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LA DESTRUCTION DU PATRIMOINECULTUREL DANS LES CONFLITS ARMÉS

Depuis la reprise des affrontements dans le Haut-Karabagh fin septembre 2020, l’UNESCO (Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture) a reçu de nombreuses informations sur des actes de vandalisme et de destruction touchant le patrimoine et les biens culturels de cette zone. Souvent perçu comme une victime de dommages collatéraux lors des conflits armés, le patrimoine culturel est, en réalité et dans de nombreux cas, une cible directe des combattants. En effet, en tant qu’élément constitutif de l’identité des populations, le patrimoine est un point de rattachement, de rassemblement et d’espoir, dont la destruction peut constituer une réelle stratégie de guerre. Ainsi que l’a rappelé Irina Bokova, ancienne directrice générale de l’UNESCO, lors d’une conférence en 2015, « si le patrimoine culturel est visé, c’est parce qu’il est porteur de valeurs et d’identités ». Lorsque le patrimoine est touché dans l’intention de démanteler l’identité de « l’ennemi », on parle d’épuration culturelle. Mais les biens culturels composant ce patrimoine peuvent aussi faire l’objet de pillages aux fins d’alimenter le trafic international d’art, ce qui permet de financer des actions armées. Les exemples récents ne manquent pas. On pense notamment à la destruction et le pillage des joyaux préislamiques du musée de Mossoul en février 2015 par les terroristes de Daesh, filmée puis publiée sur leur site de propagande. Cependant, il ne s’agit pas d’une pratique nouvelle. L’éradication de Carthage par les troupes romaines, le saccage de Constantinople par les croisés, et bien d’autres exemples datant notamment de la Seconde guerre mondiale, traduisent la même volonté des forces assaillantes d’éliminer toute trace de l’identité culturelle et spirituelle des populations ennemies. La destruction du patrimoine culturel, une arme de guerre Le patrimoine culturel peut être utilisé comme une arme par les belligérants lors des conflits armés. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Etats sous occupation nazie ainsi que les populations juives ont subi de nombreux pillages et extorsions de la part du régime, dans un but de purification culturelle. On estime que 21 000 œuvres d’art auraient été saisies dans les musées allemands, certaines ayant été détruites, brûlées ou vendues. Mais l’épuration culturelle ne passe pas uniquement par la destruction du patrimoine culturel matériel. Le patrimoine immatériel peut également être ciblé, et ce fut le cas sous le régime nazi. En effet, au cours de la « Nuit de cristal », des centaines de synagogues furent détruites dans l’intention d’empêcher les Juifs de pratiquer leur religion. Au cours des conflits ethniques et religieux, la destruction du patrimoine culturel de l’ennemi est souvent utilisée pour s’attaquer à son identité. Lors de la guerre des Balkans, les différentes parties au conflit ont détruit de nombreux lieux de cultes. Les Serbes notamment, ont éradiqué toute trace de la mémoire des populations musulmanes et catholiques vivant sur les territoires conquis en Bosnie-Herzégovine et en Croatie. Ainsi, en République serbe de Bosnie, les 1400 mosquées présentes au début des années 1990 ont été rasées. Certaines dataient du XVIe siècle. D’autre part, le développement du terrorisme transnational depuis ces dernières décennies a donné une nouvelle dimension aux destructions culturelles. En effet, les groupes extrémistes utilisent cette pratique à grande échelle, leur but étant à la fois d’intimider le reste du monde en éradiquant toute trace d’un héritage incompatible avec leur conception de l’art islamique, et à la fois de financer leurs actions. Que prévoit le droit international humanitaire (DIH) ? La Convention de La Haye de 1907 est la première convention universelle à avoir interdit le fait de cibler directement des biens culturels en temps de guerre. Les Conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels, règlementant la conduite des hostilités, prévoient un certain nombre de règles qui s’appliquent au patrimoine culturel et aux biens qui le composent. Il est par exemple interdit d’utiliser les biens culturels à des fins militaires. D’autre part, la Convention de La Haye de 1954, consacrée aux biens culturels en cas de conflit armé, prévoit un grand nombre de mesures de protection que les Etats parties doivent respecter en temps de guerre. Les juridictions pénales internationales sont compétentes pour juger des violations graves du DIH, y compris des destructions intentionnelles du patrimoine culturel. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a rendu beaucoup de décisions en la matière. En 2001 par exemple, le TPIY a retenu la destruction délibérée du patrimoine comme chef d’accusation dans le procès de l’attaque du port du Dubrovnik en 1991. Le 27 décembre 2016, la Cour pénale internationale (CPI) a rendu la première décision universelle qualifiant de crime de guerre la destruction intentionnelle du patrimoine culturel. Ahmed al-Mahdi, membre du mouvement djihadiste Ansar Dine, a en effet été jugé responsable des crimes de guerre perpétrés en 2012 à l’encontre de dix bâtiments à caractère religieux et historique à Tombouctou, au Mali, dont neuf figuraient au patrimoine mondial de l’UNESCO. Malgré ce cadre juridique, les destructions et les pillages facilités par les conflits armés continuent. Les belligérants semblent peu préoccupés du sort des biens culturels, dont la destruction permet, au contraire, d’éradiquer tout rattachement à une identité culturelle, et de financer leur action. Le rôle de l’UNESCO dans la protection du patrimoine en temps de guerre L’UNESCO possède des moyens d’action considérables en matière de protection du patrimoine en temps de guerre. L’Organisation a, en premier lieu, contribué à la mise en œuvre de règles permettant de compléter celles du DIH. En 1970, une convention sur la lutte contre le trafic illicite de biens culturels, en temps de paix comme en temps de guerre a été élaborée. Elle permet aux Etats de collaborer afin, notamment, de renforcer les contrôles aux frontières et ainsi réduire le trafic. L’UNESCO dispose également de moyens de sensibilisation. En 2013 par exemple, un « Passeport pour le Patrimoine » a été créé dans le cadre du conflit au Mali afin d’informer les soldats et les humanitaires de l’existence de sites culturels et de l’obligation de les protéger. La sensibilisation passe aussi par la formation des professionnels, comme les douaniers, qui sont en première ligne dans la lutte contre le trafic de biens culturels. L’UNESCO a également mis en place des institutions dans le cadre de conflits spécifiques. Par exemple, l’Observatoire du patrimoine culturel syrien a été créé afin de surveiller et d’évaluer la situation du patrimoine culturel en Syrie depuis le début du conflit. L’Observatoire donne notamment des informations sur la destruction sans précédent de sites inscrits au patrimoine mondial de l’humanité, comme la vieille ville d’Alep, la cité antique de Palmyre ou encore le Crac des Chevaliers. Bien d’autres sites non-inscrits au patrimoine de l’humanité ont également constitué des cibles militaires, comme la mosquée des Omeyyades de Damas, construite au VIIIe siècle. Une mission de 2017 de l’UNESCO à Alep a estimé que 60% de la vieille ville avait été gravement endommagée, et 30% totalement détruite. Enfin, l’UNESCO participe aux activités de reconstruction d’après-guerre. Selon Irina Bokova, la restauration du patrimoine contribue à la reconstruction et à la réconciliation des peuples. Ainsi, d’anciens combattants ont participé à la restauration et la reconstruction de la ville historique de Mostar (Bosnie-Herzégovine), qui avait été détruite pendant la guerre des Balkans. Le 24 mars 2017, le Conseil de sécurité de l’ONU (Organisation des Nations-Unies) a adopté une résolution dans laquelle il encourage les Etats à renforcer leur coopération dans la lutte contre le trafic illicite de biens culturels et contre la destruction du patrimoine lors des conflits armés. Cette résolution constitue une grande avancée en matière de protection du patrimoine. Toutefois, force est de constater que le développement de ces outils de protection n’a pas permis d’éviter de nombreuses destructions et de nombreux pillages. L’actualité du Haut-Karabagh et les inquiétudes quant à l’avenir de son patrimoine arménien semblent démontrer le manque d’efficacité du droit humanitaire. Le patrimoine demeure une cible dans de nombreux conflits armés et l’impunité des auteurs de ces destructions ne fait que les encourager. Une coopération internationale davantage opérationnelle semble indispensable pour préserver la culture lors des conflits armés.



Tara Ibrahim

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