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Floriana Gocaj

L’ACCORD ALBANIE/ITALIE SUR LA CONSTRUCTION DE CAMPS DE RÉTENTION POUR MIGRANTS : PROTECTION OU ABSTRACTION DES DROITS DE L’HOMME ?

Un accord de protection urgente ?

Un accord – ratifié le 15 février 2024 par les deux Parties – peut conduire à penser qu’une certaine protection est accordée aux migrants secourus en mer, partant des côtes africaines, ces derniers étant placés dans des centres de rétention, le temps du traitement de leur demande d’asile.  Ainsi, l’on semble a priori éviter un abandon des migrants, et permettre – en surface – un respect du droit à la demande d’asile pour réfugiés.


Camp de rétention pour migrants dans le port de Shëngjin en Albanie

De quoi s'agit-il ?

Le 6 novembre 2023, la Première ministre italienne Giorgia Meloni, ainsi que le Premier ministre albanais Edi Rama ont conclu un accord portant sur la gestion des migrants illégaux secourus non loin des côtes italiennes ; accord semblant susciter davantage d’inquiétudes que de réconfort au vu de la situation.


Le déroulement est celui-ci : les autorités italiennes se portent à la rescousse des migrants en mer repérés sur la côte italienne. Cependant, ces derniers – selon leur vulnérabilité – ne sont pas accueillis auprès des mêmes pays. En effet, femmes et enfants sont raccompagnés en Italie afin d’entamer la démarche de demande de procédure d’asile. Quant aux hommes, ces derniers sont envoyés au nord de l’Albanie, au sein de centres de rétention : d’abord reçus au port de Shëngjin après un premier contrôle, ils sont transférés au centre de Gjadër dans lequel ces derniers vont attendre la réponse de leur demande de même nature, et seront retenus si leur demande n’aboutit pas, le temps du renvoi vers leur pays. Toutefois, si leur demande est acceptée, ils peuvent rejoindre l’Italie.


Afin de respecter un certain équilibre et une égalité entre les personnes requérant la qualification de réfugiés, les autorités présentes dans les camps albanais sont italiennes. En effet, la gestion intérieure des camps est financée et contrôlée par les carabinieri, par exemple.


Les migrants sont gardés pendant 28 jours, correspondant au délai du traitement de leur demande, relativement bref et insuffisant, sachant que le délai de traitement d’une demande en Italie peut excéder six mois, voire atteindre un an.


Quelques chiffres, entre début et prévision

L’Albanie indique qu’elle peut accueillir jusqu'à 3 000 migrants simultanément, et jusqu'à 36 000 par an. Les premiers bateaux de 12 personnes environ ont fait l’objet de cet accueil inédit.


"Aucune atteinte aux droits et libertés fondamentaux" telle que la Cour constitutionnelle albanaise semble

faire entendre ?

Face à l’opposition des députés, la Cour constitutionnelle albanaise a été saisie le 29 janvier 2024, afin de s’assurer de la conformité de l’accord à la Constitution. En effet, leur crainte était – et demeure toujours – un non-respect des « droits et libertés fondamentales de l’Homme », mais également une atteinte à l’intégrité du territoire albanais. La construction et l’occupation d’une partie du territoire albanais par des autorités italiennes semble fâcher l’opposition albanaise, craignant une « perte de contrôle » du territoire. Or, la Cour constitutionnelle semble rassurer en ce point, en ce qu’il y aurait une double juridiction : en effet, les juridictions italiennes ne remplacent pas les juridictions albanaises, même pour ces centres. La mise en œuvre de cette conciliation en ce point reste à prouver : en effet, le fait que l’Albanie ne fasse pas partie de l’Union européenne pourrait entraîner un non- respect de droits garantis au sein de l’Union, caractérisée ici par l’Italie.


Toutefois, la Cour constitutionnelle, dans sa décision, assure que « l’accord est conforme à la Constitution, et ne nuit ni à l’intégrité territoriale (inquiétude du côté albanais), ni aux droits humains et aux libertés. ».


La face cachée de l'accord

Le ministre de l’Intérieur albanais Taulant Balla semble expliciter que les autorités albanaises jouent un rôle vis-à-vis du camp, mais seulement extérieur : en effet, il informe que celles-ci veillent à ce qu’aucun migrant ne sorte du camp. Cela peut alarmer quant à la protection des droits et libertés fondamentales, notamment quant à l’interdiction du traitement inhumain et dégradant, reconnu par le droit international en l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, bien que celle-ci ait une valeur davantage symbolique que juridique. Paradoxalement, il ne s’agit pas ici d’éviter une confrontation avec le peuple albanais qui semble – au contraire – être très accueillant selon les rapports des médias albanais. Ici, les migrants sont tenus à l’écart de toute interaction avec le peuple du territoire dans lequel ils sont contraints à rester. 


Une opposition d'opinions

L'ancienne Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatovic, l'a qualifié de « tendance dangereuse et influente pour les demandeurs d'asile en dehors du cadre européen », tandis que la commissaire aux migrations de l'Union européenne, Ylva Johansson, a déclaré que « cet accord ne viole pas le droit de l'Union Européenne ». Le désaccord de hautes personnalités régissant des relations entre plusieurs États relève une certaine instabilité que cause cette situation en ses divergences d’opinions : jusqu'où l’on peut considérer que les droits ne sont pas violés ?


Quant aux organismes internationaux, une peur se ressent face à ce traitement dégradant. Ici, les demandeurs sont isolés, dans des préfabriqués – tous identiques – dont l’apparence n’appelle pas au confort. En outre, il y a des autorités italiennes qui surveillent et gèrent les différentes parties des centres, ce qui peut également instaurer une peur et une angoisse pour les migrants. En effet, ceux-ci ont dû faire face à plusieurs dangers, notamment le fait de se retrouver au milieu de la mer Méditerranéenne, avec des risques de naufrage, et autres dangers que la mer représente. Le fait de devoir assumer plusieurs contrôles, des transferts entre les centres, mais également de subir un enfermement qu’entre eux, et une angoisse de ne pas savoir si leur avenir leur est favorable. L’on peut également remarquer qu’aucune attention n’a été prêtée à l’état psychologique de ces derniers, ni à leurs intérêts. 


Risquer le renvoi dans un pays qu’ils ont fui semble transgresser les limites du courage que ces derniers démontrent. Le danger est qu’ils soient éprouvés, sous nos yeux, de manière a priori légale, déguisant la vérité et la violation du droit international en vigueur.


Riccardo Noury, porte-parole d’Amnesty International Italie fait remonter ses inquiétudes. Celui-ci explique que le concept – simplifié – serait une « détention automatique » des migrants – première violation constituée du droit international – mais qu’en plus, l’on considérerait que certaines personnes ne sauraient être reconnues en tant que personne nécessitant une protection internationale, ainsi on les renverrait chez elles. 

« Cet accord est cruel, et n'a que pour objectif de décourager les migrants en violant les droits de l'Homme. » R.Noury.


Les intérêts de l’Italie – notamment les intérêts des représentants actuels de l’Italie, à l’image du parti politique de la Première ministre italienne – ressortent : en effet, il y a une volonté de limiter l’accès à l’Europe des migrants, du moins par le franchissement des frontières italiennes. Le compromis a été de construire des camps de rétention dans un pays hors de l’Union européenne, et de traiter les demandes de manière très précipitée – quatre semaines.


Des résultats peu convaincants...

Le vendredi 18 octobre 2024, un tribunal de Rome se positionne contre cet accord : dès l’arrivée des premiers migrants en Albanie, certains sont renvoyés en Italie car ils sont mineurs et en mauvaise santé, car ils proviennent de pays qui ne sont pas considérés comme « sûrs », définition reprise d’un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne. Des difficultés survenant dès les premiers arrivés, et posant surtout des questions de protection de droits des individus, appellent à une vigilance des institutions – notamment européennes et internationales.




Floriana Gocaj


Image © - AFP / Adnan Beci

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