« Les membres du Conseil de Sécurité ont fait part de l’inquiétude que leur inspirait l’impasse politique dans laquelle se trouve actuellement Haïti », a déclaré le 8 janvier dernier M. DANG DINH QUY, Président du Conseil de Sécurité pour le mois de janvier 2020. Il y a quelques semaines, l’île a célébré le triste anniversaire du tremblement de terre qui l’a dévastée le 12 janvier 2010, il y a 10 ans maintenant. Le terrible évènement avait été très médiatisé et la communauté internationale avait réagi pour tenter de faire face aux conséquences de cette catastrophe naturelle. Déplorant des milliers de morts, le pays entier peine encore aujourd’hui à se relever des pertes et des destructions. La catastrophe n’a cependant fait qu’aggraver une situation et un climat de tensions latentes ancrés depuis longtemps, fragilisant davantage le pays. Un des aspects les plus marquants de cette instabilité reste l’histoire politique d’Haïti, mouvementée depuis des dizaines d’années. En effet, si le sol a tremblé en 2010, cela ne fut que le reflet d’une société haïtienne qui elle-même tremble et vacille depuis des dizaines d’années, secouée par les coups d’Etat sanglants, les scandales politiques réguliers, les violences, les répressions mais aussi agitée par des nouvelles formes de violence et de pouvoirs sous-jacents animés notamment par des gangs. À la demande du gouvernement provisoire de l’époque, les Nations unies avaient commencé à intervenir en Haïti en 1990 pour sécuriser la préparation et la tenue des élections dans le pays. Depuis, les missions, et notamment celles de maintien de la paix, se sont succédées au fil du temps, avec des mandats ayant plus ou moins d’amplitude. Désormais l’ONU détient un mandat davantage diplomatique, avec des missions politiques et d’engagement de bons offices. Un nouveau mouvement de contestation : le « pays lock » En dépit des apparences données par la nature de la mission actuelle des Nations unies, les derniers mois de l’année 2019 ont vu l’île devenir le théâtre d’un mouvement de contestations violentes sans précédent : celui du « pays lock » signifiant pays bloqué en créole. À la source de cette initiative, une protestation profonde contre les politiques actuels et notamment contre le président Jovenel Moïse. Les scandales à son propos ont commencé à éclater peu après son élection, exacerbant le mécontentement de la population. En effet, le président a même été épinglé par la Cour Supérieure des Comptes, qui le soupçonne d’être personnellement impliqué dans des affaires de corruption et de détournement de fonds (notamment d’aide au développement) dans un rapport rendu en juin dernier. Les routes ont été bloquées par des barricades de pierre, d’arbres et de pneus en flamme empêchant la libre circulation des personnes. De violentes manifestations ont obligé les écoles et les commerces à fermer par mesure de sécurité. Le fonctionnement des activités de production et des services publics ont également été malmenés, même le corps de la santé a été délibérément mis en difficulté. La paralysie a été totale : c’est tout le pays qui a été impacté, aussi bien les villes que les provinces. Les conséquences pour les haïtiens ont été graves, voire sinistres. « Dans le passé, nous avons eu notre lot de catastrophes, mais jamais nous n'avions été attaqués. C'est comme s'il n'y avait plus d'espoir dans ce pays, la vie nous a quittés. » témoigne Miss André, responsable du service pédiatrique de l’hôpital Immaculée Conception des Cayes. Ce dernier a connu de graves dysfonctionnements et a été contraint de fermer plusieurs jours du fait de pénuries de matériels médicaux et de saccages des locaux. Aujourd’hui, les barricades ne sont plus, les violences ont plus ou moins cessé, mais les armes n’ont pas disparu et le bras de fer politique continue. La situation économique semble embourber le pays dans l’insécurité alimentaire et la misère : 1 haïtien sur 3 aurait besoin d’une assistance alimentaire d’urgence selon l’ONU. Le pays bénéficie d’ailleurs du soutien du Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies. Un état de crise toujours actuel Enfin, la démocratie dans le pays est mise à mal : faute d’élections organisées avant la date de fin du mandat des députés, le Parlement haïtien est devenu caduc depuis le 13 janvier dernier. Le Président pourtant très contesté peut désormais gouverner par décret. Il a entériné la situation en parlant publiquement sur ses réseaux sociaux de ce vide institutionnel comme « d’une opportunité historique pour que, nous les forces vives, nous nous mettions ensemble pour parvenir à trouver la bonne direction pour le pays. ». Les institutions étatiques et le fonctionnement du pays est lui-même affaibli. Les semaines et les mois à venir seront certainement déterminants pour l’île qui reste marquée au fer rouge par cette instabilité. Le 14 février dernier, même si la question ne se pose plus aujourd’hui depuis la crise sanitaire mondiale qui nous touche, le Quai d’Orsay avait déjà recommandé de reporter tout voyage sur l’île pour des raisons de sécurité « […] l’évolution de la situation reste très incertaine et le niveau d’insécurité élevé. En particulier, le pays connait, depuis le mois de janvier, une forte augmentation du nombre des enlèvements contre rançon. Il est donc fortement recommandé de reporter tout voyage jusqu’à nouvel ordre. […] ». À la fin du mois de février dernier, Mme La Lime, la Représentante spéciale du Secrétariat général de l’ONU en Haïti, s’exprimait sur la stagnation des négociations politiques qui représentait une « menace de prolonger inutilement une situation qui a déjà duré trop longtemps. ». À ce propos, le président haïtien a nommé le 2 mars un nouveau Premier Ministre : Joute Joseph. Pour Jovenel Moïse, c’est un premier pas vers l’apaisement : il l’a appelé « […] à former, dans les meilleurs délais, un gouvernement d’ouverture et de consensus, capable de répondre aux urgences […]. ».
Célia Scalabrino
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