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  • Léa Ivoule Moussa & Louise Poelaert

FAUT-IL SACRIFIER SA VIE PERSONNELLE POUR SAUVER LE MONDE ?


« Engagée dans de nombreux combats humanitaires et sociétaux, je m’implique dans différents projets, dont un avec une amie qui part souvent sur le terrain. C’est à ce moment-là que j’entends parler de David pour la première fois » raconte Sybille, ne se doutant pas en 2016 faire la rencontre d’un guide syrien qui deviendra l’homme de sa vie quelques années plus tard.


Pourtant, à la fin de sa mission, Sybille affirme l’existence « d’angoisses qui prennent le dessus » lorsqu’elle pense à l’avenir de sa relation avec David, tous deux étant humanitaires de terrain. La question de la compatibilité entre la vie sentimentale et la vie professionnelle se pose aussi pour les humanitaires qui ont fondé une famille dans leur pays d’origine. A ce propos, certains humanitaires décident d’arrêter leurs carrières pour ne pas rater les premiers anniversaires de leurs enfants : « vous ne récupérez jamais ces années », témoigne un travailleur humanitaire anonyme pour The Guardian.


Les difficultés à concilier la sphère familiale et la sphère professionnelle sont liées à la plus grande indisponibilité, aussi bien physique que psychique, des travailleurs humanitaires auprès de leurs proches. Ainsi, il semble complexe d’entretenir une vie de couple lorsque des personnes sont séparées pendant des semaines, voire des mois ; que les modes de communication sont limités, le réseau de mauvaise qualité dans certains endroits du globe et que le décalage horaire est trop important. À cela s’ajoute la charge mentale importante portée par les conjoints, le risque d’attentats à l’égard des humanitaires et la pression engendrée par les situations d’urgence pouvant avoir un impact sur la stabilité des couples. Pour Dominique Thierry, président d’honneur de France Bénévolat, le constat est sans appel : l’indispensable conciliation entre l’engagement et la vie familiale n’est pas assez prise en compte dans le monde associatif.


Paradoxalement, malgré les incertitudes sur l’accommodation entre amour et humanitaire, certaines organisations non gouvernementales (ONG) conseillent aux jeunes couples de partir en mission pour consolider leur mariage. Dès lors, les missions humanitaires sont-elles compatibles avec une vie amoureuse ?


Trouver l’amour en mission humanitaire


Selon Lisa Ouss-Ryngaert, consultante à Médecins Sans Frontières s’étant intéressée aux relations amoureuses en terrain humanitaire, l’expérience d’expatriation favorise la relation amoureuse car « cela lève les barrières, pas les interdits ; ça autorise les folies, les égarements, les tentatives ». Dans ses recherches, elle fait le lien entre le coup de foudre et la rencontre avec l’étranger en mission humanitaire, en ce que cette dernière peut être assimilée à une rencontre avec sa propre altérité. De plus, elle affirme que les motivations du départ en terrain humanitaire ne sont pas toujours reliées à des questions de vocation ou militantes, mais peuvent relever de mécanismes de « sublimation, formation réactionnelle, idéalisation, réparation, culpabilité, écriture d’un roman familial (…) ».


Aussi, il semble de plus en plus facile de créer des relations sentimentales sur le terrain grâce à la multiplication des interactions sociales dans le domaine de l’expatriation. Si le départ des humanitaires est parfois motivé par la volonté de réécrire sa vie, cela est rendu possible par les fêtes et les soirées de rencontre qui sont organisées au sein des guest houses, parfois assimilées à des « dortoirs universitaires ». Il est en effet nécessaire de favoriser l’émergence d’une vie sociale à l’étranger en dehors de sa vie professionnelle puisque le secteur de l’urgence humanitaire est vecteur de stress et d'événements traumatisants. Ainsi, nombreux sont les couples qui se rencontrent lors de ces fêtes privées, réservées aux humanitaires en raison des restrictions de déplacement dans les pays en situation de guerre. Grâce à de tels évènements, les humanitaires cassent le sentiment d’isolement social que beaucoup regrettent. D’ailleurs, certaines ONG, comme Mercy Ships, mettent de plus en plus en avant des témoignages de bénévoles tombés amoureux en mission, ce qui permet de croire en la compatibilité entre amour et travail chez les humanitaires.


Partir en mission en famille ?


Le milieu de l’action humanitaire est un secteur vivant, qui s’adapte aux besoins des bénéficiaires, mais aussi à ceux des professionnels. Il y a quelques années, l’image du « célibataire géographique » vivant loin de sa famille une grande partie de l’année faisait partie intégrante de la culture de l’action humanitaire. Mais force est de constater une évolution significative du secteur en la matière, à la demande des humanitaires de terrain.


De plus en plus d’ONG et autres organisations internationales proposent en effet des « packs familles », permettant aux humanitaires de se rendre en mission en famille et offrant de nombreux avantages. Outre la prise en charge des frais de logement et des frais de déplacement entre le pays d’origine et le pays de la mission pour l’ensemble de la famille, les organisations prennent ainsi en charge une partie des frais scolaires des enfants du couple s’ils en ont. Les familles sont par ailleurs logées dans des logements distincts des guest houses, afin de répondre à leurs besoins spécifiques.

Ces packs familles ne sont pas sans rappeler les offres faites dans les grandes entreprises pour fidéliser leurs employés ou les encourager à prendre des postes parfois peu engageants. Cette similitude rend ainsi indéniable le fait que le milieu de l’humanitaire emprunte de plus en plus aux codes des entreprises ou au secteur militaire, ici à l’avantage des humanitaires de terrain.


Ces offres sont généralement réservées aux postes de chefs de mission ou de coordinateurs terrain ou pays, souvent occupés par des humanitaires ayant une grande expérience du terrain et des zones dans lesquelles ils travaillent. D’autres initiatives d’ONG visent toutefois à laisser une plus grande place à la vie de famille de leurs employés.


Plusieurs organisations, surtout confessionnelles, proposent en effet à des familles entières de se rendre en mission pour « transmettre [aux] enfants les valeurs du partage, de la générosité, de l’ouverture aux autres » ou encore « vivre un engagement fort au service des plus pauvres ». D’autres promeuvent ces missions comme des moyens pour les familles « d’apprendre et de grandir ensemble ». Si l’opportunité et le motif de telles missions, que d’aucuns pourraient qualifier de « vacances en famille », peut interroger, le constat est sans appel : il est bien possible d’avoir une vie amoureuse et familiale tout en travaillant dans le secteur de l’humanitaire.


Se dégage ainsi une claire évolution du secteur de l’humanitaire vis-à-vis des relations personnelles et ces dernières sont, d’une certaine manière, conciliables avec la vie professionnelle d’humanitaires de terrain. Les offres d’emploi de postes qualifiés précisent désormais si la mission est ouverte aux familles, et des aménagements importants sont mis en place afin de rendre compatible les deux.

Il est néanmoins important de noter que le secteur de l’humanitaire demeure un secteur particulier pour ses travailleurs, en particulier lorsqu’ils sont déployés sur le terrain. C’est un secteur attractif où les biais cognitifs sont importants : avec les nouvelles technologies est donc apparu un phénomène nouveau, celui des bénévoles partant en voyage humanitaire, semble-t-il, dans le but principal d’en faire l’affichage sur les réseaux sociaux et sites de rencontre. Le même biais se retrouve chez les familles qui souhaitent faire du bénévolat pendant « une semaine ou deux » dans un « pays d’Afrique ».

Dès lors, s’il n’est plus incompatible de développer et d’entretenir des relations personnelles en travaillant dans l’humanitaire, il ne faut pas pour autant que cela se fasse au détriment des bénéficiaires et des missions menées.

Léa Ivoule Moussa & Louise Poelaert


Image © - Croix rouge canadienne








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