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  • Kamélia Khiri

L'INFLUENCE DU LOBBYING DANS LES CONFLITS ARMÉS INTERNATIONAUX : L’EXEMPLE DU CONFLIT AFGHAN



La recherche de rentes est une théorie économique qui émerge dans les années 60 et qui explique les avantages indus que certains groupes parviennent à avoir du pouvoir, en exploitant l’environnement économique ou politique. Dans son discours d’adieu de 1961, le 34e président des États-Unis Dwight D. Eisenhower avait averti les Américains qu’un complexe militaro-industriel s’était installé durant la Seconde Guerre mondiale et influençait fortement le Pentagone. Ce type de soubassements politiques bien que peu examinés dans l’étude des conflits internationaux, revêtent une importance considérable et manifestent un manque de transparence de la part des politiques à l’égard du public. L’image que ce dernier peut se faire d’un conflit ne saurait en effet être correct en l’absence de ces éléments économiques.

Dans cet article, seront étudiés à titre d’exemple les effets de groupes de pression en Amérique du Nord sur le conflit en Afghanistan, et la recherche de profits qui a pu mener le Pentagone, quartier général du département de la Défense aux États-Unis, à prendre certaines de ses décisions dans la résolution de celui-ci.


L’absence de transparence des principaux commandants militaires des États-Unis dans la guerre menée en Afghanistan depuis 2001


La chute rapide de l’Afghanistan aux mains des talibans a surpris la communauté internationale.

Au cours des vingt dernières années de guerre en Afghanistan, loin d’admettre les nombreux échecs qui ont mené progressivement à la situation actuelle, les principaux chefs militaires qui ont dirigé cette guerre ont fait de nombreuses déclarations optimistes. Le général John Allen affirmait ainsi en 2013 « Je pense que nous sommes sur la voie de la victoire. ». De même, le général John Nicholson déclarait en juillet 2016 : « Je dirais que dans l'ensemble, notre mission en Afghanistan est sur une trajectoire positive [...] les talibans n'ont pas encore pu réaliser n'importe laquelle de leurs ambitions territoriales cette année. ». Pourtant, alors que les généraux faisaient ces déclarations, les talibans ont continué d’avancer à travers l’Afghanistan, occupant de plus en plus de territoire.


D’après les Afghanistan papers, série d’entretiens relatifs à la guerre des États-Unis en Afghanistan publiée par le Washington Post en 2019, les huit généraux qui ont mené la guerre en Afghanistan de 2008 à 2019 siègent désormais aux conseils d’administration de plus de vingt sociétés, dont beaucoup ont des relations directes avec le Pentagone. Selon le journal Le Monde, ces entretiens révèlent l’ampleur des dysfonctionnements de la guerre menée par les États-Unis : ces documents révèlent effectivement que les hauts fonctionnaires étaient généralement d’avis que la guerre était impossible à gagner. De plus, la plupart n’a accepté de parler avec l’inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan que s’ils étaient assurés de l’anonymat. Ainsi, GI Wilson, colonel à la retraite et membre actuel du conseil consultatif militaire du Center for Defence Information, a déclaré en 2011 qu’entretenir le flux d'argent du Pentagone et l'environnement politique national qui le soutient tout en influençant leurs successeurs choisis - souvent leurs anciens assistants - pour garder les robinets d'argent ouverts change profondément le message que les généraux et colonels à la retraite envoient au public qui les écoute.

En définitive, les responsables militaires étaient réticents à dire la vérité sur l’Afghanistan en raison de ces influences.


Le complexe militaro-industriel et la recherche d'intérêts privés dans la poursuite de l’occupation américaine en Afghanistan


Selon Martin Emmanuel, professeur d’économie à la faculté de droit d’Aix-en-Provence il y aurait des intérêts acquis dans l'entreprise de construction de la nation, financée avec l'argent des contribuables ; ces intérêts vont des sociétés de sécurité et d'armement à la bureaucratie de l'aide internationale. La capacité de ces acteurs à faire pression pour de nouvelles expériences de construction nationale qui leur ouvrent aussi de nouveaux marchés reste considérable.

Depuis 2001, jusqu’à la moitié des 14 000 milliards de dollars de dépenses de défense américaines sont allés à des sous-traitants, selon The United Press International, le Pentagone ne cessant de traiter avec des entrepreneurs privés. En outre, le Center for international policy explique que le fait que la guerre est une source de profits peut contredire les objectifs que les États-Unis mènent avec diplomatie dans la résolution des conflits et que la dépendance croissante du Pentagone vis-à-vis des entrepreneurs privés après le 11 septembre soulève de multiples questions de responsabilité et de transparence. Dan Grazier, ancien capitaine du Corps des Marines en Afghanistan et journaliste, énumère les contrats d’armements passés par le ministère de la Défense des Etats-Unis avec des entreprises privés. En 2008, le ministère de la Défense avait ainsi déboursé 5,3 milliards de dollars auprès de 77 prestataires de services de sécurité privée. Ce montant va jusqu’à 5 milliards de dollars par an pour la filiale Kellogg Brown and Root, une entreprise spécialisée dans la technologie. De plus, pour obtenir des opérations de renseignement et un soutien analytique en Afghanistan, ce ministère avait payé 907 millions de dollars en 2019 à la CACI, qui s’était par ailleurs opposée au retrait des troupes américaines du territoire afghan. Dan Grazier explique ainsi l’importance du lobbying dans ces contrats d’armements et affirme que l'Afghanistan et les autres guerres post-11 septembre prouvent que la victoire importe peu au complexe militaro-industriel-congrès, tant que les différents acteurs parviennent à récolter des avantages financiers.


Les conséquences de ce type de lobby sur le nombre de conflits armés

L’avertissement d’Eisenhower lors de son discours de fin de mandat présente l’influence du complexe militaro-industriel américain comme une menace pour la démocratie et pour la paix et fait le vœu d’un monde désarmé « dans l’honneur et la confiance mutuelle ». Il envisage de fait la possibilité d’une nation pacifique par la présence d’une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés afin d’imposer un véritable entrelacement de l'énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec des méthodes et des buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble.

Toutefois, depuis et en dépit de ce discours, le complexe n’a cessé d’accroitre son poids dans la société américaine. Aussi il est possible de s’interroger sur les conséquences de ce lobby sur le nombre des conflits armés. En effet, depuis la fin du mandat d’Eisenhower, les États-Unis n’ont pu satisfaire le souhait d’une nation pacifique depuis la Guerre du Vietnam (1963-1973), à celle de Grenade (1983), aux Guerres du Golfe (1991, 2003), en Serbie et au Kosovo, en Afghanistan, en Libye mais aussi aux occupations militaires de pays en Afghanistan ou en Irak, aux interventions de la part des services secrets en Amérique centrale dans les années 80. De plus, le budget de la défense des États-Unis a de nouveau augmenté depuis 2015, se hissant à la tête du classement mondial avec un budget de plus de 700 milliards de dollars.


En définitive, les contrats d'armements montrent les guerres peuvent se montrer lucratives. Certaines entreprises privées peuvent ainsi en profiter pour influencer des membres des assemblées politiques, notamment dans les prises de décisions relatives aux financements du ministère de la Défense. Aussi, l’engagement de certains pays dans des conflits internationaux armés ont en réalité souvent pour corollaire des intérêts économiques.

Kamélia Khiri



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