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Alexandre Sabouni

L'ACTUALITÉ DE LA SITUATION AU MYANMAR : QUEL IMPACT SUR LA POPULATION ?

En novembre 2020, se sont tenues les élections législatives du Myanmar. Après l’écrasante victoire d’Aung San Suu Kyi et de son parti la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), la Tatmadaw (l’armée birmane), humiliée, a demandé un recomptage des voix. Le pouvoir en place a refusé et l’armée a alors décidé, le 1er février 2021, de procéder à l’arrestation d’Aung San Suu Kyi ainsi que plusieurs des membres de la LND. Ce n’est pas la première fois que le pays est confronté à une prise du pouvoir par la junte militaire, mais c’est la première depuis la récente progression démocratique du pays.


Le Myanmar : une histoire conflictuelle


Historiquement, le Myanmar s’est construit sur la base de nombreux conflits ethniques. Avant la colonisation des Indes par le Royaume-Uni, près de 135 ethnies cohabitaient sur le territoire, lui-même divisé en 7 États indépendants, chacun représentant les ethnies majoritaires. Ce n’est qu’en 1937 que le pays a adopté ses frontières actuelles et en 1948 qu’il a acquis son indépendance. A cette époque, l’armée avait une influence très forte sur la politique se proclamant « garante de l’unité du pays » face aux revendications des minorités.


Entre 1962 et 2011, le pays a vu se succéder plusieurs types de gouvernements avec des transitions parfois conflictuelles entre une première démocratie débutante, des prises de pouvoir violentes et des dominations militaires illégitimes. Cette succession de crises politiques ainsi que la situation économique difficile du pays ont d’ailleurs été à l’origine d’un mouvement contestataire général qui a amené les étudiants de Rangoon (la plus grande ville du Myanmar) à manifester dès mars 1988. Ce mouvement a pris considérablement de l’ampleur à partir du mois d’août où des faits de violence ont déclenché une insurrection brutalement réprimée. Les estimations du nombre de victimes des manifestations autour du 8 août varient de quelques centaines à 10 000 morts. Les autorités militaires les fixent à environ 95 morts et 240 blessés. En raison de sa lutte pour la démocratie durant cette période, Aung San Suu Kyi a d’ailleurs obtenu le prix Nobel de la paix en 1991. S’en est suivi une trentaine d’années de lutte politique jusqu’en 2016, où le premier président non-militaire (depuis le coup d’état de 1962) a été élu.


Cependant, depuis août 2017, plusieurs événements sont venus ternir l’élan progressiste du pays, en particulier la crise des Rohingya. Après des années de mise à l’écart et de ségrégation communautaire, (rendus apatrides en 1982, limites de naissances, aucune représentation politique, etc.), la contestation Rohingya a engendré la création d’un nouveau groupe rebelle nommé ARSA (l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan, la région la plus à l’ouest du pays). Le 25 août 2017, elle décida d’attaquer plusieurs postes-frontières entraînant la mort d’une douzaine de policiers. En réponse à ces attaques, l’armée Birmane lança alors une offensive faisant plus 400 morts selon l’armée, 1000 selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), la plupart des victimes étant membres de la communauté Rohingya. Loin de s’arrêter à ces attaques, la situation semble alors se muer en campagne de déportation systématique, conduisant à un exode massif de la population Rohingya de l’Arakan vers le Bangladesh voisin. « Nous avons reçu de multiples rapports et des images satellitaires montrant des forces de sécurité et des milices locales brûlant des villages rohingyas, et des informations cohérentes faisant état d’exécutions extrajudiciaires, y compris de tirs sur des civils en fuite. » a rapporté le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein. Il a ajouté que « la situation semble être un exemple classique de nettoyage ethnique ». Aung San Suu Kyi a vu sa réputation internationale très affectée après ces déclarations controversées pour tenter d’expliquer ou de justifier les actions de l’armée, allant parfois même jusqu’à réfuter certaines accusations.


Le coup d’État de février 2021 : les réactions nationales et internationales


Le 1er février 2021, l’armée birmane a procédé à l’arrestation de certains membres du gouvernement, y compris Aung San Suu Kyi, Win Myint (le président du Myanmar) et plusieurs membres de la LND. La junte a alors pris le pouvoir sur fond de contestations électorales. Dès le lendemain, la société civile a organisé des manifestations pacifiques à travers le pays, principalement à Rangoon (l’ancienne capitale). En réponse à ces mouvements contestataires, et à des fins de censure, la junte a coupé l’accès à certains réseaux sociaux puis à Internet sur des plages horaires définies. D'autre part, originellement pacifiques, les manifestations ont été violemment réprimées. L’instauration de la loi martiale, le 8 février, a favorisé la liberté d’action de la police et de l’armée face aux manifestants engendrant, à ce jour, plus de 250 morts selon l’Assistance Association for Political Prisoners (AAPP) et plus de 2 600 arrestations. Face à cette violente répression, la communauté internationale a fermement condamné les actions de la junte, à certaines exceptions près (comme la Chine ou le Bangladesh).


Alors que la situation est particulièrement critique pour la population birmane, celle des Rohingya l'est d'autant plus puisqu'ils sont désormais confrontés à un gouvernement composé principalement de leurs précédents persécuteurs. Le futur de cette communauté semble se fragiliser encore plus dû aux nouveaux défis majeurs auxquels elle doit faire face. En effet, on peut craindre un accès plus restreint aux camps par les organisations non gouvernementales (ONG) humanitaires, notamment caractérisé par le manque de sécurité croissant dans les zones concernées. Même si la junte semble vouloir montrer à la communauté internationale sa capacité à gérer le pays en facilitant administrativement l’accès à ces zones, les ONG sont confrontées à d’autres problèmes importants, notamment la logistique. La crise sanitaire liée à la Covid-19, qui touche sévèrement l'économie du pays, ainsi que les multiples protestations et mouvements de grèves de la part, notamment, du personnel médical, ont particulièrement impacté les chaînes d'approvisionnement et le fonctionnement des actions. De plus, les organisations font face à un autre type d’obstacle, cette fois-ci d’ordre financier, puisqu'il faut pouvoir convaincre les bailleurs de fonds de continuer à financer l'assistance humanitaire à un pays dirigé par les militaires. Sur les 276 millions de dollars demandés par l’ONU, seuls 11,5 millions d’euros ont été récoltés, dont 3 millions seulement dédiés à la protection des Rohingya.


La place des Rohingya dans la crise actuelle


L’actualité politique du Myanmar liée au coup d'État est à l’origine des récentes violations des droits humains que subit la population birmane. Néanmoins, cette situation n’a fait qu’aggraver une situation déjà critique pour les Rohingya, la plus grande population apatride du monde. Au-delà des allégations de “nettoyage ethnique”, d’autres exactions sont rapportées par des ONG. Parmi elles, Human Rights Watch dénonce les crimes sexuels commis par l’armée lors des offensives en Arakane, notamment les viols de masse par les militaires ou par des forces de police postées aux frontières. Aussi, selon un rapport de terrain de la Karen Human Rights Group (KHRG), d’autres endroits du pays sont aussi particulièrement touchés par les exactions de la junte. Une fois encore, des violences sexuelles sont rapportées, touchant une population souvent très jeune.


Malgré ce constat inquiétant, empiré par la crise sanitaire et le coup d'État, certaines ONG proposent des solutions, ou tout du moins des pistes, afin de prévenir l'impact sur le plan humanitaire et les violations des droits humains. Un article de l’ONG Refugees International datant de 2018 mettait déjà en avant les points clés pour avancer sur le cas Rohingya. Plusieurs propositions y sont développées, telles qu’un accès plus direct aux informations de terrain via la transparence des rapports officiels, une réaction ferme et unie de la communauté internationale (en particulier des partenaires stratégiques du Myanmar) ou encore une reprise des débats et dialogues sur la nationalité des Rohingya. Afin que ces axes prometteurs aboutissent, il est essentiel que tous les acteurs concernés agissent dans le sens de ces propositions - ce qui, pour le moment, n’est pas la tendance observée.


Alexandre Sabouni

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