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Emma Scassola

L’USAGE D’ARMES CHIMIQUES DANS LE CONFLIT SYRIEN : LES CONSÉQUENCES ET LES RÉPONSES ACTUELLES

Dernière mise à jour : 7 mars 2023

Le 1er mars 2021, le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (CSM) a déposé une plainte en France pour crime contre l’humanité et crime de guerre contre plusieurs hauts dirigeants syriens pour avoir utilisé des armes chimiques, notamment à l’encontre de la population civile syrienne. La plainte, basée sur la compétence extraterritoriale - une des victimes représentées étant franco-syrienne - vise des attaques meurtrières au gaz sarin (gaz neurotoxique mortel, 500 fois plus puissant que le cyanure) perpétrées en août 2013 au sein de la Ghouta orientale, dans la banlieue de Damas. C’est la première fois qu’une plainte, en France, vise le régime syrien pour l’utilisation d’armes chimiques contre sa population. Néanmoins, celle-ci s’inscrit dans la continuité de certaines actions intentées en Europe. Notamment, la condamnation, en Belgique, de plusieurs entreprises belges qui vendaient certains composants d’armes chimiques en Syrie, malgré l’interdiction de production, de stockage et de vente de ces composants. Par ailleurs, en octobre 2020, une plainte a été déposée en Allemagne par deux organisations non-gouvernementales (ONG) syriennes - Open Society Justice Initiative et Organisation Syrian Archive - sur le fondement de la compétence universelle. La plainte allemande concerne les attaques de 2013 dans la Ghouta orientale et les attaques de 2017 à Khan Cheikhoun. Ces deux attaques sont considérées, à ce jour, comme étant les plus meurtrières depuis l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien. En février dernier, un ex-agent du renseignement syrien a été condamné à quatre ans et demi de prison pour complicité de crime contre l’humanité par la Haute Cour régionale de Coblence (Allemagne).


Retour sur la situation en Syrie depuis 2011


La Syrie, pays composé à 70% de sunnites, est dirigée par la famille alaouite al-Assad (d’abord par Hafez, puis par son fils Bachar) depuis 1970. De ce fait, une grande partie des sunnites ont rejoint l’opposition mais ne forment pas un front uni en raison de divergences confessionnelles.


Les premières manifestations contre le régime syrien ont commencé en mars 2011 à la suite de l’arrestation et de la torture d’un collégien ayant écrit sur un mur de Deraa des slogans critiquant le Président de la République arabe syrienne - Bachar al-Assad. C’est en réaction à cet événement et donnant suite au début des printemps arabes dans les pays voisins, avec la chute du Président Ben Ali en Tunisie et du Président Moubarak en Égypte, que les manifestations ont éclaté et se sont rapidement intensifiées en Syrie. Des tensions préexistaient, notamment en raison du taux de chômage élevé, de la corruption et du manque de liberté politique dans le pays sous le régime de Bachar al-Assad depuis 2000. Par ailleurs, une période de sécheresse a été à l’origine de migrations de masse dans le pays donnant lieu à des tensions entre communautés et vis-à-vis du gouvernement. Certains parlent même d’une « guerre climatique ».


Très rapidement les manifestations se sont répandues dans tout le pays et ont dégénéré, notamment en conséquence de la violente répression du gouvernement. Dès lors, et depuis maintenant 10 ans, le conflit s’est mué en guerre civile dans laquelle s’opposent de nombreux groupes à savoir l’Armée syrienne libre (l’opposition armée), les Kurdes du PYD (Union Démocratique Kurde), des groupes jihadistes salafistes (Front al-Nosra et Daech) et l’armée gouvernementale syrienne. De nombreux États sont impliqués notamment avec l’envoi d’argent, d’armes ou de troupes. La Russie et l’Iran soutiennent le gouvernement syrien, les puissances occidentales et la Turquie soutiennent l’opposition, et enfin la Turquie est venue combattre et contenir les Kurdes du YPG alors que ces derniers sont soutenus par les puissances occidentales. Par ailleurs, al-Qaïda et l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) se sont également impliqués en supportant, pas toujours d’un front unifié, les groupes jihadistes salafistes. Toutes ces implications et alliances rendent ce conflit complexe à appréhender et même à qualifier. Les juristes et politiciens ne se sont toujours pas accordés sur la nature de ce conflit. Certains le qualifient de conflit armé international (du fait de la forte implication d’autres puissances), ou un conflit armé non-international (du fait de l’opposition entre plusieurs groupes internes à la Syrie) ou encore un mélange entre ces différentes catégories.


En décembre 2020, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme a estimé le nombre de morts depuis le début du conflit à 593 000, incluant 117 000 civils. Plus de la moitié des 22 millions d’habitants de la République arabe syrienne ont fui leur foyer, dont 5,6 millions à l’extérieur du pays. Cet exode est massivement enduré par les pays voisins - la Turquie, le Liban et la Jordanie accueillant 93% des réfugiés. D’après l’Organisation des Nations unies (l’ONU), en janvier 2021, près de 13,4 millions de Syriens avaient besoin d’une aide humanitaire, dont 6 millions pour besoin aigu.


L’utilisation des armes chimiques dans le conflit syrien

Les hostilités sont marquées par l’utilisation d’armes chimiques, contre la population civile, à des fins militaires et politiques, par plusieurs parties au conflit. L’utilisation d’armes chimiques est souvent perçue comme une des pires atrocités de guerre. Leur emploi est d’ailleurs régulé et interdit par la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, entrée en vigueur en 1997. Quand la guerre civile a éclaté, la Syrie est l’un des huit pays au monde n’ayant pas ratifié le traité. Des accusations d’utilisation d’armes chimiques pèsent à la fois sur le gouvernement syrien, les rebelles (de l’opposition) et l’État islamique. Néanmoins, la plainte déposée devant les juridictions françaises par le CSM concerne uniquement les utilisations du gouvernement syrien contre la population civile syrienne.


Dès le 23 juillet 2012, le régime syrien reconnaît disposer d’armes chimiques et menace de les utiliser contre toute agression étrangère, en assurant néanmoins ne pas les utiliser contre sa population. En effet, à ce moment-là, les puissances occidentales avaient envisagé une intervention en soutien aux rebelles.


Malgré cela, dès mars 2013, de nombreuses sources rapportent progressivement que le régime syrien utilise du gaz sarin dans la province de la Ghouta orientale, contre les forces de l’opposition. Par ailleurs, ces attaques ne se limitent pas aux forces de l’opposition, mais touchent également les civils, notamment lors des attaques du 4 et 5 août 2013 de Adra et Douma, faisant plus de 450 blessés, et celle du 21 août 2013, qui a fait plus de 1 000 morts et des milliers de blessés. Deux journalistes du journal Le Monde se sont rendus sur place et ont ramené des vêtements portés par des victimes afin qu’ils puissent être analysés en France. Les analyses ont confirmé l’utilisation du gaz sarin. Depuis lors, plusieurs menaces d’intervention en réaction à l’usage de ces armes pèsent sur le régime syrien, notamment de la part des États-Unis d’Amérique, de la France et du Royaume-Uni. Néanmoins le gouvernement syrien, soutenu par la Russie, dément fortement l’usage de telles armes.


Plusieurs initiatives internationales et diplomatiques ont été mises en œuvre, notamment l’instauration de commissions d’enquêtes et l’envoi d’experts dans les villes victimes d’attaques à l’arme chimique. Toutefois, la plupart de ces initiatives ont été bloquées par les vétos d’abord russe et chinois, puis uniquement russe au Conseil de sécurité des Nations unies (l’organe exécutif de la communauté internationale).


Néanmoins, sous la pression internationale, la Russie et la Syrie ont dû céder. La Syrie a ratifié la Convention sur l’interdiction des armes chimiques en septembre 2013 et a placé son arsenal sous contrôle international. Toutefois, des soupçons subsistent concernant le fait que des armes, composants et infrastructures auraient été soustraits de ce contrôle. En effet, de nombreuses attaques chimiques ont été perpétrées - plus de 130 entre 2012 et 2017, faisant au moins 2 000 morts - après le désamorcement de l’arsenal chimique syrien. Par exemple, lors de l’attaque de 2017 de Khan Cheikhoun, plusieurs rapports ont relevé la présence de la marque de fabrique des armes chimiques syriennes.


Quelles actions sont menées aujourd’hui en France et à l'international?

La Cour pénale internationale (CPI) est compétente concernant l’utilisation d’armes chimiques dans des conflits armés internationaux uniquement (article 8 (2) xviii du Statut de Rome). Néanmoins, plusieurs obstacles se posent à son action. En effet, la Syrie n’est pas partie au Statut de Rome ce qui empêche la CPI d’être compétente sur le territoire syrien. Le déferrement de la situation par le Conseil de sécurité, afin de contourner le défaut de compétence de la CPI, est également impossible en l’espèce puisque la Russie oppose son veto à chaque tentative de résolution. Par ailleurs, la complexe qualification du conflit syrien est un autre obstacle puisque des débats persistent concernant le droit applicable aux conflits armés internationaux ou aux conflits armés non-internationaux. En outre, en s’inspirant du système du Tribunal militaire de Nuremberg et de la CPI, la communauté internationale milite en faveur de la création d’un tribunal spécial pour la Syrie afin de lutter contre l’impunité des responsables des atrocités commises dans le conflit syrien. En effet, la création d’un tel tribunal permettrait de favoriser la coopération et de lever l’immunité de juridiction des chefs d’Etat en exercice, dont jouissent Bachar al-Assad et ses proches conseillers.


En conséquence, les victimes d’armes chimiques en Syrie ont dû se tourner vers la justice européenne avec une action en cours en Allemagne et une plainte récemment déposée en France. Par ailleurs, la France a pris des sanctions contre le régime syrien pour l’usage de ces armes et est à l’origine de réformes au sein de l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC) visant à faciliter la dénonciation des auteurs d’attaques chimiques. De plus, le Partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques a été créé à Paris en janvier 2018. C’est une initiative diplomatique qui réunit quarante États et qui vise à centraliser les sanctions. Enfin, en septembre 2020, Macron a réaffirmé l'intransigeance française sur la question chimique devant l’Assemblée générale des Nations unies. Néanmoins, et ce malgré toutes les actions entreprises par la France, rien ne laisse penser que le régime de Bachar al-Assad va mettre un terme à l’usage d’armes chimiques.


Emma Scassola


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