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Louise Poelaert

L'INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE EN CORÉE DU NORD : UNE CRISE HUMANITAIRE MÉCONNUE

« Il n'y avait rien sauf des feuilles de maïs réduites en poudre, qui constipaient. Je mangeais des lézards, des serpents, des rats et de l'herbe » explique Kim, un transfuge échappé de Corée du Nord qui a été un enfant des rues lors de l’épisode de la grande famine débutant en 1994 dans le pays. Sur 22 millions d’habitants, on estime à 3,5 millions le nombre de Nord-coréens morts par la faim ou à la suite d’une maladie liée à la famine entre 1994 et 1998. Pourtant, plus de 20 ans après, encore plus de 10 millions de personnes, soit 40% de la population, souffrent de malnutrition selon une récente évaluation alimentaire de l’Organisation des Nations Unies (ONU). La récente fuite des employés de l’ambassade russe de Pyongyang en raison de « conditions de vie insupportables dans la capitale nord-coréenne » confirme que le pays le plus fermé du monde est à nouveau touché par l’insécurité alimentaire.


Des Nord-coréens gravement “affamés” en raison des enjeux climatiques et politiques


La Corée du Nord est un pays dont le terrain et le climat ne sont pas favorables pour la culture. En conséquence, les nombreuses montagnes et les courtes saisons de pousse constituent des obstacles naturels à l’agriculture. A cela se sont ajoutées des pratiques agricoles intensives afin d’optimiser les rendements nationaux, faisant dépendre les ressources alimentaires de l’irrigation et des engrais. En effet, un tel système a démontré ses limites lors de l’effondrement du bloc soviétique, puisque la cessation de livraison de pétrole à prix préférentiels a provoqué la hausse des prix des produits chimiques, que la Corée du Nord utilise dans ses champs. Par ailleurs, les diverses catastrophes naturelles, telles que les nombreuses inondations et les périodes de sécheresse touchant le pays, exposent les Nord-coréens à un état d’insécurité alimentaire grave. Finalement, le choix d’une agriculture nationale, et quasiment sans importation, ne permet pas de répondre aux besoins du pays de la population et favorise les pénuries alimentaires.


A ces premiers éléments, similaires à ceux qui ont entraîné la grande famine de 1994, s’ajoute un nouveau facteur qui caractérise davantage la situation alimentaire actuelle en Corée du Nord. Effectivement, le pays fait de plus en plus l’objet de sanctions internationales en raison des programmes nucléaires. Ainsi, les faibles importations alimentaires, dont dépend pourtant grandement le pays, se raréfient mais ne font pas plier le gouvernement de Kim Jong-un. En définitive, ce sont surtout les populations nord-coréennes qui subissent ces choix politiques et la situation semble de plus en plus alarmante. En ce sens, le dirigeant du pays a exhorté les responsables du parti au pouvoir à entreprendre une nouvelle « Marche forcée », expression ayant été utilisée lors la période de famine des années 1990 et étant ainsi révélatrice de l’urgence de la situation actuelle en Corée du Nord. De même, les moyens utilisés par la population pour tenter d’échapper à la famine témoignent de la gravité des différentes tensions alimentaires frappant le pays. Si certains Nord-coréens se sont rendus coupables de cannibalisme par le passé, aujourd’hui se sont davantage des marchés noirs de street food qui s’organisent pour faire face à la faim.

Une crise alimentaire aggravée par les mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire


Alors même que la République populaire démocratique de Corée n’a pas encore signalé de cas positifs de Covid-19, des mesures drastiques de prévention ont été prises par le gouvernement et inquiètent fortement l’ONU. Parmi les mesures sanitaires adoptées, une fermeture des frontières plus stricte, une restriction de la circulation au sein du pays, l’autorisation pour les forces de l’ordre de « tirer à vue » sur les personnes tentant de franchir les frontières ou encore la création de centres de détention pour les personnes ne respectant pas les règles sanitaires.


Si la Corée du Nord semble davantage menacée par la famine que par la Covid-19, la superposition de crises alimentaire et sanitaire constitue un risque certain au regard des droits de l’Homme. A cet égard, le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la situation des droits humains en Corée du Nord a lancé une alerte le 10 mars 2021 sur l’aggravation des conditions de vie des Nord-coréens, liée à un isolement sévère des populations déjà soumises à « des schémas de graves violations des droits de l’Homme ». Finalement, les mesures sanitaires renforcent l’insécurité alimentaire touchant le pays puisque le déclin de l’économie, dû notamment à la fermeture des frontières, a abouti à des « décès par famine (...) ainsi qu’une hausse du nombre d'enfants et de personnes âgées qui ont recours à la mendicité ».


Les difficultés de l’aide humanitaire internationale


Les restrictions à l’importation, notamment entre la Corée du Nord et la Chine ou les organisations humanitaires, ont également pour conséquence une inquiétude croissante au regard de l’acheminement de l’aide internationale. A cela s’ajoute l’image négative que reflète le pays car même si en principe l’aide internationale n’est pas liée à la situation politique des États, en réalité les régimes dictatoriaux n’incitent pas les dons de la part des autres pays. Plus encore, certains États refusent d’apporter leur assistance à la Corée du Nord au motif que cette aide encouragerait le régime à ignorer les besoins des Nord-coréens en affectant les ressources aux programmes nucléaires.

Pourtant, Elisabeth Byrs, porte-parole du Programme alimentaire mondial des Nations Unies, souligne le bilan sombre de la situation humanitaire en Corée du Nord et rappelle qu’en « cette période de grand besoin, la communauté internationale ne doit pas détourner le regard ». La gravité de la crise humanitaire s’illustre clairement par les relances de contacts diplomatiques opérées par la Corée du Nord elle-même en vue d’obtenir rapidement de l’aide humanitaire, notamment auprès d’ONG sud-coréennes. Le choix de venir ou non en aide à une population en difficulté, victime de sanctions politiques dirigées contre leur pays, semble ainsi être un vrai dilemme qui se pose à la communauté internationale aujourd’hui. Malgré la présence de la situation en Corée du Nord au sein du classement de 2020 de l’ONG Care des 10 crises humanitaires oubliées et le refus de certains États, comme la Russie, de constater l’existence d’une crise alimentaire touchant les Nord-coréens, des efforts sont réalisés. En ce sens, les progrès en matière d’irrigation et de production d’engrais, ou encore l’envoi d’une aide alimentaire par Séoul à Pyongyang, une première depuis 9 ans, encouragent la résolution des multiples crises touchant la Corée du Nord.


Louise Poelaert


Image © DAVID GUTTENFELDER/AP - 2014

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