« Je n’ai rien contre les ONG, nous avons besoin d’elles. Mais nous devons savoir ce qu’elles font de notre pays, les contrôler. », explique Jean-Max Bellerive, Premier ministre haïtien de 2009 à 2011. Haïti est un pays des Grandes Antilles, le tiers occidental de l’île Hispaniola, appelé plus communément le « tiers maudit ». Le pays tient son nom de la frontière qu'il partage avec la République Dominicaine qui elle, est classée 90ème par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). L’inégalité entre les deux voisins est assez flagrante, le produit intérieur brut par habitant y est sept fois plus élevé qu’en Haïti. Haïti est l’un des pays les plus pauvres du globe puisqu’un haïtien sur trois est sous-alimenté et a sa place dans le classement des 10 États les plus fragiles au monde. Sa situation est aggravée par la fréquence des pluies torrentielles et des inondations (favorisées par la déforestation), les cyclones, les ouragans et surtout les séismes. En effet, l’île se trouve à la jonction entre deux plaques tectoniques : la plaque caraïbe et nord-américaine. Cela a causé un séisme dévastateur, le 12 janvier 2010, atteignant une magnitude 7 sur l’échelle de Richter. Malgré son surnom de perle des Antilles, Haïti est sous perfusion de l’aide humanitaire : après le séisme détruisant la capitale de Port-au-Prince causant 8 milliards de dollars de dégâts, le pays dépend encore des bailleurs de fonds et de l'aide humanitaire pour survivre. Suite à cette catastrophe, Haïti a accueilli un grand nombre de travailleurs humanitaires, des forces militaires d’une soixantaine de pays, a récolté 9 milliards de dollars de dons et a obtenu la prolongation de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Malgré l’afflux massif d’aides variées, le pays n’a toujours pas pu se reconstruire. En effet, la majeure partie de la population vit toujours dans des conditions déplorables, dans des camps provisoires, et doit faire face à une épidémie de choléra. Celle-ci a été introduite par des casques bleus népalais, porteurs sains de la maladie, qui auraient - par le biais des eaux usées et des matières fécales - souillé l’affluent de l’Artibonite, rivière proche du campement de la MINUSTAH. L'épidémiologiste Renaud Piarroux affirme: « [qu'] entre 2010 et 2012, il y a eu plus de cas en Haïti que dans l’Afrique toute entière. » engendrant en août 2016, la mort de 10 000 individus et 800 000 malades.
Dans quelles mesures l’action des ONG est-elle fondamentale mais incomplète dans la reconstruction de l’État haïtien ?
Plusieurs pays donateurs ainsi que des institutions internationales ont fait le choix de financer divers projets qu'elles présentent et administrent elles-mêmes, plutôt que de verser leurs aides directement au gouvernement haïtien, ce qui a pour conséquence de lui ôter la responsabilité de la gestion de son propre pays. En effet, seulement 1% des dons récoltés suite au tremblement de terre est parvenu jusqu’au gouvernement haïtien sur les 2,4 milliards de dollars. En outre, les États ayant promis de faire un don, décomptent du prix annoncé leur coût de déplacement, de matériel et des personnes sollicitées. En ce sens, la France a même fait le choix de déduire la dette haïtienne de son don. À titre d’exemple, les États-Unis ont consenti une aide de 379 millions de dollars et ont envoyé 5 000 soldats mais, il a été découvert que 33 centimes de chacun de ces dollars avaient en fait été rendus directement aux États-Unis pour compenser le coût de l’envoi des troupes militaires. Pour chaque dollar, 42 centimes ont été envoyés à des ONG publiques et privées. Les ONG fonctionnent sur un modèle analogue puisqu’une majorité de leurs fonds permettent de financer leurs billets d’avion, logements et frais annexes. Dans cette continuité, la faiblesse de l’État haïtien se justifie par le fait que les milliers d’ONG - passant de 400 recensées à 10 000 en l’espace d’une quinzaine de jours - se sont substituées au gouvernement le rendant défaillant, et à cela s’ajoute la corruption et l’instabilité politique. Le gouvernement haïtien n’a absolument pas été mis à contribution dans le cadre de l’intervention d’urgence menée par les États-Unis et, plus largement, par la communauté internationale. Dans le même sens, l’ONG Refugees International a indiqué que leurs collaborateurs sur place avaient eu du mal à accéder aux réunions opérationnelles organisées dans le complexe des Nations Unies et que la plupart des réunions de coordination de l’aide internationale n’étaient pas traduites en créole. L’augmentation fulgurante d’ONG a créé une confusion sans précédent car le gouvernement n’avait aucune connaissance de leurs activités ni de la durée de leur présence ce qui a conduit à une absence de coordination et un véritable cirque humanitaire. La gestion des actions menées par les ONG fait preuve d’une certaine opacité puisque 80% des ONG ont refusé de dévoiler leurs comptes. Cette déficience est également corroborée par le fait que les ONG ne prennent pas en compte l’impact de la société civile alors même que l’esprit de fierté nationale est omniprésent du fait de l’histoire, de la culture et du patrimoine du pays. L’urgence a immédiatement été gérée par les personnes sur place, à savoir les haïtiens eux-mêmes, mais dès le lendemain du séisme, des milliers d’ONG sont apparues sans connaissance suffisante des lieux, évinçant le travail d’une société civile solidaire. Cette aide directe, durant trois jours et trois nuits, s’est rapidement mise en place sans aucun soutien de l’État, de la MINUSTAH ni de l’aide internationale. Il était essentiel à ce stade, de greffer une aide extérieure afin que joue une véritable complémentarité en collaborant avec les haïtiens. Cependant, selon Jean-Max Bellerive, dans le documentaire de Raoul Peck, « Assistance Mortelle », de 2012 : « La ligne entre ingérence, appui et support est très fine. ». En outre, les organismes ciblent mal leurs interventions multipliant les petits projets de construction. Les véritables problèmes sont contournés: les haïtiens n’ont pas forcément besoin d’autres écoles mais surtout d’un système éducatif permettant à tous les élèves de bénéficier d’un accès à l'éducation. Ces projets sont bien évidemment très coûteux mais au regard de la totalité des dons récoltés, il est nécessaire d’adopter une approche sur le long terme. La construction de ces infrastructures aurait pu permettre à l’État haïtien de s’affirmer. Les ONG sont davantage occupées à assurer la survie des haïtiens plutôt que de trouver des solutions durables pour reconstruire le pays. Parallèlement à l’action d’urgence, il aurait été nécessaire de favoriser l’aide au développement puisque les populations ont été logées dans des tentes sur des terrains vagues: cette situation temporaire a duré finalement plusieurs années. Les projets de construction ont laissé place à des maisons inadaptées à l’environnement haïtien, non-étanches et insalubres. Malgré la prolifération des ONG, associations et institutions sur place qui est bien évidemment indispensable, l’État haïtien est toujours dépendant de l’aide internationale et ne parvient pas à se reconstruire en raison de l’instabilité politique et l’exposition aux risques climatiques. Pour parvenir à une reconstruction effective, les ONG doivent agir de concert afin de ne pas empiéter sur les actions des unes et des autres et leur statut doit être plus transparent. Il est également impératif de prévoir une politique à double dynamique, c’est-à-dire axée sur l’urgence et le développement joignant simultanément l’aide à court et long terme permettant à l’État de gérer sa propre politique et son propre territoire. Une raison de l’échec des programmes de la coopération internationale est la mise à l’écart systématique de l’État haïtien, ce qui renforce plus encore les problèmes de pénurie des ressources étatiques. Ainsi, il est essentiel de mettre en œuvre des programmes qui favorisent le développement des capacités de l’État haïtien lui-même, de telle sorte qu’il sera capable de gérer les ressources externes et fournir de véritables services publics à ses citoyens pour sortir de la dépendance internationale.
Amélie Mauboussin
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