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  • Maigane Etienne

L'AIDE HUMANITAIRE : PEUT-ON ENCORE SAUVER DES VIES SANS RISQUER LA SIENNE ?

Au cours de l’année 2021, plus de 200 millions de personnes dans le monde auront besoin d'aide et de protection humanitaires, les crises devenant de plus en plus complexes et prolongées. Paradoxalement, on constate une diminution de l’espace d’intervention humanitaire, rendant l’accès aux populations les plus vulnérables de plus en plus difficile. Cette diminution s’explique par l'accroissement des enjeux sécuritaires auxquels les travailleurs humanitaires font face. Les sept travailleurs humanitaires de l’ONG Acted assassinés en août dernier au Niger en sont un exemple, et plus récemment, au Nigéria, les deux travailleurs humanitaires du Programme alimentaire mondial et du CICR qui ont été enlevés. L'assistance humanitaire devient alors conditionnée par le niveau de sécurité du pays dans lequel elle se déploie. Les attaques contre l'aide humanitaire sont à la fois un « symptôme et une arme de la guerre moderne ». En effet, les acteurs humanitaires sont de plus en plus souvent pris pour cible, leurs opérations sont, de ce fait, réduites aux endroits où les civils en ont le plus besoin.


Le personnel humanitaire, plus que jamais mis en danger


Les populations civiles sont au cœur des conflits à travers le monde, elles représentent 80% des victimes. Ainsi, leur porter secours devient un réel risque pour le personnel humanitaire, qui subit les mêmes dangers. Les violences envers les travailleurs humanitaires ont augmenté de 117% par rapport à la décennie précédente. La plupart ont eu lieu en Syrie, au Soudan du Sud, en République démocratique du Congo, au Yémen, en Afghanistan et en République Centrafricaine. L’année 2019 a été la plus meurtrière de l’histoire de l’humanitaire, le bilan s’élève à 483 attaques qui ont fait 127 morts, contre 131 attaques en 2018. Pour l’année 2020, ont été recensées 204 victimes, dont 75 décès et 60 enlèvements.

Par ailleurs, il faut souligner que ce sont les travailleurs locaux qui sont les principales victimes de ces attaques, et non les travailleurs internationaux. En effet, 90% des victimes sont des employés nationaux, proportionnellement plus nombreux. Ils se rendent notamment dans les zones auxquelles les employés étrangers ne peuvent accéder. D’autre part, il convient également de souligner qu’en 2019, le personnel médical a été particulièrement ciblé. Il représente, en effet, 42% des humanitaires assassinés.

Avec la crise sanitaire de la Covid-19, le manque de personnel et de ressources, ainsi que les tensions politiques et sociales provoquent une augmentation de la violence à l’encontre des travailleurs de la santé et leurs infrastructures. Les travailleurs étrangers sont accusés d’être à l’origine de la propagation du virus. Cependant, dans l'ensemble, le nombre d'attaques contre le personnel humanitaire de la santé liées à la Covid-19 reste relativement faible.


Comment expliquer cette recrudescence de violence envers les humanitaires ?


Pour le professeur Philippe Ryfman, cette recrudescence de violence s’explique d’abord par le nombre de travailleurs humanitaires qui a considérablement augmenté, notamment en raison de la multiplication des conflits et des catastrophes naturelles. En 2019, on a recensé environ 569 600 humanitaires, ce qui représente une hausse de plus de 320% depuis 1997. De plus, l’action humanitaire est moins acceptée dans certains États, pour des raisons idéologiques et politiques. Les organisations humanitaires sont, dès lors, visées pour ce qu’elles ont, à savoir leurs ressources financières et matérielles, et d’autre part pour ce qu’elles font. Par ailleurs, la confusion civile et militaire joue également un rôle. En effet, les doutes relatifs à l’impartialité, à l’indépendance et à la neutralité des ONG, qui s’associent aux opérations militaires, contribuent à leur mise en danger.


Qu’en est-il de l’impunité des crimes commis contre le personnel humanitaire ?


L’ONG Acted a appelé la communauté internationale à reconnaître et à condamner les meurtres du personnel humanitaire comme des crimes contre l’humanité. De même, l’ONU a condamné les attaques commises contre le personnel humanitaire et leurs infrastructures, et a demandé à ce que leurs auteurs soient jugés. Il faudrait, dès lors, assurer l’effectivité du droit international humanitaire (DIH) et la lutte contre l’impunité. En situation de conflit armé, le DIH exige la protection du personnel humanitaire. Mais, force est de constater que ce n’est pas toujours le cas dans la pratique. Les organisations humanitaires établissent alors des stratégies afin de garantir la sécurité de leur personnel, qui intervient auprès des plus vulnérables.


La gestion des risques par les organisations humanitaires


Il est essentiel de connaître les motivations des acteurs violents pour comprendre la nature de la menace et la manière dont elle pourrait être diminuée. Les organisations humanitaires ont des obligations de sécurité à l’égard de leur personnel. Il s’agit du duty of care, qui consiste à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger ce dernier. Le risque zéro n’existe pas, les organisations sont conscientes des risques liés au déploiement de leur personnel dans des environnements dangereux : conflit armé, contexte d’épidémie ou de catastrophe naturelle. Pour garantir leur sécurité et réduire leur vulnérabilité, elles dispensent notamment des formations sur la gestion des risques sécuritaires sur le terrain. À cela, s’ajoute un travail d'identification des menaces et dangers potentiels, avec la mise en place de bases de données. Elles veillent également à établir des relations de confiance avec les populations locales et les bénéficiaires de leurs activités. Par ailleurs, lorsque cela est nécessaire, elles appliquent une stratégie de “low profile”, c’est-à-dire limiter au maximum la visibilité de l’organisation en enlevant par exemple son nom et logo de tous les véhicules. Dans le cas où il devient pratiquement impossible de répondre aux besoins des populations vulnérables, sans se mettre en grave danger, certaines ONG suspendent leurs activités au risque d’abandonner ces populations. Cependant, elles assurent tout de même la continuité de leurs activités par le biais des partenaires locaux notamment.


Il apparaît évident qu’intervenir dans des contextes dangereux en tant qu'humanitaire est aujourd’hui un réel enjeu, difficile à maîtriser. Pour autant, face à la pandémie de la Covid-19, à l’augmentation des besoins, le travail du personnel humanitaire est plus que jamais indispensable. En dépit du fait qu’ils soient constamment mis à l’épreuve, les acteurs humanitaires restent tout de même mobilisés dans leurs actions, et ce même si cela implique de risquer leur vie pour sauver celle des autres.


Maigane Etienne

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1 Comment


Carnet de Bord - HUMANITAIRE
Carnet de Bord - HUMANITAIRE
Feb 08, 2021

Très bonne mise en lumière des enjeux qui entourent la question de la sécurité du personnel humanitaire, bravo ! 👏 Et merci beaucoup d'avoir cité Carnet de Bord - HUMANITAIRE ! 🙂

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