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  • Photo du rédacteurNathan Michaud

KAZAKHSTAN : RÉPRESSION DES MANIFESTATIONS DE JANVIER PAR UNE INTERVENTION ARMÉE DE L'OTSC

Dernière mise à jour : 26 oct. 2022




Le début du mois de janvier 2022 a été marqué par des émeutes dans plusieurs grandes villes du Kazakhstan. Almaty, la capitale économique, a subi de nombreux dégâts, qu'ils soient humains ou matériels. À l'issue de ces révoltes, le président de la République, Kassym-Jomart Tokaïev, prenait part à une réunion extraordinaire du Conseil de l'Organisation de la Sécurité Collective le 11 janvier : « nous avons empêché une menace sérieuse pour la sécurité du pays. Dans le cadre de la lutte antiterroriste, nous essayons d'identifier les personnes qui ont commis ces crimes. Environ 8000 personnes sont actuellement détenues ».


Ces protestations trouvent leur origine dans la libéralisation soudaine du gaz naturel par le gouvernement le 1er janvier, provoquant la hausse manifeste des prix. Jusqu’alors, l'État avait un monopole pour plafonner les prix du gaz. Plus particulièrement, le GPL (Gaz de pétrole liquéfié), utilisé comme carburant pour de nombreuses voitures, a vu son prix doubler dans certaines régions du pays, notamment le nord-ouest. Si cette mesure interne a cristallisé certaines tensions, d'autres phénomènes plus internationaux sont également à prendre en compte. Certaines entreprises étrangères implantées dans le pays, chargées d'extraire et de vendre du gaz privilégient souvent l'export afin de vendre leurs produits à des meilleurs prix. Par conséquent, le pays se trouve dans une difficulté d'approvisionnement.

Le 2 janvier, plusieurs manifestations ont débuté à Zhanaozen et Aktau, dont l'activité économique repose essentiellement sur la production et la distribution de gaz. Une grande partie des ouvriers s’est insurgée, se sentant trahie par le gouvernement jugé responsable de l'augmentation des prix.

La crise du gaz n'est pas le seul élément déclencheur : certaines protestations sont le reflet d'un mécontentement global des travailleurs du pétrole, dix ans après le « massacre de Zhanaozen ». En 2011, des ouvriers kazakhs ont décidé de manifester pour une amélioration de leurs conditions de travail en occupant la place de la ville jour et nuit. Le 16 décembre 2011, une altercation a eu lieu entre les forces de l'ordre et certains manifestants, à l’issue de laquelle seize personnes sont décédées et une centaine de blessés a été signalée. Cette répression est la plus violente depuis l’indépendance du pays en 1991 ; le souvenir de ces évènements est ainsi solidement ancré chez certains kazakhs. En 2012, vingt-quatre personnes sont condamnées par le tribunal d'Aktau au motif de leur participation à ces émeutes, accentuant les tensions déjà présentes. Hugh Williamson, expert de l'Asie centrale auprès de Human Rights Watch, précisait ainsi qu'« [en réalité], les choses ne se sont pas améliorées dans l'ouest du Kazakhstan ni, en fait, pour les employés à travers le pays au cours de [l'année 2012]. ».

En 2022, Zhanaozen fut la première ville concernée par les manifestations. Les 4 et 5 janvier, plus de 24 manifestations ont été recensées dans le pays, certaines confrontations entre manifestants et autorités se soldant par des échanges de coups comme à Almaty ou Chymkent. Il a néanmoins été recensé que les manifestants ont eu un comportement pacifiste dans 95% des manifestations enregistrées. Afin de contrôler les émeutes, le 5 janvier 2022, un état d'urgence de deux semaines a été déclaré par le président Tokaïev.

Une intervention russe est prévue dans le pays par le biais de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), organisation politico-militaire comptant six membres de l’ex-URSS, après que le président kazakh a demandé à la Russie une assistance militaire dans le cadre de la « lutte anti-terroriste ». Pour appuyer sa demande, il a fait valoir que les autorités font face à des « groupes terroristes internationaux », évoquant alors « vingt mille criminels armés » dans la seule ville d’Almaty. Trois mille troupes russes sont alors déployées; il s'agit de la première opération de maintien de la paix de l'organisation. À cette même période, Tokaïev autorise les forces de maintien de l'ordre à « tirer pour tuer ». Du 5 au 13 janvier, cinq mille personnes sont arrêtées, comme l'affirme le ministre de l’Intérieur kazakh. Le ministre a également reconnu que 175 millions euros de dommage avaient été estimés, mais aussi qu'une centaine de commerces et banques avaient été attaqués et vidés. Au total, les autorités kazakhes affirment que deux cent vingt-cinq personnes ont été tuées durant l’état d’urgence et que deux mille six cents personnes se sont rendues dans des hôpitaux pour signaler une blessure grave. Le 10 janvier, lors d'une réunion de l'OTSC, le président a déclaré que l'ordre était rétabli dans le pays et a annoncé le retrait des troupes russes dans les dix jours suivant la déclaration. L'état d'urgence a été levé prématurément le 13 janvier.


La crise a ainsi souligné plusieurs failles du pouvoir kazakh. Le gouvernement Tokaïev continue de suivre la trajectoire de son prédécesseur Nazarbaïev, avec une répression sévère des soulèvements populaires, et leur mise sous silence au niveau national. L'information est en grande partie sous contrôle national et les réseaux de communication ont été coupés durant l'état d'urgence, certains médias indépendants peinant alors à couvrir les manifestations de janvier. Amnesty international et d'autres ONG ayant réussi à couvrir les évènements ont confirmé que des personnes ont été torturées par la police et « [qu’] aucune enquête officielle sur le comportement de la police n’a été initiée ». Dix jours plus tôt, Tokaïev aurait néanmoins ordonné aux autorités de police d'éviter que des abus soient commis. Il aurait également ajouté que les procureurs devaient rester conciliants avec les manifestants qui n'avaient pas commis de « crimes graves ». Ces évènements solidement ancrés dans la mémoire des Kazakhs et l'instabilité économique du pays pourraient pousser une partie de la population, majoritairement jeune (53,7% de la population entre 1 et 28 ans), à fuir le pays.


Enfin, la situation a représenté un atout stratégique pour la Russie. Bien qu'il s'agisse de la première intervention de l’OTSC, elle a prouvé son efficacité aux autres membres. Dans le cadre de l’invasion russe en Ukraine toutefois, il est peu envisageable que de telles opérations soient mises en œuvre. Jusqu’alors, aucune attaque n’est survenue ni sur le territoire biélorusse ni sur celui de la Fédération de Russie. Un député arménien, Vahagn Aleksanyan, a rappelé que « les mécanismes de l'OTSC [ne] sont activés [que] lorsqu'un État membre est attaqué ». Son homologue Édouard Aghajanyan, député à la tête de la commission des relations extérieures du Parlement arménien, a également rejeté les spéculations sur une éventuelle implication de l'OTSC dans la guerre en Ukraine, considérant cette dernière comme un « agenda hypothétique et inexistant ». À ce jour, Moscou n'a donné aucune indication attestant qu'elle pourrait rechercher une opération de l'organisation en Ukraine. Cependant, elle a ratifié le 16 septembre 2021 un protocole additionnel au Traité de la sécurité collective; ce dernier introduit le concept d' "État coordinateur" en autorisant le déploiement de forces de l'OTSC pour des opérations de maintien de la paix de l'ONU. À ce titre, la Russie y est le seul État partie, les cinq autre membres n'ayant pas encore décidé d'emboîter le pas.

Nathan Michaud


Image © - BELGAIMAGE

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