats. » François Bouchet-Saulnier, Dictionnaire pratique du droit humanitaire, édition actualisée et enrichie, La Découverte, 2013
** Pavlo Titko rapporte que de nombreux Ukrainiens ont besoin d'un soutien psychosocial. "De nombreuses personnes sont déjà traumatisées. Nous nous attendons à ce qu'après la guerre, des millions de personnes aient encore besoin d'un soutien thérapeutique."
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