top of page

L’IMPACT DE LA PRÉCARITÉ SUR LA SANTÉ MENTALE

Théo Chaix

Qu’est ce que vivre dans la précarité ? Vivre en situation de précarité est synonyme de vie rythmée par la peur constante de ne pas pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Des pensées comme "Est-ce que je vais réussir à payer le loyer ce mois-ci ? Si on est expulsés, où est-ce qu’on ira ?", ou encore "Et si je tombe malade ? Ou si l’un des enfants a un accident ? Je n’ai même pas de quoi payer un médecin…" pèsent continuellement sur les personnes en situation d’insécurité financière.


Vivre dans la précarité c’est être soumis à un stress permanent qui a de lourdes conséquences sur le corps et l’esprit. Cette anxiété permanente n’est pas seulement psychologique : elle exerce une pression immense sur le corps. Vivre dans la précarité, c’est être soumis à un stress chronique qui déclenche une production excessive de cortisol, l’hormone du stress. Cet excès perturbe le fonctionnement de l’organisme, affectant à la fois le corps et l’esprit. Ainsi, les inquiétudes liées aux besoins essentiels ne sont pas seulement une charge mentale, elles deviennent une véritable agression biologique.


Photographie de Julien Cadena sur les troubles de la santé mentale

Les effets de la précarité sur le corps

À moyen terme, le corps se met en état d’alerte ce qui épuise ses réserves énergétiques et la fatigue de façon chronique. Le cortisol, en excès, entraîne une chute des défenses immunitaires. En effet, le cortisol bloque l’action de certaines cellules immunitaires cruciales dans la destruction des cellules infectées par un virus ou cancéreuses. Les populations les plus précaires sont ainsi donc les plus sujettes à des maladies chroniques, auto-immunes ainsi qu’aux infections.  


À long terme, l’excès de cortisol amène à un stress chronique sévère, avec des conséquences encore plus lourdes. Lorsque le système nerveux reste activé trop longtemps, il fragilise le système cardiovasculaire qui accroît le risque d’hypertension artérielle, d'infarctus ainsi que d'accidents vasculaires cérébraux (AVC).


La liste des autres maladies et troubles physiques chroniques provoqués ou aggravés par un stress chronique est longue et diverse. Elle commence par le diabète de type 2 jusqu’à une altération osseuse en passant par le développement d’ulcères sévères. Ici, il s’agit de se concentrer sur les conséquences du stress sur le plan mental.


Les effets de la précarité sur l'esprit

Premièrement, l’excès de cortisol a pour effet direct d'augmenter le risque de développer de l’anxiété généralisée et des attaques de panique à répétition. Le risque de dépression s'accroît également avec la montée du taux de cortisol. Celui-ci peut favoriser un état dépressif en perturbant la création d’hormones nécessaires à une bonne santé mentale. Jean Sutter, psychiatre et psychanalyste, la définit comme «[l']aptitude du psychisme à fonctionner de façon harmonieuse, agréable, efficace et à faire face avec souplesse aux situations difficiles en étant capable de retrouver son équilibre. »


Cet arrêt de production d’hormones entraîne alors une réduction voire une absence de plaisir, de motivation et de régulation de l’humeur. Ceci, combiné à l'insécurité, conduit progressivement à un état de dépression marqué par une perte d'espoir, une fatigue émotionnelle et un repli sur soi.  Enfin, l’excès prolongé de cortisol entraîne une diminution des capacités d’apprentissage et de mémoire pouvant aller jusqu’au développement de maladies neurodégénératives comme Alzheimer.


Une précarité prolongée est également un facteur de risque majeur d’exclusion sociale. Chaque étape de la précarité est souvent marquée par une rupture avec les autres : d’abord collective, professionnelle puis relationnelle. L’humain est un être social qui a un besoin psychique et identitaire de se sentir uni avec un groupe. La précarité affecte ce lien social si important. Lorsqu’il se rompt, les personnes concernées peuvent ainsi souffrir d’un grave état de détresse psychique. Si cette situation n’est pas résolue rapidement, elle peut déraper et devenir la source d’un traumatisme primaire. Cet état sera caractérisé par une terreur sans nom et un désespoir existentiel.


Sans aides extérieures, un cercle vicieux se crée. Le désespoir amène la honte d’être qui encourage les personnes concernées à s'auto exclure pour éviter de revivre la souffrance de l’exclusion. Ceux-ci alimentent le cycle. Certaines personnes en situation précaire doivent adopter des conduites addictives dans le but d’échapper à cette réalité sociale. 


Ces souffrances toutes plus graves et inhumaines les unes que les autres révèlent l’urgence d’agir pour la santé physique, sociale et mentale des personnes pouvant être sujettes à un stress chronique et notamment celles en situation de précarité. Leur survie psychologique doit être une priorité comme leur survie physique en est une.


Quelles sont les populations les plus vulnérables face à la précarité et ses effets sur la santé mentale?

Les populations qui semblent davantage touchées sont tout d’abord celles qui souffrent déjà du déséquilibre socio-économique :


1.    Les travailleurs précaires


Les agriculteurs, artisans et commerçants sont particulièrement touchés par la précarité. Selon l’INSEE, 22,3 % d'entre eux vivaient sous le seuil de pauvreté monétaire en 2019.


Ces secteurs sont confrontés à des revenus instable avec des conditions de travail exigeantes. Par exemple, les agriculteurs et les artisans commerçants travaillent en moyenne respectivement 54 et 43 heures par semaine, des durées qui sont nettement supérieures à la moyenne nationale. Cela contribue à une vulnérabilité économique et sociale de ces travailleurs.


2.    Les immigrants et réfugiés


Quitter son pays et tout reconstruire dans un environnement incertain est extrêmement stressant d’autant plus que cette transition se fait parfois dans des conditions traumatisantes. Le stress post-traumatique et l’anxiété rendent les migrants très vulnérables à une extrême précarité. 


3.    Les personnes âgées isolées


Le manque de soutien familial rend les personnes âgées très vulnérables aux crises économiques. À l’heure où les retraites ne s'adaptent pas à l’inflation, les personnes âgées seules sont confrontées à un risque élevé d’isolement social et de déclin cognitif pouvant aller jusqu’à la dépression. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, près de 14 % des personnes âgées de 60 ans et plus sont affectées par un trouble mental.


4.     Les étudiants précaires


Les étudiants représentent une population particulièrement exposée à la précarité. Selon une étude publiée en 2023 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress), 26 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté.


Actuellement plus de 30 % étudiants déclarent renoncer à des soins médicaux ou psychologiques faute de moyens. Ces étudiants précaires font face à des difficultés pour se loger, se nourrir et gérer leurs études ce qui accentuent leur stress, leur anxiété et les risques de dépression.


Enfin, les populations touchées peuvent également être particulièrement vulnérables à cette souffrance psychologique en raison de leur fragilisation identitaire comme :


5.    Les enfants et adolescents


Dans un âge où notre identité se construit et où nos repères sont chamboulés, la pauvreté et l’insécurité deviennent un frein important au développement psychologique. L’insécurité  amène aussi souvent à un décrochage puis à un échec scolaire. L’enfant est alors isolé des personnes de son âge ce qui amène à un appauvrissement social. De plus, l'impossibilité d’aider son entourage amène aussi à une hausse des comportements à risque.


Quelles sont les solutions apportées par la communauté internationale ?

Pour réduire l’impact de la précarité, il est essentiel de mettre en place des aides financières d'urgence. Ces aides doivent cibler les populations les plus vulnérables, notamment les personnes souffrant de troubles mentaux. Entre 2013 et 2020, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a mené une campagne mondiale pour inciter les gouvernements à investir davantage dans les services de santé mentale. Cette initiative visait particulièrement les pays à faibles revenus, où moins d’1% des budgets de santé sont consacrés à ce domaine. La moyenne mondiale étant de 2%.


Des campagnes de sensibilisation jouent un rôle clé pour combattre la stigmatisation des troubles mentaux. La Journée mondiale de la santé mentale, célébrée chaque 10 octobre depuis 1992, est un exemple phare. En 2021, le thème était "Santé mentale dans un monde inégal", mettant en lumière les disparités d'accès aux soins. Cette journée, soutenue par l'OMS et la Fédération mondiale pour la santé mentale, mobilise des millions de personnes à travers le monde pour parler ouvertement de ces sujets.



Mad Pride du 9 octobre 2024 à St-Paul

Une autre façon de sensibiliser le public aux questions de santé mentale se déroule dans les quatre coins de la Terre depuis les années 90. D’abord nommée “Psychiatric Survivor Pride Day”, l’actuelle “Mad Pride” est une marche de lutte contre la stigmatisation associée aux troubles psychiques. La plus récente date d’octobre 2024 à La Réunion, une Mad Pride a été organisée à Saint-Paul, rassemblant environ 600 participants.


Enfin, Il est primordial de discuter de santé mentale dans les écoles ou les espaces publics car cela contribue à briser les tabous. Afin de créer des lieux sûrs où les personnes se sentent écoutées, un programme en Afrique de l’Ouest forme des coiffeuses depuis 2017. Leur mission est de détecter les signes de détresse mentale et de guider les clients vers des services appropriés. Cette approche innovante, soutenue par des ONG locales, a permis de toucher des milliers de personnes dans des régions où les professionnels de santé mentale sont rares.


Ces initiatives montrent une avancée significative dans la reconnaissance des problèmes de santé mentale à l’échelle internationale. De nombreux défis subsistent cependant, et le combat vers une bonne santé mentale est encore long. Il est donc essentiel de poursuivre les efforts pour progresser dans cette direction.


Théo Chaix


Image © - Julien Cadena / Nadia Lataste-Tayama

20 vues0 commentaire

Comments


bottom of page