“Le conflit syrien est la pire démonstration de la destruction du système de santé utilisée comme arme de guerre”. Ces mots, prononcés par Donna McKay, directrice de l’ONG américaine Physicians for Human Rights, témoignent de la stratégie militaire menée, notamment par le régime syrien, pour cibler les populations civiles. Les origines du conflit Comme pour les autres pays du Moyen-Orient, les contestations liées aux « Printemps arabes » atteignent la Syrie dès mars 2011. Elles s’élèvent contre le régime dictatorial du parti Baath et de la famille Al-Assad, au pouvoir depuis les années 70, et se veulent initialement pacifiques. Néanmoins, la situation dégénère rapidement, du fait de la répression extrêmement violente des manifestations par les autorités. En effet, les forces de l’ordre tirent sur les manifestants tandis que les personnes arrêtées sont torturées dans les prisons. Cette escalade de la violence entraîne la militarisation du conflit, les opposants s’armant pour se protéger contre les tirs et autres exactions commises par le régime. Au fur et à mesure, le conflit se prolonge et s’enlise, pour se transformer en véritable guerre civile. Les civils sont les premières victimes de cette guerre. Actuellement, le nombre de morts s’élèverait à 570 000 personnes, dont plus de 250 000 civils. 2 millions de personnes, dont des civils, auraient été blessées. Selon le HCR, le conflit aurait engendré le déplacement de population le plus important depuis la seconde guerre mondiale avec 6,6 millions de déplacés internes et 5,6 millions de réfugiés depuis 2011. Les civils restés sur place vivent dans une situation d’insécurité. La guerre a mené à une crise humanitaire d’une ampleur telle, qu’elle est aujourd’hui l’une des situations les plus graves et les plus complexes au niveau mondial. Selon le HCR, 13.1 millions de personnes auraient besoin d’une assistance humanitaire, pour un pays comptant initialement 22 millions d’habitants. La santé comme arme de guerre Les populations civiles font face à des difficultés humanitaires et notamment sanitaires puisque 8 années et demie de conflit ont considérablement affaibli le système de santé syrien. Celui-ci est volontairement et en grande partie détruit, notamment par le régime et ses alliés, qui utilisent la santé des populations comme une véritable arme de guerre pour faire plier les opposants, et faire fuir les civils des quartiers résidentiels. De manière récurrente, des avions gouvernementaux syriens et russes bombardent les infrastructures médicales et les hôpitaux, alors même que très souvent, ces hôpitaux ne sont pas situés à proximité d’un objectif militaire, ni ne représentent en eux-mêmes, de tels objectifs. Il y a donc une réelle volonté de cibler ces infrastructures. En effet, en droit international humanitaire, les personnes et les biens civils sont à distinguer des objectifs militaires, et seuls ces derniers peuvent faire l’objet d’une attaque armée. Les établissements de soins bénéficient d’une immunité totale, et ne peuvent en principe être pris pour cible sous aucun prétexte. De la même manière, une véritable politique de dissuasion et de persécutions est menée contre le personnel médical et sanitaire, y compris le personnel humanitaire, afin de l’empêcher de soigner les populations civiles et les forces armées opposées. Ce personnel fait régulièrement l’objet d’attaques armées, de meurtres, d’enlèvements, d’emprisonnements, d’actes de torture, etc. Le Docteur Jean-François Corty, Directeur des opérations internationales pour Médecins du monde déclare « Être soignant, c’est être suspect. La pression psychologique est énorme. On est une cible au même titre qu’un militaire, on peut être arrêté, dénoncé et bombardé, quotidiennement sur son lieu de travail ». Le Docteur Ziad Alissa, président de l’ONG UOSSM ajoute « Le ciblage des soignants s’explique par le fait qu’ils sont des témoins neutres et plus crédibles que des manifestants ou des opposants au régime. Ils sont les mieux placés pour confirmer les exactions ». Très souvent, les autorités et autres acteurs du conflit refusent l’accès des humanitaires aux victimes et aux zones d’urgence. Lorsque les autorisations sont finalement délivrées, des blocus des convois sont organisés sur le terrain, et les médicaments et autres instruments de soins sont confisqués par les forces armées. Les convois sont aussi parfois victimes d’attaques armées visant à détruire le stock et éliminer le personnel. Les conséquences de cette politique L’ensemble de ces éléments engendrent des difficultés colossales d’accès aux soins pour les populations civiles. Celles-ci suscitent la prolifération d’épidémies, comme la poliomyélite au nord du pays, que le personnel sanitaire a du mal à endiguer en raison du manque de moyens financiers, de personnel, d’infrastructures, etc. Elles causent donc un grand nombre de décès parmi les civils qui s’ajoutent aux victimes des bombardements et autres tirs d’artillerie. Les instances internationales ont toutes considéré que le ciblage des établissements et du personnel de santé est constitutif de crimes de guerre, et relève ainsi de la compétence de la Cour pénale internationale. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a plusieurs fois appelé à la cessation de ces violations systématiques du droit international humanitaire. Il a appelé à autoriser le passage des convois humanitaires destinés aux populations dans le besoin et a exigé que cessent les attaques indiscriminées contre les établissements et le personnel de soins. Néanmoins, le Conseil n’a pris aucune mesure pour les faire appliquer. Désormais, l’espoir de la population syrienne repose sur un comité constitutionnel syrien qui était créé avec l’objectif de rédiger une nouvelle constitution pour le pays et tenter ainsi de mettre fin au conflit. Ce comité, composé de 150 membres du gouvernement, de l’opposition et de la société civile, s’est réuni pour la première fois le 30 octobre dernier à Genève. La perspective d’une résolution pacifique du conflit semble donc pouvoir se dessiner, alors que dans le même temps, la violence reprend à Idlib, au nord-est et au nord-ouest du pays.
Elina Legat
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