Dans les périodes tumultueuses et souvent déchirantes des conflits, l’art émerge comme une force indomptable, capable de transcender les barrières linguistiques et de donner voix à l’indicible. Loin des salles feutrées des galeries, l’art devient un cri retentissant dans les rues, les murs des villes devenant des toiles de dénonciations, des espaces où la protestation prend forme. C’est dans cette sphère que l’art devient un moyen puissant de dénoncer l’injustice et de catalyser le changement social.
Le street-artiste Murad Subay devant une fresque qu'il a peinte à Paris, en plein Marais, pour dénoncer les ventes d'armes, 11 novembre 2019.
Les artistes qui choisissent de s’engager dans ce dialogue visuel sont souvent des acteurs audacieux et courageux, utilisant leur créativité pour exposer les réalités brutales des conflits. Que ce soit à travers la peinture murale, la sculpture, la photographie ou d’autres formes d’expression artistique, ces créateurs transforment les cicatrices de la guerre en œuvres d’art poignantes et provocantes. Une des figures emblématiques de cet art est Murad Subay, un street-artiste yéménite qui a fait de ses œuvres des cris silencieux contre la violence qui sévit dans son pays natal, le Yémen.
L'art en tant que moyen d'expression à travers le temps
Cette forme d’art a une histoire riche et variée qui s’étend à travers le temps, reflétant les émotions, les protestations et les réalités vécues par les artistes et les populations touchées par la guerre. En effet, au cours de l’histoire, de nombreux artistes ont utilisé leur talent pour documenter les horreurs de la guerre. Les gravures de Francisco Goya, telles que « les Désastres de la guerre » dépeignent de manière crue les atrocités commises pendant les guerres napoléoniennes. De même, les œuvres d’Otto Dix, artiste allemand, capturent l’impact psychologique et physique de la Première Guerre mondiale.
Pendant les périodes de conflit, l’art a également souvent été utilisé comme un outil de propagande. Les affiches de propagande de la Seconde Guerre mondiale, par exemple, représentant des artistes tels que Norman Rockwell aux Etats-Unis, ou encore les œuvres du réalisme socialiste en Union soviétique, visaient à mobiliser les populations, susciter le patriotisme et renforcer le moral. Puis dans les années 1960-1970 a émergé un mouvement artistique profondément lié à la contestation politique, en particulier pendant la guerre du Vietnam. Des artistes tels que Pablo Picasso avec « Guernica », ont utilisé l’art comme moyen puissant de dénonciation et de contestation contre la violence et l’injustice.
Plus récemment, l’art de rue est devenu un moyen particulièrement efficace d’expression artistique en temps de conflit. Des artistes comme Banksy ont utilisé les murs des villes comme toiles pour dénoncer les conflits au Moyen-Orient, les crises des réfugiés, et d’autres problématiques mondiales. Avec l’avènement de la technologie, l’art numérique et la photographie ont également joué un rôle essentiel dans la sensibilisation aux conflits contemporains. Des artistes utilisent les médias sociaux pour diffuser instantanément leurs œuvres, créant ainsi une connexion mondiale instantanée.
Au-delà de la dénonciation, l’art offre également un espace pour la construction d’un futur différent. Les œuvres qui émergent des cendres des conflits inspirent l’espoir, incitant à la réflexion sur la possibilité d’un changement positif. Les artistes deviennent ainsi des architectes d’un avenir pacifique, utilisant leur créativité pour semer les graines de la compréhension, du dialogue et de la réconciliation.
En somme, l’art comme moyen de dénonciation et de protestation pendant les conflits transcende les frontières physiques et culturelles, offrant un langage visuel qui parle à la conscience collective. Ces expressions artistiques continuent de jouer un rôle crucial en éveillant les consciences, en rappelant les leçons du passé, et en faisant entendre les voix des victimes de conflits à travers le monde. Ces œuvres d’art ne sont pas simplement des expressions esthétiques, mais des appels passionnés à l’action, des rappels percutants de notre responsabilité collective envers la justice et la paix.
Présentation de la conférence "Street art: the walls of Revolution, war and exile" par l'artiste Murad Subay à la faculté d'Aix-en-Provence, 6 février 2024. ©REESAH
Focus sur Murad Subay: street-artiste yéménite
Ce mardi 6 février, REESAH a eu le plaisir d’accueillir Murad Subay. Internationalement reconnu pour son talent, Murad a initié des campagnes de protestation percutantes, réagissant aux conditions tumultueuses de son pays natal après la révolution de 2011 et la guerre qui s'ensuivit. A travers ses créations, il a abordé des questions cruciales telles que les disparitions forcées, le business qui se fait en marge du conflit ou encore la propagation d'armes.
Sa première campagne, « Colore les murs de ta rue », a émergé en 2012. C’est ici qu’il a transformé les ruines dévastées des maisons, écoles, hôpitaux et autres bâtiments, ravagés par les bombardements entre les belligérants, en toiles de protestation. Chaque coup de pinceau met en lumière les pertes humaines et les catastrophes infligées par la guerre, un acte artistique porteur de mémoire.
Estimant qu’il est primordial que chacun puisse s’exprimer, Murad à la particularité d’inviter tous ceux qui veulent se joindre à lui à peindre. C’était déjà le cas lors de sa première campagne où beaucoup l'avaient accompagné dans sa démarche. Lors de sa campagne « Les murs se rappellent de leur visage » de 2014, 102 portraits de personnes disparues dans des conditions énigmatiques avaient été peints à travers tout le pays en signe de protestation, projet dans lequel il avait été accompagné par les proches des disparus.
Toutefois, ces protestations ne doivent pas être entendues de manière politique. Comme a pu le rappeler Murad « L’art n’est pas pour ou contre quelque chose ou quelqu’un. Il doit seulement donner à voir à quel point la guerre fait souffrir celles et ceux qui y participent. D’un côté, ils ont occupé la capitale. De l’autre, ils viennent avec des avions et bombardent le pays. J’appartiens au peuple. C’est lui que je soutiens, et personne d’autre. »
Vous pouvez observer un changement d’atmosphère dans ses œuvres depuis 2017. Si c’est à partir de là que débute son parcours depuis le Yémen jusqu’à aujourd’hui en France, il précise que la violence qui peut se voir à travers son art depuis lors est plus dû au fait que ces dernières années ont marqué un tournant en termes d’espoir pour le pays, celui-ci s’essoufflant inlassablement. Comme il le dit lui-même « ce n’était pas un moment plaisant, mais l’art m’a sauvé ». Depuis 2020, Murad possède le statut de réfugié politique en France. Malgré son exil, son esprit combatif persiste, et il continue à élever sa voix contre les conflits persistants qui déchirent son pays. Son impact remarquable lui a valu plusieurs distinctions internationales, reconnaissant la puissance de son art engagé.
Optimisme à toutes épreuves, il incarne à travers son art cette vérité universelle, offrant un écho visuel et émotionnel aux souffrances et aux espoirs d’un peuple en quête de paix. D’après lui, « en temps de guerres et de conflits, même les plus petites voix qui appellent à la paix peuvent sauver des vies ».
Natacha Manen
Image © - Thibault Camus /AP/SIPA
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