En mars 2018, la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Kate Gilmore, dénonçait le fait que les détentions arbitraires, c’est à dire sans inculpation ni jugement, étaient la norme en Érythrée. Ces accusations graves interrogent sur le silence qui s’installe parfois à propos de cet État dans l’opinion publique internationale. Histoire d’un pays peu connu Le passé colonial de la région érythréenne a formé les fondations de cet État méconnu. À la fin du XIXème siècle, cette partie du globe était une région de l’Ethiopie, pays colonisé par l’Italie. Très vite, cette dernière a pu garder un contrôle fort sur la région érythréenne quand son contrôle devenait plus distant avec le reste du territoire éthiopien. Cette situation différenciée entre les régions d’Ethiopie s’est inscrite durant des décennies jusqu’en 1936 et a fondé la particularité de la région érythréenne. Avec le jeu des alliances et la défaite de l’Italie à la suite de la 2nde guerre mondiale, le territoire se retrouve sous le contrôle du Royaume Uni. L’avenir de la région est alors devenu incertain, les puissances victorieuses n’arrivant pas à s’entendre sur son sort. En 1950, par une résolution de l’Assemblée Générale des Nations unies, l’Érythrée devient une « unité autonome, fédérée avec l’Ethiopie sous la souveraineté de la couronne d’Ethiopie ». Elle forme dès lors une fédération avec l’Ethiopie, c’est-à-dire un État habituellement souverain, composé de plusieurs entités autonomes dotées de leur propre gouvernement, nommées États fédérés. Pourtant, dès 1962, l’abolition de la fédération et l’annexion du territoire par l’Ethiopie plongent la région dans une guerre d’indépendance qui durera 30 ans. Celle-ci se soldera par la victoire érythréenne en 1991, qui accèdera à son indépendance définitive en 1993 par voie de référendum. En mai 1998, un conflit frontalier engendrera une nouvelle guerre entre l’Ethiopie et l’Érythrée. Un accord de paix sera finalement signé en 2000. Afin d’assurer le respect de celui-ci, le Conseil de Sécurité décidera rapidement du déploiement de la Mission des Nations Unies en Ethiopie et en Érythrée (MINUEE), n’empêchant pas la prolongation d’une situation de tensions latentes, secouées d’épisodes d’affrontements sporadiques. Finalement, une déclaration conjointe de paix et d’amitié est signée en 2018, mettant fin à des décennies de relations conflictuelles. Indice des migrations Si l’Érythrée est un pays méconnu, le nom de ses habitants l’est moins. Les érythréens sont souvent cités parmi les nationalités les plus représentées dans les flux migratoires. En 2017, alors que le pays ne compte qu’un peu plus de 5 millions d’habitants, il se classe au 6e rang des pays d’origine les plus représentés dans les demandes d’asile. Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations, la même année plus de 10% de la population vivait en dehors des frontières d’Érythrée. Tout aussi révélateur, un rapport de l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés révèle qu’en 2018, la nationalité érythréenne était la 2e la plus représentée pour les mineurs non accompagnés demandeurs d’asile, derrière l’Afghanistan. Des chiffres sur la migration qui s’expliquent L’Érythrée est le théâtre de la violation de nombreux droits de l’Homme. C’est ce que dénonce entre autres Amnesty International. À l’occasion d’un communiqué publié il y a quelques années, l’ONG qualifiait le pays d’un des plus répressifs, secrets et inaccessibles au monde. Plus récemment, il continuait de dénoncer les violations de nombreux droits et libertés, comme la liberté de religion. D’autres collectifs s’élèvent face à la situation : selon le dernier classement sur la liberté de la presse de Reporters sans Frontières, le pays est l’un des 3 pays du monde où cette liberté est la plus restreinte, côtoyant ainsi les taux de la Corée du Nord. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à faire le parallèle avec ce pays et surnomment l’Érythrée de « Corée du Nord de l’Afrique ». Depuis son accession à l’indépendance, le pays est dirigé par le même président : Issayas Afeworki. Ce dernier, refusant d’appliquer la Constitution adoptée en 1997, a construit et entretient un régime dictatorial depuis plus de 30 ans. Les propos de la Rapporteuse spéciale de la situation des droits de l’Homme en Érythrée, Sheila Keetharuth, confirme que l’orientation du régime est dictatoriale, elle parle d’un « pays gouverné non pas par la loi mais par la terreur ». La Commission d’enquête des Nations Unies sur les droits de l’Homme en Érythrée alerte également : elle fait état d’une surveillance généralisée de la population par le gouvernement et soupçonne ce dernier d’être engagé dans une politique d’utilisation massive de la torture. L’Érythrée a été qualifiée d’« État autoritaire » par le président de cette Commission, qui a rendu d’autres rapports. Il y est question de campagne généralisée et systématique ayant pour but d’instaurer la peur, d’absence de système judiciaire indépendant et d’institutions démocratiques, de service national dont la durée est illimitée, et même de crimes contre l’humanité. Quelles perspectives ? Bien que dénoncée de façon répétée par différentes institutions internationales, la situation en Érythrée reste peu abordée dans les médias et l’autarcie dont fait preuve le gouvernement rend l’intervention de la communauté internationale délicate : les aides humanitaires et en particulier les ONG sont refoulées. D’autres chiffres sont témoins de l’absence des aides accordées à cet État : sur la période de 2014 à 2020, le fonds fiduciaire d’urgence alloué par l’Union Européenne au continent africain s’élevait à plus de 2,27 milliards d’euros. L’unique projet consacré (en partie) à l’Érythrée dans ce cadre représente 0,7% de cette somme soit moins de 18 millions d’euros. Malgré ces constats, l’Ambassadeur Tesfamichael Gerahtula et haut diplomate du ministère des affaires étrangères érythréen, rappelait, à la suite de la déclaration de paix signée en 2018 entre l’Ethiopie et l’Érythrée, que cette dernière aura « un effet positif considérable sur la paix, la sécurité, le développement économique et la promotion des droits de l’homme dans la région ». Les responsables érythréens rassurent la communauté internationale quant au futur que connaîtra ce pays.
Célia Scalabrino
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