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Exigence durable des projets de développement humain : le mirage des cités intelligentes

À l’heure de la mondialisation, les sociétés humaines font face collectivement à de nombreux enjeux interconnectés : expansion démographique, gestion équitable des ressources, soutenabilité des activités humaines et changement climatique. Vulnérables, les pays les moins développés se trouvent en première ligne pour relever ces défis. La question est donc légitimement posée sur les solutions apportées pour répondre à ces problématiques de long-terme. Aussi avons-nous vu émerger de Rio à Singapour en passant par Alger un flot de projets de villes nouvelles et d’îles artificielles high tech. Mais participent-ils réellement à l’aide des populations vulnérables ? Au Sénégal, c’est l’euphorie. Soucieux de faire du pays un acteur régional influent à l’horizon 2035, le président Macky Sall a levé le rideau sur le projet « Diamniadio Lake City ». Deux milliards d’euros doivent être injectés dans une ville au cœur de la ville : un véritable centre résidentiel, économique et financier qui désengorgera la capitale asphyxiée qu’est devenue Dakar. La transnationale SEMER, promoteur du projet, annonce en grandes pompes « l'eau courante et l'électricité pour tous, des écoles et hôpitaux de proximité, un trafic urbain bien organisé, des immeubles flamboyants, des emplois, des universités, des bibliothèques, des villes qui riment avec écologie et nature où il fait bon vivre ». Rien de moins ! La création d’une smart city connectée et écologique au cœur de l’Afrique de l’Ouest serait-elle finalement la clef de voute du développement humain au Sénégal ? L’argument laisse songeur. Le discours humanitaire sonne creux quand le rêve vendu n’est pas à portée de bourse : comptez minimum 22 000 euros pour un T3, là où plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Pour faire avaler la pilule, le politique promet un effet de ruissellement de la richesse. Les habitants du quartier de Ouakam, où fut érigé le Monument de la Renaissance africaine, l’attendent toujours. Des protestations y éclatent sporadiquement au grès des litiges fonciers provoqués par l’appétit des promoteurs immobiliers. À l’image de Diamniadio Lake City, ces constructions ghettoïsent la ville ; ils nient l’usage populaire de l’espace urbain en reléguant toujours plus loin les populations jugées indésirables. Le label écologique du chantier cache également une gestion chaotique des déchets domestiques à l’échelle du pays. Les espaces ruraux, centres névralgiques de la production de ressources agricoles et halieutiques, souffrent de la pollution des sols et de l’eau. Un désengagement des pouvoirs publics qui fragilise le tissu économique et social du Sénégal. Les effets sont amplifiés dans la capitale, où certains quartiers ne sont toujours pas reliés aux réseaux électriques, à l’eau courante et à l’assainissement. C’est que Diamniadio Lake City n’est pas pensée pour eux. La question est moins de répondre à la demande de la population locale que de se positionner sur l’offre internationale ; désormais, les cols blancs pourront choisir entre les fronts de mer de Casablanca, Marseille ou Dakar. Les acteurs sont pluriels, internationalisés et privés : quand Eiffage construit l’autoroute à péage qui permettra l’accès à Diamniado, Engie et Thalès s’occupent de la ligne ferroviaire. Les fonds levés, majoritairement auprès d’investisseurs émirats et chinois, appellent à la rentabilité et non à l’amélioration de la condition humaine. Le projet d’une cité intelligente et écologique reste bien loin des enjeux quotidiens des populations auprès desquelles il est implanté. Le critère écologique s’adresse avant tout à un public international et aisé. Les exigences de développement durable - économiquement vivable, socialement viable et écologiquement durable - ne sont pas respectées. Et rien ne laisse à penser qu’à l’autre bout du monde ces projets de développement puissent avoir un impact différent. En septembre 2011, les seize pays du Forum des Îles du Pacifique ont conjointement déclaréque le changement climatique était la plus grande menace pesant sur leur région. La montée des eaux pourrait compromettre de manière irréversible le peuplement de ces États insulaires : au-delà de la submersion des villages côtiers, la salinisation entrainera la dégradation des ressources d’eau potable et de terres arables. Faute de protection internationale pour les réfugiés climatiques, les seize pays ont demandé une étude des possibilités de déplacement des populations. Et la solution proposée par certains entrepreneurs est la construction d’îles artificielles flottantes sur le modèle des plateformes pétrolières. L’année dernière, l’association Seasteading Institute, basée en Californie, a convaincu la Polynésie française d’expérimenter ces cités flottantes sur la base d’un « projet pilote de la taille d’un terrain de football, pour environ 50 millions de dollars ». Plusieurs îles ont été visitées au sud de l’île de Tahiti et des études d’impact environnementales et économiques ont été délivrées. Le projet initial, tel que pensé par la Seasteading Institute, était de construire une île de 7 500 mètres carrés avec environ 200 résidences, des hôtels, des bureaux, des restaurants et terrains de sport. Si aucun accord n’a encore été entériné, plusieurs investisseurs - dont le fondateur de Pay Pal - se montrent intéressés, plaidant pour un taux d’imposition de… 0 %. Cette stratégie s’explique par la volonté de concurrencer les villes-mondes en attirant des investissements extérieurs vers des territoires dont l’économie est en marge de la mondialisation. Mais comme au Sénégal, plus de la moitié de la population polynésienne vit en dessous du seuil de pauvreté. Et un tel régime de défiscalisation ne permettrait pas de lever les financements publics nécessaires au développement d’infrastructures les protégeant, a contrario de villes comme Amsterdam, New York ou Tokyo qui usent de la solvabilité de leur propre population. Encore une fois, le projet avancé ne répond pas au profil de la population locale, ici vulnérable, mais s’adresse à des populations et entreprises internationales privilégiées. Ces mégaprojets de développement sont des mirages modernes : l’exigence de long-terme se fracasse sur l’exigence rapide de rentabilité. Duplicables à souhait, au grès des flux financiers, ils nient l’approche locale et l’association des populations concernées. À rebours de ces démarches, l’on peut citer le programme de la FAO pour le renforcement des coopératives agricoles au Niger, ou encore deux programmes sélectionnés par l’AFD lors du forum « 100 innovations pour un développement durable » ; tout d’abord, la réhabilitation de cours d’eau et forêts-galeries au Bénin pour sécuriser les activités agricoles, d’apiculture et de cueillette ; ensuite, le développement de la microfinance pour favoriser l’investissement dans une électrification rurale décentralisée au Cameroun. La clef de lecture est l’approche contextualisée : l’investissement privé peut être bénéfique s’il est domestiqué. Mais c’est sur un autre terrain, loin des sirènes des ghettos aisés des grandes capitales, que les initiatives efficaces par et pour les populations vulnérables naissent durablement.


Marie Reïssi et Paul Reïssi

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