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  • Tom Saleix

LE NICARAGUA INSURGÉ : EXAMEN D’UNE CRISE HUMANITAIRE SANS PRÉCÉDENT

Dernière mise à jour : 4 déc. 2021



Diplomate jordanien et ancien Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein a mis en garde la communauté internationale sur le climat de peur et de méfiance régnant en République du Nicaragua. Indépendant depuis 1821, le pays des lacs et des volcans – en l’honneur de deux grands lacs occupant la dépression centrale : Managua et Cocibolca – connaît, en effet, une instabilité politique constante depuis le XIXe siècle. Elle s’est notamment manifestée à travers divers événements : la résistance de l’armée nationaliste de César Augusto Sandino (1927-1934), le régime autoritaire d’Anastasio Somoza sur fond de dynastie familiale (1937-1979) prenant fin avec la victoire de l’insurrection armée du Front sandiniste de libération nationale (FSLN). Au demeurant, le régime sandiniste actuel est présidé par Daniel Ortega depuis 2007. Obtenant la majorité parlementaire en 2011, il n’a cessé d’affaiblir les institutions démocratiques et de porter atteinte aux droits humains. A titre d’exemple, le 24 décembre 2020, a été adopté un texte législatif pour exclure des prochaines élections présidentielles les « traîtres à la patrie », soit les opposants au pouvoir politique en place.


Dans ce contexte, le Nicaragua est aujourd’hui enclin à une crise humanitaire des plus préoccupantes.


La crise nicaraguayenne des droits humains : le germe de la crise migratoire


La journée du 18 avril 2018 a marqué l’entrée d’une nouvelle ère de violation des droits humains. Des manifestations pacifiques organisées contre la réforme de l’Institut nicaraguayen de sécurité sociale (INSS) ont en effet été rapidement réprimées par les autorités. Un renversement s’opère de part et d’autre : les protestations affluent de la jeunesse, des retraités, des activistes, des mouvements féministes, mais aussi des employés. L’objectif initial des contestations trouve désormais un nouveau sens : une récupération des droits fondamentaux dus aux citoyens. Face au risque grandissant d’insurrection, les oppressions étatiques se sont accélérées. A titre d’exemple, la police, appuyée par des groupes armés habillés en civil, a abattu Darwin Manuel Urbina, un adolescent de 17 ans près de l’université polytechnique de Managua. L’année 2018 a donc affiché un bilan global lourd : plus de 500 morts, 3000 blessés, sans compter l’important taux d’arrestations arbitraires, notamment des défenseurs des droits. Ainsi, Irlanda Jerez, défenseuse des droits nicaraguayenne, interceptée par des policiers, para-policiers encagoulés et des groupes armés progouvernementaux, sera rouée de coup avant d’être emmenée vers une destination inconnue. Libérée après 329 jours de captivité, elle a notamment dénoncé avoir été interrogée nue, battue et torturée.


De prime abord, les multiples violations des droits humains commotionnent la société nicaraguayenne. En conséquence, des milliers de citoyens ont été « déracinés », soit déplacés à l’intérieur du pays ou forcés à s’exiler. Le 31 août 2018, le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (UNHCR) a annoncé que 8000 ressortissants nicaraguayens avaient sollicité l’asile au Costa-Rica, à un rythme de 200 demandes quotidiennes. Parmi lesdits demandeurs d’asile, se trouvent majoritairement des personnalités de l’opposition, des médecins, des journalistes, mais aussi des agriculteurs. Nombreux sont ceux à nécessiter un soutien psychologique, des soins de santé primaires, une aide alimentaire mais aussi un logement. Face à l’accélération du flux de réfugiés et des besoins vitaux, le UNHCR a mis à disposition des autorités costaricaines trente avocats afin d’accélérer la prise en charge desdits réfugiés. La solidarité semble toutefois mise à rude épreuve. En ce sens, une majorité dissidente continue aujourd’hui de protester face à la présence récurrente des réfugiés nicaraguayens. Par conséquent, le gouvernement de Carlos Alvarado, Président sortant du Costa-Rica, appelle « au bon sens et à la prudence, à l’intelligence et à la solidarité » . Autrement, l’organisation non-gouvernementale (ONG) SOS Nicaragua a participé au lancement d’une cantine solidaire, permettant de réunir des denrées alimentaires aux récents expatriés. Spécialement conçue pour venir en aide aux réfugiés nicaraguayens, l’ONG a distribué plus de 20 000 petits déjeuners et déjeuners pour l’année 2019.


Enclin à un contexte de guerre civile marqué par l’insubordination des protestataires, le Nicaragua continue de connaître une des pires crises humanitaires sur fond de détresse migratoire.


L’insuffisance des politiques nicaraguayens face à la crise sanitaire


El Covid 19 está bajo control”. Le 19 juillet 2020, le président Ortega a affirmé maîtriser la situation sanitaire, tout en assurant des mesures d’hygiène prophylactiques. Le Nicaragua se distingue des autres pays d’Amérique latine en ce sens qu’il n’a adopté aucune mesure de confinement afin d’endiguer l’épidémie. Face à l’inertie des autorités, Le Collectif de solidarité avec le peuple du Nicaragua (CSPN) a déclaré la nécessité d’agir face à l’urgence humanitaire, nonobstant la répression du régime. En réponse, une vague de licenciement de vingt-deux médecins du service public a eu lieu – ces derniers ayant exigé des mesures de protection adéquates à la crise sanitaire. Le Parlement nicaraguayen a, de surcroît, dissout vingt-quatre ONG ayant critiqué la gestion de la crise du Covid-19. Selon elles, il s’agit d’une nouvelle tentative du gouvernement de « réduire au silence les signalements de la mauvaise gestion de la pandémie et de la santé malgré l’urgence humanitaire ». Pour le reste, la longévité de la crise humanitaire nicaraguayenne – tenant à l’instabilité des systèmes de santé et d’approvisionnement en eau – met en danger une grande partie de la population, plus particulièrement les femmes et les enfants. Les prestations dispensées par l’assurance maladie étant minimes, nombreuses femmes développent en effet des pathologies aiguës durant la grossesse.


Aussi, face à l’absence de politique de vaccination nationale, nombre de citoyens se rendent à El Triunfo et à La Fraternidad, villes situées à la frontière du Honduras, pays limitrophe du Nicaragua. Ces derniers cherchent en effet « de manière intensive à recevoir une première dose ». Depuis 2018, l’Union Européenne a quant à elle déboursé 252,5 millions d’euros d’aide humanitaire pour le Venezuela – contribuant principalement à l’organisation de soins médicaux[2]. Une telle initiative de solidarité internationale semblerait nécessaire au Nicaragua, comme une manière de conjurer l’imprévisible. Les difficultés majeures tiennent toutefois au fait que Daniel Ortega voit comme ingérence le rôle de la coopération internationale. La politique nicaraguayenne en place fait en effet l’objet d’observations critiques en raison de la dégradation de la situation démocratique : la dernière en date vient de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIADH) évoquant notamment « un contexte de fermeture de tous les espaces démocratiques et d’impunité structurelle ».


Toujours est-il que le 8 novembre dernier, Daniel Ortega, 75 ans, a été réélu Président de la République du Nicaragua, achevant le « basculement du pays dans un régime autocratique ». Afin que le bilan évolue, il est dès lors essentiel que les acteurs concernés agissent face aux maux récurrents d’une société hétéroclite.

Tom Saleix


Image © - Marvin Recinos - AFP, [disponible ici].



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