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L'INDONÉSIE : LA RÉVOLTE DES PAPOUS

« Cette attaque contre les étudiants de Subaraya n’a rien d’exceptionnel : ça a juste été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et émerger un mouvement de protestation spontané ». Ces mots sont ceux de Victor Yeimo, porte-parole du Comité national pour la Papouasie occidentale (KNPB). L’attaque qu’il mentionne est la suivante : le samedi 17 août 2019, des militaires en uniforme et des miliciens civils ont interpellé devant leur dortoir 43 étudiants papous, accusés d’avoir jeté dans les égouts le drapeau national, la veille de la fête de l’Indépendance de l’Indonésie. Les forces de sécurité ont traité les étudiants de « monyet » (singe en français), de cochons et de chiens. Cette interpellation a été filmée et diffusée massivement sur les réseaux sociaux, créant une vague de contestations chez les Papous de Nouvelle-Guinée occidentale, peuple autochtone dont le territoire est annexé à l’Indonésie, et qui réclame depuis plusieurs années d’accéder à l’indépendance. Les raisons de la colère La Nouvelle-Guinée occidentale est la partie Ouest d’une île appelée la Nouvelle-Guinée, située au nord de l’Australie. La Nouvelle-Guinée, dont les premiers habitants étaient les Papous, a longtemps été partagée entre des colonies espagnole, britannique, allemande, néerlandaise et australienne, avant d’être envahie par le Japon au cours de la Seconde Guerre mondiale. En 1946, elle fut placée sous tutelle des Nations unies, et administrativement dirigée par l'Australie. La partie orientale de l’île devint l’État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1975. Les Pays-Bas, détenteurs de la partie Ouest, avaient promis l’indépendance aux Papous. Après une période de conflit armé intermittent avec l’Indonésie, les deux pays signèrent l’accord de New York prévoyant le transfert de l’administration du territoire des Pays-Bas à une « autorité exécutive temporaire des Nations unies » le 1er octobre, puis à l’Indonésie le 1er mai 1963. L’accord prévoyait également que l’Indonésie laisserait à la population du territoire la possibilité de choisir entre le maintien dans l’Indonésie ou la séparation, via un référendum avant 1969. En 1969, se tint comme prévu l’« Act of Free Choice » (Acte de libre choix). Cependant, les participants à ce référendum ont été exclusivement désignés par le gouvernement indonésien ; ils étaient à peine plus de 1000 (sur une population estimée à 800 000 habitants), et auraient été menacés par le gouvernement. Sans surprise, ils ont voté à l’unanimité pour le maintien dans l’Indonésie. L'Assemblée générale des Nations unies a entériné les résultats de la consultation l’estimant conforme à l’accord de New York. La Nouvelle-Guinée occidentale : une terre convoitée La Nouvelle-Guinée occidentale est une terre aux nombreuses ressources minières et naturelles. Le gouvernement indonésien, conscient de ces richesses, a signé en 1967 un contrat minier avec la société américaine Freeport Sulphur, qui avait eu connaissance d’un possible gisement de cuivre dans le territoire. Freeport a entrepris des forages, et a découvert en 1988 l’énorme gisement de Grasberg, qui est la plus grande mine d'or et la troisième plus importante mine de cuivre au monde. Les revenus du gisement de Grasberg sont partagés avec le gouvernement indonésien. Les Papous n’en bénéficient guère, Freeport faisant surtout appel à du personnel venu d’autres régions d'Indonésie. L’exploitation de la mine de Grasberg a eu des conséquences écologiques dramatiques : déforestation massive (22 000 km2 de forêts primaires rasés depuis les années 1990 d’après le Governors’ Climate and Forests Task Force), contamination au cuivre du fleuve Aikwa (près de 250 km2 contaminés, disparition des poissons), pollution aux acides des rivières, du sol et des nappes phréatiques. L'Organisation pour une Papouasie libre (Organisasi Papua Merdeka – OPM) mène une guerre silencieuse depuis les années 1960 pour contester le référendum de 1969, la colonisation indonésienne et l’exploitation de la mine de Grasberg. En 1977, l'Organisation a dynamité la principale conduite de la mine, provoquant des dizaines de millions de dollars de dégâts, et a attaqué les installations minières. La répression militaire indonésienne causa la mort d’environ 800 personnes. La révolte des Papous Depuis la diffusion de la vidéo de leur arrestation, les étudiants ont été relâchés et le gouvernement indonésien a annoncé l’ouverture d’une enquête, mais cela n’a pas suffi à apaiser les esprits : des bâtiments officiels ont été incendiés, des commerces et des banques ont été détruits, et il y a aussi eu des affrontements avec la police. Au moins trente personnes sont mortes dans la ville de Wamena. Les Papous sont victimes de racisme de la part des Indonésiens, « monyet » étant l’insulte la plus fréquente. C’est déguisé en singes qu’ils sont descendus dans les rues, pour protester comme le racisme dont ils sont victimes, mais pas seulement : « nous avons décidé de prendre ces racistes à leur propre jeu et d’ériger le singe comme symbole de notre mouvement révolutionnaire, pour leur dire : si vous nous voyez comme des animaux, laissez-nous au moins vivre en paix dans notre jungle et rendez-nous notre indépendance. Et laissez aussi notre jungle tranquille, arrêtez les mines et la déforestation ». Ainsi, la vague de révolte actuelle en Nouvelle-Guinée occidentale exprime la volonté des Papous de lutter à la fois pour leur indépendance, mais aussi contre l’atteinte portée à leurs ressources naturelles. Sem Karoba, coordinateur de l’OPM en Europe, explique « si vous me demandez pourquoi je me bats, je vous répondrai que mes montagnes saignent, que mes forêts sont saccagées et que mes rivières sont empoisonnées ». Quel avenir pour les Papous ? Suite aux émeutes survenues en août, la dénonciation du référendum de 1969 (appelé Acte de non choix par les Papous) s’est intensifiée. Benny Wenda, président du Mouvement de libération unifiée pour la Papouasie occidentale, a une nouvelle fois appelé à la tenue d’un « référendum libre et démocratique » sous la supervision de l’ONU, ce que le gouvernement indonésien refuse fermement. Ce dernier a envoyé des milliers de militaires dans la région, a restreint l’accès des journalistes étrangers et a décidé de couper Internet dans certains secteurs, prétextant vouloir lutter contre les « fake news ». Par conséquent, il est difficile de connaître l’exactitude de la situation en Nouvelle-Guinée occidentale. Malgré cela, ce 1er décembre, jour où les Papous ont pour habitude de brandir leur drapeau, ils n’étaient plus seuls : en Océanie, en Amérique, en Europe, des rassemblements ont été organisés pour hisser le « Morning Star flag » , utilisé par l’OPM et symbole de l’indépendance. Serait-ce la preuve d’une mobilisation progressive de la communauté internationale ?

Lou Bassoni

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