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  • Blandine Maltese

L’INSECURITÉ ALIMENTAIRE EN 2020 : UNE AUGMENTATION INQUIÉTANTE LIÉE À LA CRISE SANITAIRE ACTUELLE

Le dernier rapport des Nations Unies sur L’état de la sécurité alimentaire et la nutrition dans le monde, paru le 13 juillet 2020, estime que 690 millions de personnes ont souffert de la faim en 2019. Selon ce même rapport, « au moins 83 millions de personnes supplémentaires, et peut-être même jusqu’à 132 millions, pourraient souffrir de la faim en 2020 du fait de la récession économique causée par la pandémie ». L’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) évalue le pourcentage mondial de la population en situation d’insécurité alimentaire sur la base de divers indicateurs qui permettent de connaitre le nombre de personnes n’ayant pas assez de ressources nutritives pour mener une vie active et saine. En ce sens, une telle situation est déclarée lorsqu’une population « n'a pas un accès régulier à suffisamment d'aliments sains et nutritifs pour une croissance et un développement normal et une vie active et saine. Cela peut être dû à l'indisponibilité de nourriture et/ou au manque de ressources pour se procurer de la nourriture ». Si plusieurs facteurs peuvent expliquer le phénomène de la faim, la persistance et l’augmentation de l’insécurité alimentaire sont particulièrement visibles en temps de crises. En accentuant les inégalités, la pandémie mondiale, que nous connaissons depuis maintenant plusieurs mois, a impacté considérablement la problématique de la faim, créant ou exacerbant des crises sociales, humanitaires, économiques ou sécuritaires préexistantes.


L’intensification de l’insécurité alimentaire à cause de la pandémie


La pandémie de Covid-19 s’est rapidement fait ressentir dans les pays déjà en proie à des situations d’insécurité alimentaire ou de faim aigüe, au point que le Programme alimentaire mondial (PAM) parle de « pandémie de la faim ». La FAO a également constaté l’apparition de ce phénomène de précarité alimentaire dans des zones ou à l’égard de groupes de population qui n’étaient pas habituellement affectés. La crise sanitaire a eu comme conséquence immédiate un ralentissement général de l’économie provoquant notamment une baisse du niveau de l’emploi, ainsi que des perturbations sur la production et l’offre alimentaires. Les mesures protectionnistes prises par les États afin de lutter contre la propagation du virus, ont eu pour résultats de limiter les exportations et rendre plus complexe voire impossible l’accès à certaines denrées de base et matières premières. En Centrafrique par exemple, où la moitié de la population vit dans un état d’insécurité alimentaire, les effets ont été presque immédiats avec la hausse des prix du riz et de la viande (30%) ainsi que du haricot (25%). Les approvisionnements ont également été ralentis aux frontières voire bloqués pendant plusieurs semaines, empêchant le réapprovisionnement des stocks et l’accès à certaines denrées alimentaires essentielles. D’autre part, le marché du riz a également été perturbé en raison de l’interruption des exportations pendant plusieurs semaines en mars par le Vietnam, troisième exportateur mondial, ce qui a entrainé une flambée des prix de cette denrée et un accès limité pour des populations dépendantes de ces importations. Les perturbations logistiques dues au contexte sanitaire mondial ont pour conséquence principale d’augmenter les difficultés d’accès à l’alimentation, ce qui participe nettement à l’accélération du phénomène de la faim. La crise sanitaire a également eu pour conséquences de multiplier les crises sociales liées à l’emploi, participant à l’augmentation du chômage, de la précarité et creusant les inégalités partout dans le monde.


Superposition des crises sécuritaires, humanitaires et sanitaires : quelles conséquences pour les populations civiles ?


L’étude conjointe des organisations spécialisées de l’ONU sur l’état de l’insécurité alimentaire mondiale souligne l’augmentation persistante de la faim depuis ces cinq dernières années, qui croît au même rythme que la population mondiale. Si les conflits étaient toujours le principal facteur des crises alimentaires en 2019, les conséquences du changement climatique ainsi que les crises économiques plus nombreuses sont venues s’ajouter aux moteurs du phénomène chronique de la faim. La pandémie et ses répercussions apparaissent également comme des facteurs aggravants d’une situation alimentaire mondiale particulièrement inquiétante. Ce sont plus de 55 pays qui étaient touchés par la faim en 2019 et qui le sont encore plus depuis le début de la crise sanitaire. Parmi eux figurent certains pays en proie à des crises humanitaires et sécuritaires d’une intensité telle que la pandémie ne fait que les aggraver. Le Yémen, pays en conflit depuis de nombreuses années « où plus de 20 millions de personnes souffrent d'insécurité alimentaire, dont près de 10 millions de famine sévère », la République démocratique du Congo, l’Afghanistan ou encore le Venezuela représentent 65% des personnes subissant une crise alimentaire aigüe dans le monde. La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO) a également souligné que l’impact de l’épidémie de la Covid-19, se cumulant aux problématiques déjà existantes de sécheresse et d’insécurité de la région, a favorisé le quasi-triplement du nombre de personnes en situation de faim aigüe, passant de 17 à 50 millions entre juin et août 2020. La multiplication et l’accumulation de crises à la fois sécuritaires, humanitaires, sociales, et maintenant sanitaires participent à cet accroissement général de l’insécurité alimentaire mondiale. Les études observent que de nouveaux épicentres de la faim émergent notamment en Inde, en Afrique du Sud ou encore au Brésil qui constatent une augmentation rapide de la faim. En Amérique Latine, la situation semble particulièrement préoccupante, le PAM prévoyant que 10 millions de personnes supplémentaires basculeraient dans une situation d’insécurité alimentaire grave dans les 11 pays du continent. Au total, le nombre d’individus touchés par le phénomène de la faim aigüe passerait de « 3,4 millions en 2019 à environ 13,7 millions en 2020, en grande partie en raison du coronavirus ».


L’objectif « Faim zéro » de 2030 loin d’être atteint


Actuellement, l’agriculture mondiale est en mesure de nourrir 10 à 12 milliards de personnes. Pour autant, l’accès à l’alimentation n’est pas garanti. La crise sanitaire dévoile une nouvelle fois les difficultés de mise en œuvre de l’objectif de développement durable visant à éradiquer la faim et à assurer la sécurité alimentaire d’ici à 2030. Les conséquences de la pandémie sur l’accès à l’alimentation sont un énième rappel des failles systémiques qui existent et qui empêchent de gérer durablement le problème de la faim. Il est encore difficile de mesurer l’impact de la pandémie de la Covid-19, mais il semblerait que si la tendance actuelle d’une augmentation et/ou d’une aggravation de l’insécurité alimentaire se poursuit, en 2030, en Afrique, plus de la moitié des personnes souffriront de manière chronique de la faim. Ce qui inquiète particulièrement le PAM, c’est que les conséquences de la crise sanitaire soient plus néfastes que celles du virus en lui-même. Le directeur de l’organisation, David Beasley a rappelé qu’« en raison des nombreuses guerres, du changement climatique, de l'utilisation généralisée de la faim comme arme politique et militaire, et d'une pandémie mondiale qui aggrave tout ça de façon exponentielle, 270 millions de personnes s'acheminent vers la famine ». Le PAM a néanmoins développé un outil de monitoring à distance, le Mobile Vulnerability Assessment and Mapping (mVAM) permettant de collecter des données en temps réel et de renforcer efficacement ses interventions dans les zones les plus sévèrement touchées. Toutefois, même si la réponse urgente est nécessaire face à l’augmentation rapide et diffuse des situations d’insécurité alimentaire en cette période de crise sanitaire mondiale, la question de la durabilité de l’accès à l’alimentation reste un défi conséquent.


Blandine Maltese

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