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Emma Savignard & Morgane Paris

L’IMPUNITÉ DU GROUPE PARAMILITAIRE WAGNER DANS LE MONDE : L’EXEMPLE DE LA CENTRAFRIQUE

Dernière mise à jour : 9 févr. 2023


Photos présumées de sociétés militaires privées (SMP) russes à Akerbat, en Syrie, en 2017. Les responsables militaires russes avaient confirmé l'implication de la Russie et de Wagner dans l'offensive menée.

13 morts à la suite [d’]exécutions sommaires près de Bossangoa le 21 juillet 2021, détentions arbitraires, torture et exécutions extrajudiciaires à Alindao entre juin et août 2021. Ceci n’est qu’une infime partie des abus commis par les membres du commando Wagner en République Centrafricaine. Si de nombreux groupes paramilitaires existent dans le monde, celui-ci est un des plus connus et des plus actifs.


Loin d’être un célèbre compositeur allemand, l’opinion publique assimile également ce nom à une société de mercenaires russes. Celle-ci a été créé par Dimitri Outkine et Evguéni Prigojine, le premier étant ancien officier du renseignement militaire russe distingué par Vladimir Poutine; le second, un oligarque proche du Président russe, responsable des principales finances de l’organisation. Ce groupe paramilitaire privé intervient dans le « sillage de l’armée russe » comme « armée de l’ombre ». Il est notamment présent en Syrie, en Ukraine ou en Centrafrique (un des principaux centres d’opérations du groupe).


Depuis le début de la guerre civile en République Centrafricaine en 2013, le pouvoir en place ne contrôle que 20% du territoire, le reste étant sous le contrôle des 14 milices qui se partagent le territoire et commettent fréquemment des tueries. Par ailleurs, le pays est en proie à une extrême pauvreté. Au regard de l’indice de développement humain développé par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Centrafrique est classée 188ème au monde sur 191. Malgré la présence de plus de 12 000 hommes de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA), la situation évolue difficilement. L’intervention militaire française de 2013 à 2016 avec l’opération Sangaris n’a pas permis de faire cesser les combats entre milices. Le retrait anticipé de la France et les relations devenues difficiles entre ces États favorisent ainsi un rapprochement entre la Russie et le Président Centrafricain, Faustin-Archange Touadéra.


Le groupe Wagner, implanté depuis 2018 à la demande de ce dernier, s’est rendu au fil des mois indispensable au réarmement et à la reconstruction du pays. En l'occurrence, le déploiement des mercenaires de Wagner intervient dans de multiples domaines. Le groupe assure notamment la protection personnelle du Président de la République Centrafricaine et en outre, le conseiller à la sécurité du président est russe. Au niveau politique, la Russie a initié un nouveau processus de paix avec les accords de Khartoum afin de tenter de réconcilier les différentes milices qui se partagent le territoire. Or, l’intervention de la Russie ne se limite pas à de simples négociations. Dans le domaine commercial également, des entreprises minières associées à Wagner sont maintenant actives dans le pays. Pour contrôler l’opinion publique, les «musiciens» (nom donné aux membres du groupe Wagner) assurent une propagande médiatique à plusieurs niveaux: des monuments à la gloire de leurs combattants sont érigés, des chants glorifient les mercenaires et des films grands budgets rendent hommage à leurs actes. L’invasion russe du 24 février 2022 en Ukraine engendre une réaffectation des effectifs du groupe. Le nombre de mercenaires en Centrafrique y est passé de 2500 à 1200. Néanmoins, le gouvernement centrafricain est toujours dépendant de Wagner, à la fois politiquement, économiquement et militairement.


Pour autant, l’ONU accuse les membres de Wagner de harcèlement de civils en Centrafrique. En 2021, les renseignements français ont comptabilisé dans le pays plus de 200 exactions, notamment des violences sexuelles et des vols, ainsi que le pillage de maisons, de magasins, de mines et de marchés. Malgré les pièces rassemblées par les services de renseignements français ainsi que l’ONU, le groupe Wagner continue d’agir en toute impunité. De nombreuses difficultés pour faire cesser et sanctionner ces actions apparaissent : accumulation de preuves, qualification juridique du groupe au regard du droit international humanitaire (DIH), respect des principes fondamentaux du droit international. Pour conserver l'anonymat, les membres de Wagner prennent soin d’effacer l’ensemble des preuves qui pourraient les relier à une exaction: quand une offensive est menée, ils ne doivent laisser aucun ennemi, même potentiel. De plus, “les téléphones sont saisis, les antennes coupées, l’accès aux localités où les exactions ont été commises est empêché”. Ce fut le cas en février 2022, où des mercenaires de Wagner ont interdit aux patrouilles de l’ONU de se rendre librement à Aigbando, lieu où des crimes ont été perpétrés contre les civils.


L’identification des « musiciens » est difficile voire impossible puisque leur visage est camouflé. Ainsi, les possibilités d’amener les membres du groupe devant la justice pénale internationale sont faibles. Au regard des règles du droit international humanitaire, le groupe paramilitaire est inclassable. Ce groupe n’entre pas dans la définition de mercenaire énoncée dans le Premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève. Le groupe pourrait être assimilé à la notion de sociétés militaires privées mais celle-ci n’est pas définie en DIH. Dans son fonctionnement cependant, Wagner peut être assimilé à des forces armées régulières en raison de l’utilisation de matériel militaire, attribution de matricule aux membres du groupe, octroi de médaille d’honneur pour les récompenses et installation de leur base à proximité d’une base militaire russe. En s'appuyant sur l’armée centrafricaine et d’autres forces engagées localement, Wagner entretient le flou. En effet, la supposée appartenance à un groupe armé rebelle permet aux de Wagner de légitimer leurs exactions. L'expression « armée hybride qui échappe aux règles du droit international » est souvent évoquée pour qualifier ce groupe. Le groupe Wagner est, par ailleurs, une entreprise fantôme qui juridiquement, n'existe pas. Le mercenariat est illégal en Russie. Dès lors, admettre la possibilité de sanctionner le groupe équivaudrait à lui attribuer une existence juridique alors que la loi russe interdit la création de telles entités. En l’espèce, Vladimir Poutine pratique le déni de plausibilité, c’est-à-dire qu’il refuse de reconnaître les opérations menées par le groupe et leur responsabilité dans les exactions commises. Toutefois, le Président russe soutient le droit de travailler de ces sociétés militaires privées tant qu’elles respectent la loi nationale. Ainsi, le droit international humanitaire apparaît affaibli face à la mutation des conflits armés.


En Centrafrique, la présence du groupe Wagner est rendue possible par la volonté du président de faire appel à cette milice. En vertu de la souveraineté étatique, principe fondateur du droit international, il semble alors difficile d’intervenir de quelconque manière sur le territoire centrafricain sans bafouer les principes de non-ingérence et d’intégrité territoriale. Ainsi, la communauté internationale paraît avoir les mains liées pour sanctionner et stopper les agissements de Wagner, d’autant plus qu’une grande partie de l’opinion publique centrafricaine est favorable à la présence du groupe.


Pour faire cesser et sanctionner les agissements de Wagner, des enquêtes permettant de rapporter des preuves incriminant les membres du groupe sont indispensables. On constate cependant l’existence d’une culture du silence autour du sujet en Centrafrique, et plus généralement dans le monde. Les populations locales ont peur de témoigner et enfin, la mort de certains journalistes dans des conditions mystérieuses empêchent ces derniers d’enquêter convenablement sur le terrain.


Emma Savignard & Morgane Paris


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