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Agathe Claverie-Forgues

HAÏTI : L’EXPLOSION DES VIOLENCES ALIMENTÉE PAR UNE SUPERPOSITION DE CRISES SANITAIRE ET ALIMENTAIRE

Dernière mise à jour : 3 mars 2022



Le 1er janvier 1804, Haïti devient la première République noire libre du monde et devient la seule révolte d’esclaves victorieuse de l’Histoire. Malgré tout, Haïti va devenir l’État le plus pauvre d’Amérique latine et des Caraïbes, enchaînant des périodes d’instabilité, de turbulences socio-politiques, de récessions économiques et de catastrophes naturelles dévastatrices.


Après l’assassinat de l’ancien président, Jovenel Moïse, à Pétion-Ville, l’été 2021 a été marqué par l’explosion des violences, illustrant le manque de contrôle de l’État sur son territoire. En effet, cette violence est le fait de groupes criminels financés par de puissants chefs d’entreprise, dirigeants politiques et trafiquant de drogues. Selon les Nations Unies, en juin 2021, on comptait plus de 90 groupes armés qui opéraient dans les pays et contrôlaient plus de la moitié de la capitale, Port-au-Prince. Les kidnappings, meurtres, viols, blocage de routes, pénurie de carburant et tous les actes de violences contre la population ont installé un sentiment d’insécurité général sur l’île.

Cet assassinat est intervenu à la suite de nombreuses manifestations, prenant l’allure d’une lutte des classes, afin de protester contre des affaires de corruption. Les institutions politiques sont marquées par la faiblesse du cadre institutionnel et judiciaire, permettant ainsi l’impunité des auteurs de violations des droits humains. Cette faiblesse est liée à l’insuffisance des lois pouvant assurer le contrôle de la société haïtienne, actuellement dans l’« anarchie totale » : plutôt qu’encourager la codification des relations internes, les dirigeants émettent des lois pour fixer les relations que le pays entretient avec l’extérieur. Ces institutions subissent également une limitation de leurs ressources financières et humaines, leur empêchant d’offrir un service de qualité et de lutte contre le phénomène de paupérisation de sa population.


Effectivement, environ 40% de la population haïtienne a besoin d’une assistance humanitaire aujourd’hui, classant le pays en position de 169 sur 189 sur l’indice de développement humain. Cette crise s’explique par la baisse de la production agricole, causée en partie par la sécheresse, de la hausse des prix des produits de base et de l’accessibilité aux denrées alimentaires pour les plus pauvres. En effet, 60% de la population rurale tire ses moyens d’existence de l’agriculture, la pêche ou de l’élevage.

LIntegrated Food Security Phase classe 14% de la population dans la phase 4 et 30% dans la phase 3, sur une échelle allant de 1 à 5, pour la période de septembre 2021 à janvier 2022. À titre d’illustration, Apelus Setout, un agriculteur de la localité de Katelan située sur la commune de Jean Rabel, a témoigné à propos de cette crise alimentaire : « Les cultures souffrent du manque de précipitations et le bétail se meurt faut de fourrage, d’accès aux soins et d’accès à l’eau ».


S’ajoute à ce contexte de crise alimentaire et ses tensions politiques, un nouveau séisme, le 14 août 2021, faisant au total 2 200 décès et 12 000 blessés. Sans oublier le passage de la tempête tropicale Laura le 23 août 2020, qui avait déjà causé des inondations engendrant des destructions et dommages à de nombreuses maisons, écoles, routes et autres infrastructures.

Ces catastrophes naturelles participent à la dégradation de la sécurité alimentaire des populations, en particulier des communautés rurales dont les moyens d’exister dépendent principalement de l’agriculture. En effet, cette faible production rend les conditions de vie dans les zones rurales particulièrement difficiles et aggrave encore la pauvreté, l’analphabétisme et les problèmes de santé, touchant en particulier les femmes dans leurs activités domestiques et leurs efforts pour la survie de la famille.


À tout cela, il convient également de mentionner la crise sanitaire que traverse le pays avec la pandémie de la COVID-19, qui a mis en évidence les limites de l’accès aux services de soins de santé et au service d’eau et d’hygiène. Même si l’île recense seulement 29 907 cas de contaminations et 807 décès depuis le début de la pandémie, cela est dû principalement à l’utilisation de la médecine traditionnelle. En effet, pour la population haïtienne, se soigner est un luxe réservé à seulement 60% d’entre eux. Toutefois, cela a provoqué une baisse d’immunisation, une recrudescence des cas de maladies diarrhéiques, la principale cause de malnutrition chez les enfants de moins de 5 ans, et une augmentation de la mortalité maternelle.


Toutefois, la population haïtienne ne manque pas de courage, de solidarité et de combativité lors de toutes ces crises, qui permettent à Haïti d’exister et de continuer à exister. En effet, immédiatement après le passage du séisme, tous les médecins, infirmiers et étudiants en médecine de Port-Prince sont venus dans le nord en prenant le risque de rencontrer des groupes armés.


Pour toutes ces raisons, il est nécessaire que les dirigeants par intérim s’accordent sur les axes prioritaires pour lutter contre les violences alimentées par une superposition de crises sanitaires et alimentaires. Elison Dufreine, coordinateur d’une association locale d’agriculture et de commerçants, met l’accès sur les potentialités économiques et agricoles du bas nord-ouest et de ses ressources mais selon lui, « un appui matériel et technique et une meilleure mise en réseau des acteurs du secteur permettraient de redynamiser la production locale ».

Agathe Claverie-Forgues

Image © - AP Photo/Rodrigo Abd

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