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L'INFLUENCE DES CONFLITS ARMÉS SUR LA TRAITE DES ÊTRES HUMAINS

Selon le Collectif contre la traite des êtres humains, « les crises économiques, les conflits, sont venus alimenter les rangs des victimes potentielles parmi lesquelles beaucoup d’enfants. Les exploiteurs ont ainsi su tirer profit de la mondialisation caractérisée par des déplacements de populations volontaires ou forcées ». La traite des êtres humains, telle qu'elle est définie par le protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, recouvre diverses formes d'exploitation : les formes d'esclavage moderne, la servitude sexuelle, le trafic d'organes, le travail forcé ou encore l'enrôlement d’enfants. Selon le rapport « Global Estimates of Modern Slavery », 89 millions de personnes auraient été victimes de traite ces 5 dernières années. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), dans son rapport concernant la traite des personnes dans le monde, paru en décembre 2018, a indiqué que ce phénomène serait toujours en augmentation. La majorité des États sont concernés par ce phénomène, que ce soit en tant que pays d'origine, de transit ou de destination pour les victimes. Bien que difficilement documenté, le phénomène de traite des êtres humains est une réalité qui s’explique à différents niveaux. En effet, les personnes fuyant la guerre et les persécutions (comme les Rohingyas par exemple) se retrouvent dans des situations de vulnérabilité telles qu’elles sont davantage susceptibles d’être victimes de traite. Par exemple, après le début du conflit en Syrie en 2011, obligeant des milliers de personnes à fuir leur pays, le nombre de Syriens victimes de traite a augmenté de manière significative. Cela est démontré par le Collectif contre la traite qui met en évidence que « les conflits géopolitiques créent en effet des masses de personnes vulnérables tentant d’échapper à la violence ». Le lien entre la traite des êtres humains et les conflits armés se mesure particulièrement dans les zones en proie à des conflits, au sein des camps de réfugiés, sur les chemins de migrations ou encore dans les pays d’accueil de ces mêmes migrations. Depuis 2016, la communauté internationale s’est particulièrement saisie de la question. La même année, le Conseil de sécurité a notamment condamné « tous les actes de traite d’êtres humains dans les zones en proie à un conflit armé, qui constituent une violation des droits fondamentaux des victimes et pourraient constituer des crimes de guerre ». La traite des êtres humains dans les pays en situation de conflits « 32 milliards de dollars de profits par an ». C’est ce que rapporte la traite des êtres humains aux trafiquants selon l’ONUDC. Dans les zones de conflits, elle constitue une activité lucrative. L’asservissement des femmes et des enfants à des fins d’exploitation sexuelle, le recrutement d’enfants au sein des groupes armés (enfants-soldats), le travail forcé, en sont les formes les plus communes. Les groupes armés non étatiques utilisent la traite des personnes pour financer leurs actions, augmenter leur pouvoir militaire ou encore installer un climat de peur au sein des populations locales. La traite à des fins d’exploitation sexuelle et de prostitution, qui en est la première forme (59% environ), est particulièrement utilisée comme méthode et stratégie. Ce fut notamment le cas pour des milliers de femmes Yézidies, kidnappées, exploitées ou vendues par l’État islamique (Daesh). En effet, en 2014, qualifiée d’infidèle car d’influence non islamique, la population yézidie a fait l’objet d’une campagne de « purification » orchestrée par le groupe terroriste. Cette minorité ethnique et religieuse vivant principalement dans la région de Sinjar (située au nord-ouest de l’Iraq) a été la cible de massacres visant à supprimer l’identité yézidie. Selon la Fédération internationale pour les droits de l’Homme (FIDH), « les filles, les femmes et leurs enfants ont été enlevés et détenus en captivité avant d’être échangés, vendus ou troqués comme esclaves ». L’ONG met également en lumière le fait que l’asservissement systématique et les crimes sexuels commis sur les femmes yézidies font partie intégrante de la stratégie politique et militaire de l’État islamique. Sur un autre plan, les enfants sont exploités ou recrutés à des fins militaires ; ils sont régulièrement en première ligne. Les groupes armés les recrutent afin d’augmenter leur capacité militaire ou leurs ressources humaines. Le groupe terroriste Boko Haram a notamment utilisé des jeunes filles et garçons pour mener des attaques suicides qui ont notamment augmenté de 4 à 44 entre 2014 et 2015 dans la région du lac Chad selon l’ONUDC et l’UNICEF. D’autre part, au Nigéria, le conflit armé contre le groupe terroriste avait engendré une forte instabilité nationale menant à de nombreux abus et exploitations. L’enlèvement de 200 jeunes filles de Chibok (État de Borno) en 2014 dans le but de les marier de force aux combattants terroristes en est un exemple récent. La plupart des filles avaient pu être retrouvées et sauvées, mais certaines ont été contraintes à l’esclavage sexuel. La traite des êtres humains sur les parcours de migrations, dans les zones de transit et les pays de destination Les déplacements volontaires ou forcés des populations augmentent leur vulnérabilité face à la traite. En 2018, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés estimait qu’environ 70 millions de personnes ont été contraintes de se déplacer pour cause de conflits, de persécutions, de violences ou de violations des droits de l’Homme. Tout au long de leur voyage, les migrants font face à des situations socio-économiques désastreuses et un manque de protection important. Leur vulnérabilité en fait des cibles pour les trafiquants, les groupes armés ou les réseaux de passeurs. Par exemple, en Libye, le nombre croissant de migrants transitant par le pays pour atteindre l’Europe a mis en lumière le développement considérable du trafic de migrants et de la traite de personnes humaines. En effet, ont été rapportées des situations de migrants vendus sur des « marchés aux esclaves » avant d'être soumis au travail forcé, à l'exploitation sexuelle ou recrutés comme soldats mercenaires. Dans son rapport sur la traite des personnes dans le contexte des conflits armés de 2018, l’ONUDC rappelle que les personnes déplacées sont également exposées au risque de détention illégale, environnement propice à les contraindre ultérieurement au travail forcé. La Libye n’échappe pas à cette réalité puisque les centres de détention accueillent des milliers de migrants qui peuvent servir de sources d’approvisionnement en main-d’œuvre bon marché pour les entreprises. Par ailleurs, dans les zones de conflit et de transit, ce sont non seulement les groupes armés mais aussi d'autres groupes criminels qui se livrent à la traite des personnes qui fuient dangers et persécutions. Selon l’ONUDC, « les populations déplacées de force sont souvent la cible de trafiquants, notamment des réfugiés syriens et iraquiens, des Afghans et des Rohingyas ». Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus d’un million de réfugiés Rohingyas en provenance du Myanmar se sont déplacés vers la région de Cox’s Bazar au Bangladesh depuis août 2017. La situation humanitaire catastrophique au sein des camps de réfugiés s’accompagne d’un risque accru d’être victime de traite. En effet, les trafiquants profitent du conflit interethnique et de cette arrivée massive de personnes pour exploiter les plus vulnérables. L’OIM constate de nombreux abus au sein des camps de réfugiés et interpelle sur « la perspective terrifiante que des milliers de personnes touchées par la crise des Rohingyas finiront entre les mains des trafiquants ». Enfin, les pays d’Europe font face à une recrudescence du phénomène de traite qui est notamment lié aux mouvements de migrations ces dernières années. Dans son 9e rapport de décembre 2019, le GRETA, groupe d’experts européens sur la lutte contre la traite, a indiqué que « les données disponibles font apparaître une tendance à l’augmentation du nombre de victimes (présumées et formellement identifiées), qui est passé de 10598 en 2015 à 15310 en 2018, soit une augmentation de 44% ». Quelles solutions pour protéger les victimes et lutter contre la traite des êtres humains en période de conflits ? Malgré des efforts fournis aux niveaux international et national, il semble encore difficile de mettre fin à l’impunité. La lutte contre la traite des êtres humains reste un des grands enjeux actuels des droits de l’Homme. Selon le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, il reste « beaucoup à faire pour traduire en justice les trafiquants et faire en sorte que les victimes soient recensées et puissent accéder à la protection et aux services dont elles ont besoin ». En 2018, Nadia Murad, femme yézidie ayant été esclave sexuelle de l’État islamique, a reçu le prix Nobel de la paix. Elle est la première victime de traite des êtres humains à être porte-parole aux Nations unies afin de dénoncer ces crimes odieux. Toutefois, le chemin reste encore long pour que toutes les victimes de traite puissent être entendues.


Blandine Maltese

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