Elle est sans doute la plus grande crise humanitaire que connaît le monde actuellement. Le Yémen, Etat du Moyen-Orient situé au sud-ouest de la péninsule arabique, est frappé par un conflit où les atteintes aux droits humains sont constantes. Alors que le conflit dure depuis presque 10 années consécutives, le Yémen ne connaît pas de voie d’issue.
Les combattant yéménites fidèles au gouvernement soutenus par la coalition saoudienne se rassemblent autour de la tourelle et du corps d'un char détruit, près de la ville d'Al-Shurayja dans la province de Lahij.
Une situation de crise pérenne
Le pays est touché par une guerre qui débute durant l’été 2014 à la suite de la révolution yéménite, débutée en 2011 dans le cadre international du Printemps arabe, et ayant conduit au départ du Président Ali Abdallah Saleh. Mais ce conflit est plus ancien. Son origine découle de plusieurs facteurs tels que la rivalité interne entre sunnites et chiites de la région, les difficultés connues de l’indépendance du pays entre un Yémen du Nord indépendant dès le début du XXe siècle et un Yémen du Sud britannique qui se verra prendre son indépendance qu’en 1967 avant leur réunification en 1990, ainsi que les tensions avec les pays voisins. Les tensions entre les rebelles Houthis et les fidèles chiites de l’ancien Président du Yémen ont dépêché un véritable engrenage débordant en une des plus importantes crises humanitaires.
« Le nombre de victimes civiles était en hausse malgré un cessez-le-feu »
Les conséquences humanitaires sont aujourd’hui désastreuses. Le cessez-le-feu félicité par le Conseil de sécurité dans sa résolution du 13 juillet 2022 n’a été qu'éphémère. Malgré les nombreux efforts de la MINUAAH ou la mission des Nations Unies en appui à l’accord Hodeïda créé par le Conseil de sécurité en 2019 pour encourager et encadrer le cessez le feu, les atteintes aux droits et libertés et attaques des différentes factions n’ont cessé de s'accroître, causant ainsi morts et blessés parmi les populations civiles. La trêve devait permettre de réduire le nombre de victimes. Néanmoins, l’organisation humanitaire du Conseil norvégien pour les réfugiés a pu, à l’inverse, affirmer en 2019 que “le nombre de victimes civiles était en hausse malgré un cessez-le-feu”. En outre, cette trêve ne prévoyait aucun processus précis d’amélioration de la situation.
Le Gouvernement qui cherche une voie de sortie à cette crise sans fin fait face à des factions lui rendant la tâche compliquée, dont le mouvement Houthi, son principal adversaire. Ce dernier, financé en partie par le voisin iranien, est fermement opposé à un retour au calme. En réponse, une coalition avec à sa tête l’Arabie Saoudite a été créée, apportant une aide au gouvernement en place. Des attaques et frappes aériennes sont fréquemment lancés par les deux camps, ce qui ne fait qu’ensevelir le chemin vers la guerre.
« La pire crise humanitaire au monde et les trois quarts de la population a besoin d'aide et de protection humanitaire »
Une crise humanitaire d'ampleur
Si ce conflit est d’origine politique, le bilan humanitaire est catastrophique et les civils sont les plus atteints. En effet, la particularité de ce conflit réside dans le nombre de civils touchés. La crise a engendré des milliers de morts, nous comptons plus de 277 000 de morts et blessés parmi la population civile depuis 2015. Ainsi, le Secrétaire général des Nations Unis, Antonio Guterres, déclara lors d’une conférence à Genève en avril 2018 qu’il s’agissait de « la pire crise humanitaire au monde et [que] les trois quarts de la population [avait] besoin d’aide et de protection humanitaire » L’ONU considère que plus de 80% de la population a besoin d’aide alimentaire. Paradoxalement, le Programme alimentaire mondial (PAM) a décidé durant le cours de l’année 2023 de réduire ses programmes d’aide alimentaire au Yémen, dont 1,4 millions de personnes en étaient bénéficiaires dans le pays. Face à un manque de financement accru et une absence d’accord avec les autorités yéménites, les familles et enfants, souffrant de malnutrition sévère, et se voient ainsi restreindre une aide indispensable.
De surcroît, les Houthis ont pris le contrôle de la majorité du territoire, causant ainsi par leur autorité de nombreuses violations des droits de l’Homme. Entre détentions arbitraires, absence de procès équitables, suppression des libertés : les droits humains manquent à l’appel. La liberté d’expression et de conscience sont interdites. Le pays, déchiré par la guerre civile, subit agressions et attaques. Le droit à la liberté de presse a été banni comme en témoigne la détention arbitraires par les autorités houthies de 10 journalistes à l’été 2015. Selon Amnesty International, ces personnes sont restées détenues sans inculpation ni jugement. Ces journalistes n’ont pu avoir accès à un procès équitable et ont subi une série de violations de leurs droits de l’Homme. Le mouvement houthiste, dirigeant le Tribunal pénal de Sanaa, ne respecte pas l’impartialité et l’indépendance du juge et limite les droits humains. Concernant les droits des femmes, ils sont absents. Elles ont interdiction de voyager sans tuteur, sont limitées pour exercer une profession et dépendent encore de la présence masculine. En outre, les minorités ne sont pas soutenues. La communauté LGBT fait également l’objet de violence et d’arrestations injustifiées en raison de leur orientation sexuelle et de genre. La situation ne compte pas s’améliorer compte tenu de l’ambition des houthis de contrôler tout le territoire yéménite.
Enfin, le coût économique du conflit, estimé à plus de 120 milliards de dollars, ne fait qu’accentuer l’inflation du pays et la crise économique. Il est question d’une véritable dépendance économique. L’ONU fournit une aide économique dont près de ⅔ de la population en dépendent, rappelons le. De plus, les aides économiques et dépôt d’argent, telles que ceux fournis par l’Arabie Saoudite, les Etats Unis ou la France, essaient de répondre à la crise, mais le vide économique pèse sur la majorité des civils.
La réponse de la communauté internationale
Le silence de la communauté internationale continue de peser sur ce pays en crise. Dans ce contexte, les Nations Unies ont tenté d’encourager des cessez-le-feu. Toutefois, le cessez-le-feu, ayant débuté en avril 2022 et pris fin en octobre de la même année, ne doit pas être considéré comme un échec total. Bien que l’intervention de la MINUAAH s’avère insuffisante, le Conseil de sécurité a toutefois renouvelé son mandat jusqu’au 14 juillet 2024 alors qu’il ne devait durer que six mois lors de sa création en 2019.
L’aide humanitaire n’est pas non plus facilitée par les parties internes au conflit qui cherchent à bloquer les principaux axes routiers de manière à limiter les approvisionnements et les opérations humanitaires, alors même que le Droit international humanitaire prévoit que les parties à un conflit doivent autoriser et faciliter le passage rapide et sans entrave des secours humanitaires destinés aux civils dans le besoin.
« Toutes les parties prenantes au conflit au Yémen ont potentiellement commis des crimes de guerre »
Dans ce contexte, de nombreux rapports d’experts alertent sur l’urgence auquel fait face le conflit yéménite. Ces derniers ont notamment relevé dans un rapport du Groupe d’Experts des Nations Unies retraçant la situation du pays de 2014 à 2018 que “toutes les parties prenantes au conflit au Yémen ont potentiellement commis des crimes de guerre”, qu’il s’agisse des Houthis ou de la Coalition. L’article 8 relatif au crime de guerre du Statut de Rome de la CPI prohibe ces violations du droit international humanitaire. Cependant, le fait que le Yémen ait signé mais non ratifié le Statut de Rome, ou que l'Arabie Saoudite n'en soit pas partie non plus, est un frein à une action de la Cour pénale internationale, retardant ainsi la justice que méritent les victimes. Le Rapport mondial de 2021 de Human Rights Watch appelle à la création d’un mécanisme de justice internationale au sujet de la situation yéménite.
Ainsi, la situation du pays continue de se cristalliser sans issue. Les rivalités religieuses que connaît actuellement le Moyen Orient encadrent un conflit permanent et dont le Yémen en subit les frais. Le Yémen est devenu un Etat failli, reconnu certes par la communauté internationale, mais qui ne contrôle plus de manière significative son territoire. Le conflit maintient un constat alarmant. Cependant le développement du pays par les aides humanitaires pourrait permettre d’éradiquer l’extrême pauvreté et rétablir les droits fondamentaux.
Clara Pujol
Image © - AFP/ Saleh Al-Obeidi
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