top of page
Margot Pfrimmer

L’INSTRUMENTALISATION DU CONFLIT ARMÉNO-AZERBAÏDJANAIS PAR LES PUISSANCES MONDIALES (1)

Dernière mise à jour : 22 mars 2023


« Alors que les États occidentaux ont armé l’Ukraine et soutiennent Kiev d’autres manières, l’Arménie ne reçoit que des mots et des vœux ».


Ce constat percutant est celui d’Irina Yolian – adjointe au maire de la ville arménienne de Goris – en référence au traitement médiatique réservé au conflit arméno-azerbaïdjanais, rythmé par d’incessants affrontements depuis son éclatement en novembre 1991. À ce jour, le conflit continue de sévir dans la région du Caucase du Sud, en particulier celle du Haut-Karabagh, un territoire rattaché à l’Azerbaïdjan pendant la période soviétique, où la population arménienne y est majoritaire. À l’occasion de l’effondrement de l’URSS en 1991, la population de la région déclare son indépendance et proclame la République du Haut-Karabagh. En tant que carrefour stratégique des aires d’influence russes, turques et iraniennes, ce territoire est devenu le théâtre d’une instrumentalisation économique et politique de la crise humanitaire au service des intérêts étrangers. Il se retrouve aujourd’hui au cœur de l’opposition entre Erevan et Bakou, sombrant dans les abîmes d’une guerre qui s’éternise.





En septembre 2020, l’éclatement de nouvelles tensions avait ravivé le conflit post-soviétique. Cela a conduit à replacer la crise frontalière entre les Républiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan à l’ordre du jour. La signature d’un accord de cessez-le feu le 9 novembre 2020 par les deux parties, sous l’égide de la Russie, a cependant permis de mettre fin à 44 jours d’hostilités dans le Haut-Karabagh. Aujourd’hui, les deux États se dirigent vers de nouvelles confrontations, dont l’ampleur et la gravité conduisent à la mise en place d’un nouvel ordre régional impliquant l’Occident, la Russie ou encore la Turquie.


En réponse aux nouvelles attaques perpétrées par l’Azerbaïdjan, l’Arménie avait annoncé en septembre 2022 son intention d’invoquer la clause de sécurité collective consacrée par l’article 4 de la charte de l’OTSC, une alliance militaire (« Mini-OTAN ») menée par la Russie et comprenant d’anciennes républiques soviétiques. En vertu de cette clause, les États membres doivent apporter leur aide à un autre État partie victime d’un acte d’agression [c’est-à-dire une attaque armée qui menace la sécurité, la stabilité, l’intégrité et la souveraineté d’un territoire]. Pourtant, la Russie semble progressivement abandonner sa mission protectrice dans le Caucase, comme en témoigne l’absence d’assistance militaire de Moscou pour venir en aide aux Arméniens. Malgré la mise en jeu de sa crédibilité en tant qu’État représentant de l’OTSC, la Russie a préféré ne pas intervenir afin de se protéger d’une éventuelle riposte militaire de la part de la Turquie. Cette dernière est en effet un soutien majeur et un allié historique de l’Azerbaïdjan, attisant davantage les tensions préexistantes entre les nations arméniennes et azérie.


Depuis le 12 décembre 2022, les 120 000 habitants de l’enclave du Haut-Karabagh sont les victimes de premier plan du blocus* du corridor de Latchine orchestré par des militants azerbaïdjanais. Il s’en est suivi une grave pénurie de denrées alimentaires, d’électricité, de chauffage et de fournitures médicales dans la région. Outre l’insuffisance de l’aide humanitaire et la difficile intervention des autorités nationales, les habitants doivent faire face à l’indifférence généralisée des puissances étrangères pourtant bien présentes sur le territoire.



« la Russie semble progressivement abandonner sa mission protectrice dans le Caucase, comme en témoigne l’absence d’assistance militaire de Moscou pour venir en aide aux Arméniens »



A l’instar du conflit syrien, cette crise emprunte les traits d’une guerre d’opportunité pour les puissances mondiales qui semblent davantage préoccupées par l’exploitation des ressources naturelles pour satisfaire leurs intérêts propres, qu’ils soient d’ordre géopolitique ou financier. En effet, l’accord gazier conclu entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan, qui avait lui-même déjà accru ses échanges avec la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine, semble illustrer la prédominance des intérêts financiers au détriment des enjeux humanitaires. L’industrie pétrolière influente de l’Azerbaïdjan a fait de sa capitale un symbole de richesse et de vitalité économique. Cette contractualisation des relations avec l'Azerbaïdjan a néanmoins pour effet de limiter l’intervention de l’UE sur le territoire du Haut-Karabagh. Elle a notamment refusé d’imposer des sanctions à l’Azerbaïdjan en tant que fournisseur essentiel de produits énergétiques. Interrogée sur la pertinence de l'accord gazier ayant entraîné un déni des droits humains et des Conventions de Genève, la France justifie sa politique par les impératifs liés à la crise énergétique et la nécessité de réduire la dépendance européenne au gaz russe.


En outre, l’actuelle guerre russo-ukrainienne et les différentes rivalités nées du conflit, notamment entre la Russie et les pays occidentaux, ont entraîné d’importantes répercussions dans la région du Caucase du sud en termes d’intérêts et d’influence. En tant qu’alliée historique de l’Arménie, la Russie a toujours joué un rôle primordial dans l’arbitrage de ce conflit territorial, notamment en tant que principal fournisseur d’armes auprès des deux parties au conflit. Or, elle est aujourd’hui critiquée pour son silence et son manque d’implication, au point d’être accusée par l’Arménie d’avoir autorisé la poursuite du blocus. En parallèle, l’UE continue de vanter sa détermination à sanctionner économiquement la Russie ainsi que de soutenir l’Ukraine, tant sur le plan matériel que financier. L’indifférence que subit la population Artsakhtsi [habitant du Haut-Karabagh (ou Artsakh), NDLR] détonne tout particulièrement avec l’émotion et la réactivité dont a fait preuve la communauté internationale dans le cadre du conflit russo-ukrainien. Pourtant, l’Ukraine et le Haut-Karabagh sont victimes d’une agression de même type, tous deux dévastés par les ravages d’un conflit armé international.



« Cette contractualisation des relations avec l'Azerbaïdjan a néanmoins pour effet de limiter l’intervention de l’UE sur le territoire du Haut-Karabagh. »



L’Azerbaïdjan semble tirer profit de la conjoncture internationale qui contraint la Russie à se détourner de son rôle de garante de la paix dans le Caucase. D’ailleurs, le Conseil de Sécurité des Nations unies, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la Cour Internationale de Justice ou encore le Parlement européen entendent prendre les mesures nécessaires pour palier l’inaction de l’Azerbaïdjan. Celui-ci est pourtant responsable de la fermeture de l’unique route reliant le Haut-Karabagh à l’Arménie, ayant ainsi entraîné le blocus. Bien que les pays occidentaux se réjouissent du déclin de la puissance russe dans la région, les experts estiment que ces derniers ne sont pas en mesure de se substituer aux forces armées russes. Ainsi, l’absence d’engagement des acteurs internationaux, accusés d’indifférence et de passivité généralisée, s’inscrit dans un climat géopolitique complexe.


A l’image du conflit syrien, l’espoir d’une paix durable dans le Haut-Karabagh semble vain. L’échec des tentatives de médiation entre les parties et la poursuite des intérêts nationaux entraîne l’éternelle résurgence du conflit qui, à l’occasion de chaque nouvelle tension, parvient à renaitre de ses cendres. Le Haut-Karabagh, devenu une véritable tombe à ciel ouvert, subit le silence de la communauté internationale dans un contexte de développement des crises humanitaires à travers le monde.



Margot Pfrimmer


Image © - Sphaera Magazine / Chira Tudoran




* Le blocus est un acte de guerre visant à faire pression sur un État en lui interdisant par la force toute communication ou échanges économiques (ravitaillement) avec l’extérieur par voie navale ou aérienne ;

157 vues0 commentaire

Comments


bottom of page