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HUMANITAIRE ET NOUVELLES TECHNOLOGIES : QUELLES AVANCÉES ?

Dernière mise à jour : 29 nov. 2020

Aujourd’hui, pour les acteurs de la solidarité internationale, l’innovation n’est pas un phénomène nouveau. En effet, la création de la prothèse en bambou par Handicap International dans les années 1980 au bénéfice des réfugiés cambodgiens, la création par Nutriset du Plumpy’Nut avec Action contre la Faim ou encore les diverses méthodes développées par Oxfam pour l’apport en eau d’urgence, démontrent de ce phénomène. La nouveauté réside dans le fait que l’innovation, notamment technologique, semble présentement s’ériger en tant que préoccupation stratégique au sein de l’action humanitaire dans son ensemble. Cet objectif a notamment été affirmé comme l’un des principaux vecteurs de changement lors de l’Agenda pour l’Humanité des Nations Unies de 2016. L’innovation technologique est ainsi disposée à permettre au secteur de l’humanitaire de pouvoir agir pour le plus grand nombre et sur davantage de pans, et cela, à moindre coût. En ce sens, les technologies de l’information et de la communication (TIC) permettraient d’accroître l’anticipation des crises tout en améliorant la rapidité et l’efficacité des réponses apportées à une plus grande échelle. C’est en effet ce qu’a permis la diffusion du téléphone mobile dans les pays en développement puisque les prises en charge médicales tout comme la gestion des crises alimentaires s’en sont trouvées grandement améliorées de par la collecte de données qui en a résulté. Dès lors, ce que l’on a nommé les opérations de « santé mobile » se sont rapidement multipliées et ont contrecarré pour partie certaines difficultés - notamment dans certains pays d’Afrique à faible revenu - liées à l’accessibilité aux services de santé et le manque de ressources médicales. Il semble pertinent d’évoquer également le rôle non négligeable des TIC au sein de la cartographie de crise puisque dès 2008 fut lancé le principe de « crowdsourcing », ou production participative, dans le domaine de la cartographie dite sociale. Le point de départ semble être la création du site « ushahidi » ainsi que de son logiciel opensource développés par l’activiste Kényane Ory Okolloh face aux violences qui suivirent les élections générales du Kenya. Ainsi, cet outil permettait aux populations proches des zones de conflit de visualiser les points dangereux par la description et la géolocalisation, par SMS ou Internet, des situations dont étaient témoins certains citoyens. Ce logiciel a ensuite été utilisé par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies à la suite du séisme à Haïti pour faciliter l’aide aux sinistrés, ou encore en 2011 durant l’intervention militaire en Libye par l’ONU afin de coordonner l’aide humanitaire. De même, furent décisifs dans la lutte contre la propagation du virus Ebola, l’imagerie par satellite ou par drone, tout autant que les analyses des mégadonnées fournies par les plateformes collaboratives comme OpenStreetMap. Cette dernière ayant en effet permis de cartographier les zones vulnérables et traduisant des bénéfices directs de la néogéographie consistant à produire des données cartographiques rapidement par la participation d’amateurs plutôt que par des professionnels. Le rôle des drones s’est également considérablement diversifié puisqu'ils trouvent sens dans la collecte de données, la contribution à la recherche et au sauvetage mais aussi lors de la livraison de marchandises. Ainsi, le Rwanda, en collaboration avec la start-up Zipline, a élaboré un système de drones pour la livraison de médicaments mais également de poches de sang en moins de 30 minutes au bénéfice des cliniques isolées du pays. En parallèle, de nouvelles technologies transformatrices voient le jour et s’immiscent progressivement dans l’aide humanitaire. C’est notamment le cas de l’impression 3D comme en démontre le projet de l’ONG Handicap International en 2017 lors de la fabrication de prothèses et orthèses en Afrique de l’Ouest, ou celui de Field Ready pour l’impression d’outils de première nécessité - tel que du matériels agricoles - réinventant par la même occasion la chaîne d’approvisionnement en cas d’urgence humanitaire. Même si les dernières études en date démontrent que les nouvelles technologies permettent à l’action humanitaire de se développer davantage, celles-ci ne demeurent pas moins facteurs de certains risques à prendre en considération lors de leur développement puis de leur application. La fulgurante croissance numérique constitue en effet une « aubaine » mais peut s’avérer être un vecteur de déstabilisation pour les bénéficiaires souvent en grande précarité. Il est en effet plausible que la différence d’accès à ces nouvelles technologies engendre une nouvelle forme de fracture numérique causant elle-même un énième vecteur de vulnérabilité. Il convient donc de prendre en compte ce volet afin d’appliquer ce slogan des Nations Unies: « No-one left behind ». Aujourd’hui, même si les technologies numériques demeurent l’une des façons les plus efficaces afin d’améliorer les systèmes de santé dans les pays en développement, il convient de remarquer qu’une minorité de projets parvient à dépasser la phase pilote. Cela est dû à une faible modularité, une fragmentation des bailleurs de fonds mais surtout à des écosystèmes numériques trop fragiles dans les pays en développement pour soutenir la transformation numérique du système de santé. De plus certains usages des nouvelles technologies posent des questions cruciales sur le respect de l’impératif humanitaire de ne pas nuire - do not harm - notamment en ce qui concerne la protection des données des personnes bénéficiaires. Il semble urgent d’élaborer au plus vite un cadre juridique et éthique afin de garantir une certaine sécurité aux populations concernées. L’affaire Red Rose - logiciel du CICR procédant à une vérification des données d’un bénéficiaire pour lui attribuer rapidement une aide adaptée - a en effet démontré par son piratage qu’une plateforme utilisée par plus d’une dizaine de grandes ONG et agences des Nations Unies pouvait être piratée. Elle demeure à ce titre un bon exemple de l’encadrement dont doivent faire l’objet les populations bénéficiaires des nouvelles technologies dans le secteur humanitaire. Néanmoins, ces diverses failles en matière de protection des données personnelles demeurent, dans le secteur humanitaire, un sujet encore trop peu abordé tout comme l’absence totale de professionnalisation en matière de gestion des données et d’utilisation des TIC. La maîtrise de ces dernières se doit toutefois d’être considérée comme une compétence primordiale au sein des diverses organisations humanitaires pour que la révolution numérique en cours soit pleinement bénéfique aux populations en difficultés. À ce jour, il n’existe aucune norme technique minimale sur le terrain ni de propositions détaillant de potentielles modalités d’application. Ainsi, trois mesures semblent nécessaires afin de pallier à ce manque : - Déterminer a minima les droits en matière d’information dont doivent bénéficier les communautés touchées, mais également les obligations éthiques des professionnels comme semble le prévoir le projet « Signal Code » du programme Signal de la Harvard Humanitarian Initiative ; - Déterminer les activités et programmes humanitaires pouvant inclure la collecte, le stockage, la transmission de données, au sein des diverses actions humanitaires qui se doivent d’appliquer au plus vite ces normes techniques minimales (biométrie , télédétection, etc.) ; - Réunir les divers acteurs et bénéficiaires concernés et entamer l’élaboration progressive d’une feuille de route. Il semblerait aujourd’hui que le secteur de l’humanitaire, au-delà des préoccupations éthiques sus-évoquées, représente une source de développement économique au profit de l’industrie technologique en quête de partenaires de marque notamment pour soigner son image. Les entreprises de ce secteur peuvent également par ce biais tester leurs outils à grande échelle. Cependant, il semble essentiel de s’attarder à développer un modèle économique pouvant accorder aux populations les plus vulnérables les nouvelles technologies nécessaires tout en garantissant une indépendance d’action et de décision aux acteurs humanitaires par rapport au secteur privé. De ce qui précède, il ne peut être nié qu’avec le développement grandissant des nouvelles technologies « ce n’est pas seulement la culture humanitaire que l’on change, c’est aussi l’humain que l’on influence. ». L’utilisation de ces premières ne risque pas de s’atténuer dans un monde ou tout doit aller vite, progresser, et ce, à juste titre en matière d’action humanitaire. Néanmoins, comme l’évoque Étienne Klein « Le mot progrès est de moins en moins utilisé qu’il a même quasiment disparu des discours publics et qu’il s’y trouve remplacé par un mot qui n’est pourtant pas son synonyme : innovation. ». Effectivement, cette innovation, ici technologique, dont l’objet et d’améliorer la condition humaine n’accompagne pas toujours la notion de progrès qu’elle doit pourtant poursuivre.


Léo Zannier

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