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Pauline Piget

L'ESCLAVAGE MODERNE : UNE RÉPRESSION INSUFFISANTE FACE À DES PRATIQUES PERSISTANTES

Au XXIème siècle, la prohibition de toute forme d’esclavage et de servitude est pérennement consacrée au sein d’instruments juridiques nationaux, comme dans le “Slavery abolition Act” du Royaume-Uni (1833), le décret français d’abolition de l’esclavage (1848), le XIIIème amendement de la Constitution américaine (1865), ou bien encore dans la loi de 1909 abolissant l’esclavage en Chine ou dans la Constitution Nigérienne de 1999.


L’abolition de telles pratiques est également consacrée à l’international, notamment à l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme ou au sein de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Pour autant, l'asservissement de l'Homme par l'Homme n’a jamais cessé et demeure encore pratiqué sous la forme de l’esclavage moderne. 


« En 2021, 50 millions de personnes vivaient dans l'esclavage moderne »

(Rapport de l'ONG Walk Free, 2023)

Des enfants travaillant afin de fabriquer des briques au Niger

Une privation des droits humains élémentaires

L’ONG Walk Free est un groupe international de défense des droits de l’Homme dont l’objectif est d’éradiquer l’esclavage moderne dans le monde. Ainsi, tous les 5 ans, un rapport est publié renfermant un ensemble de données, constituant l’indice mondial de l’esclavage.


Le rapport de l’ONG Walk Free de 2023 englobe dans l’esclavage moderne le travail forcé, la servitude pour dette, l’exploitation sexuelle, le mariage forcé, la traite des êtres humains ainsi que la vente et l’exploitation des enfants.


Sous toutes ses formes, il s'agit de priver une personne de sa liberté dans l’intention de l'exploiter à des fins personnelles ou financières. Cette forme d’esclavage constitue ainsi une grave atteinte aux droits humains et aux libertés individuelles en ce que des millions de personnes travaillent sous la contrainte et la menace physique. L’exploité.e est déshumanisé.e et privé.e de ses droits et libertés, ne pouvant refuser ou quitter cette situation.


Un fléau universel

L’esclavage moderne touche toute population, mais prospère cependant en silence. Pourtant, quasiment tous les pays du monde sont concernés, l’esclavage moderne traversant les frontières ethniques, culturelles, religieuses et tous les secteurs d’activités.


Pour ce qui est du domaine d’activité, l’oppression se répand tant dans les champs, à l’instar de l’exploitation des Ouïghours pour la récolte du coton en Chine, que dans les usines de textiles commandées par “fast fashion”, ou dans les mines, dans lesquelles « En Turquie, un travailleur meurt toutes les quatre heures » (étude de SDSN).


Dans toutes ces hypothèses, les exploité.e.s travaillent dans des conditions médiocres ou abusives. La précarité de ces activités est banalisée : dans la majorité des cas, il n’y a aucune protection sociale ou syndicale. À cela s’ajoutent des salaires indécents, qui ne couvrent que rarement le minimum vital. Les heures supplémentaires et forcées ne sont pas rémunérées. La surexploitation des soumi.e.s passe aussi par un volume horaire journalier trop élevé et des jours de repos insuffisants. Enfin, le travail irrégulier accompli présente des risques pour la santé et la sécurité, par exemple d’intoxication ou de maladie.


Concernant les personnes touchées, l’oppression concerne tant les enfants, que les

femmes et les hommes. L’Organisation des Nations Unies rapporte en effet qu’une personne sur quatre réduite en esclavage moderne est un enfant, tandis que trois personnes sur quatre sont des femmes et des filles.


Du fait de la relation étroite entre esclavage moderne et défis mondiaux, les individus qui fuient les conflits, les catastrophes naturelles, la répression de leurs droits, ou bien qui cherchent à migrer pour travailler, sont davantage susceptibles de le subir.


En outre, l'esclavage par ascendance persiste, au Niger notamment. En effet, bien que cette forme de soumission soit interdite par la Constitution du pays, des discriminations basées sur la généalogie existent toujours en ce que les esclaves naissent dans cette condition par le statut social de leurs parents. Aussi, le travail forcé peut particulièrement toucher des minorités politiques ou religieuses, comme la situation évoquée précédemment des Ouïghours en Chine, peuple à majorité musulmane.


À propos de la zone géographique, l’esclavage moderne n’épargne aucune région du monde, bien que, d’après le rapport de l’ONG Walk Free, c’est en Mauritanie ou encore en Corée du Nord qu'il est le plus étendu, où près de 2,7 millions de personnes sont exploitées. À l’inverse, en Suisse ou en Norvège, l’esclavage moderne est moins fréquent mais existe néanmoins, puisque 0,5% de la population est touchée pour 1000 habitants.


Perpétration de l'asservissement par la surconsommation des pays riches

Si le travail forcé est plus courant dans les pays à faible revenu, sa prévalence est étroitement liée à la demande des pays les plus riches. Chaque année, la consommation des Européens est mêlée à 1,2 million de cas d’esclavage moderne et 4 200 morts. Ainsi, deux tiers des cas de travail forcé sont liés à des chaînes d’approvisionnement internationales.


Par conséquent, la surconsommation, principalement des pays riches, contribue en silence à la perpétration de ces situations. Chaque jour, l’achat de produits ou l’utilisation de services relève en partie du travail que des personnes ont été forcées de fabriquer ou d’offrir.


« L'esclavage moderne s'imprègne dans tous les aspects de notre société. Il est tissé dans nos vêtements, allume nos appareils électroniques, assaisonne notre alimentation » (Grace Forrest, directrice et fondatrice de Walk Free)


Quelles solutions ?

S’il est de la responsabilité de chacun de lutter contre l’esclavage moderne, les gouvernements ont un rôle central à jouer pour protéger les soumis.e.s et réprimer les exploitant.e.s.


Bien que certains gouvernements tentent d’y remédier, comme la Grande Bretagne par le vote de son « Modern Slavery Act » en 2015, les progrès à l’échelle mondiale demeurent faibles, les législations et politiques nationales étant insuffisantes. La Cour européenne des droits de l’Homme s’est emparée de cette question et a proposé par exemple en 2022 l'adoption d’un règlement visant à bannir de l'Union européenne les produits dont la fabrication a alimenté l’esclavage moderne. En France, une proposition de loi tendant à lutter contre les nouvelles formes d’esclavage a été présentée en 2017.


Quant au rapport de l’ONG Walk Free, il propose de développer par exemple les lois du travail et les protections sociales et juridiques.


À l’échelle individuelle, la médiatisation du fléau et le boycott des produits dont la fabrication implique de la main d'œuvre servile sont des instruments à favoriser. Dans l’attente d’une réaction des gouvernements nationaux dans le monde, il appartient désormais à chacun d’apprendre à consommer – mieux ou moins – surtout à l’approche des fêtes de fin d’année, pour lutter contre l’esclavage moderne, et ainsi protéger des vies voire en sauver, et parallèlement, préserver notre planète par le soutien d’un nouveau mode de consommation et de production éthique et durable en favorisant la seconde main et le recyclage.



Pauline Piget

Image © - Flickr CC0 / Ollivier Girard / CIFOR

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