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L'ETHIOPIE : LA DIVISION DU PAYS DANS LE CONFLIT INTERETHNIQUE

Le 11 octobre 2019, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, recevait le prix Nobel de la paix 2019 pour son investissement dans la réconciliation de son pays avec l’Érythrée, après près de cinquante ans de conflit. Néanmoins, la paix avec l’Érythrée peine à porter ses fruits et ce prix a également été contesté au vu des violences interethniques qui frappent le pays. Trois communautés sont au cœur des conflits ethniques et tentent de se partager le pouvoir : les Oromos, les Amharas et les Tigréens. L’Éthiopie est le second pays le plus peuplé d’Afrique et compte pas moins de quatre-vingts ethnies différentes. Les Oromo sont les plus nombreux (environ 40% de la population) suivis des Amhara et des Tigréens. Pendant 27 ans, le pays était gouverné par le Front démocratique révolutionnaire du peuple (EPRDF) qui œuvrait surtout pour les Tigréens, qui ne constituent que 6% de la population. « L’un des risques principaux, c’est la tentation de rétorsion contre les Tigréens qui, collectivement, sont considérés comme ayant profité du système. Parfois, nous ne sommes pas loin d’un discours génocidaire à leur encontre». Tel est le constat de Paulos Asfaha, professeur assistant au Global Studies Institute à Genève. En effet, la population tigréenne s’est abondamment armée et revendique de plus en plus bruyamment la sécession de la région du Tigré. Depuis le 2 avril 2018, le pays est désormais dirigé par Abyi Ahmed, d’ethnie Oromo. Toutefois, ce nationalisme ethnique constitue l’une des principales fragilités du pays, qui est devenu le terrain d’affrontements entre les différentes ethnies. Dans le sud, les Oromos entretiennent toute une série de contentieux avec les Somalis. À l’ouest, des groupes armés s’opposent aux troupes de l’armée. Les Amharas se sentent également marginalisé : dirigeant le pays pendant plusieurs années, ils reprochent aujourd’hui d’être toujours considéré comme des oppresseurs. Or, certains étudiants ont affirmé qu’ils craignaient pour leur vie s’ils se rendaient sur le territoire des Amhara : « Les Amhara sont devenus fous, ils nous chassent dans la rue. Il nous est impossible de nous rendre à Bahir Dar», confiaient en mars 2019 des étudiants tigréens sur le campus de l’université de Mekele, la capitale du Tigré. L’origine des conflits Les manifestations ont débuté en novembre 2015 dans la région d’Oromia, la plus grande du pays, et ont subi de violentes répressions par les forces de l’ordre. Les manifestations du 6 et 7 août 2016 ont été particulièrement meurtrières, avec près de 100 morts et des centaines de blessés. À l’origine du conflit, la révolte des Oromos à l’encontre du gouvernement, qui accusent ce dernier de confisquer et vendre leurs terres, ainsi qu’une remise en cause du tracé de la frontière entre les régions d’Oromia et de Somali. Historiquement, les Oromos se sont toujours considérés comme marginalisés par les gouvernements au pouvoir, à la tête desquels figuraient en général des Éthiopiens d’autres ethnies (souvent Amharas ou Tigréens). L’État éthiopien n’a montré aucune forme de tolérance envers les manifestations et a adopté une posture répressive, sous couvert de la loi anti-terrorisme. En effet, le porte-parole du gouvernement, Getachew Reda, a affirmé que les manifestations avaient dégénéré en violences à cause des manifestants, qu’il accuse de « terroriser les civils ». Amnesty International fait également état de milliers d’arrestations arbitraires, de détentions prolongées sans inculpations, de disparitions forcées ainsi que de plusieurs exécutions sommaires de manifestants, et d’actes de torture. En 2019, suite aux violences, près de 3 millions de déplacées internes ont été référencées (principalement au début de 2018). Parallèlement à ça, l’Éthiopie est l’un des pays qui accueille le plus de réfugiés en Afrique (905 000 en 2019) mais ces même réfugiés dépendent de l’aide humanitaire pour satisfaire leurs besoins fondamentaux, le pays n’étant pas en capacité de tous les prendre en charge. La situation depuis l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed Le 2 avril 2018, Abiy Ahmed est le premier membre de la communauté Oromo, alors majoritaire dans le pays, à accéder à l’exécutif depuis le renversement du régime communiste en 1991. Revendiquant de nombreux changements à venir pour rééquilibrer la situation dans son pays, son élection suscite de fortes attentes pour les Éthiopiens, et surtout pour les Oromos qui revendiquaient leur marginalisation par le gouvernement des Tigréens (EPRDF). Bien qu’il ait fait progresser la liberté d’expression, permis la libération de journalistes en prison et reçu le Prix Nobel de la Paix 2019 pour ses efforts pour la paix et la coopération internationale, les efforts du nouveau premier ministre ne se sont pas avérés suffisants pour rétablir la paix dans son pays. En effet, de nouvelles revendications sont apparues et les affrontements interethniques ont repris. La situation s’est également envenimée avec le conflit opposant le militant Oromo Jawar Mohammed et Abiy Ahmed. Jawar Mohammed est un activiste controversé, suivi sur les réseaux sociaux par 1,7 million de personnes. Il a également le soutien des Qeerroo (jeunes militants Oromos) qui n’hésitent pas à s’opposer aux forces de l’ordre pour défendre leurs idées. Militant de nationalité américaine et d’origine Oromo, il a mobilisé pendant plusieurs années depuis les États-Unis et par internet les Éthiopiens afin qu’ils luttent contre le pouvoir en place. Les Qeerroo, partisans de son opinion, luttent contre le pouvoir en place et plus particulièrement contre les dirigeants tigréens, revendiquant eux aussi la marginalisation du peuple Oromos. Avec la chute du gouvernement des Tigréens, Abiy Ahmed a invité Jawar Mohammed à rentrer en Éthiopie et lui assurait une protection fédérale. Toutefois, leur relation s’est envenimée à partir du 22 octobre 2019, lorsque le Premier ministre, lors d’un débat au Parlement, aurait sous-entendu que Jawar Mohammed jouait un « double jeu » en répondant présent qu’en période de paix. Ce dernier est également régulièrement accusé d’attiser les haines ethniques. Jawar Mohammed a immédiatement répliqué en dénonçant les « dérives autoritaires » du nouveau premier ministre. Le conflit entre les deux personnalités ne s’est pas arrêté à des accusations. Le 23 octobre 2019, des violences ont éclaté à Addis-Abeba, la capitale, avant de se rependre dans toute la région d’Oromia. Les partisans de Jawar Mohammed sont descendus dans les rues, brûlant des pneus, érigeant des barricades et bloquant les routes dans plusieurs villes. À l’origine de ces manifestations, le post de Jawar Mohammed sur Facebook affirmant que la protection policière dont il bénéficiait venait de lui être retiré par les autorités et dénonçant un complot à son encontre visant à l’attaquer. Le 25 octobre, le bilan faisait état de 67 morts, dont 5 policiers. Pour la police, les victimes ont perdu la vie lors d’affrontements entre civils, et non suite à l’intervention des forces de l’ordre. Le Premier ministre s’est également exprimé sur le sujet en dénonçant « une tentative de provoquer une crise ethnique et religieuse ». Perspectives d’avenir Les conflits ethniques se retrouvent donc au niveau des civils, mais également au niveau gouvernemental. Cependant, le conflit se trouve aujourd’hui au sein de la même ethnie : les Oromos. Jawar Mohammed et Abiy Ahmed, tous deux de la même ethnie, s’affrontent et testent leur capacité de mobilisation, ce qui a de grandes conséquences sur les civils, qui s’affrontent entre eux également. Cette opposition engendre des violences, et la perspective des élections législatives de mai 2020 risque de renforcer cette course dans la mobilisation des Oromos. En effet, Jawar Mohammed est perçu comme « le concurrent le plus sérieux d’Abiy Ahmed » pour les prochaines élections.


Marie Thomas

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