Près de 17 000 personnes sont mortes en mer Méditerranée entre 2014 et 2018 selon les chiffres de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). En 2018, six êtres humains ont perdu la vie chaque jour en tentant de traverser la mer Méditerranée. L’enquête de Courrier International, « Comment l’Europe et la Libye laissent mourir les migrants en mer » sortie le 2 janvier 2019, met en exergue une situation désastreuse mais ordinaire sur le secours des réfugiés en mer Méditerranée. Le 6 novembre 2017, 150 migrants quittent Tripoli à bord d’une « embarcation » ressemblant davantage à une barque. Celle-ci subit les maltraitances de la mer et de nombreux passagers tombent à l’eau sans gilet de sauvetage. Ils n’ont pas d’autre solution que de contacter les garde-côtes italiens qui alertent à leur tour les navires présents dans ce périmètre et par extension leurs homologues libyens. De par leur proximité, ces derniers arrivent les premiers sur place. Alors même que la moitié des exilés sont à la mer et que la situation est indéniablement alarmante, le bateau libyen a fait le choix de les ignorer, restant bras ballants face aux dizaines d’individus se noyant. Les vidéos montrent distinctement les garde-côtes dans l’indifférence la plus totale alors même qu’ils disposent de tout le matériel adéquat au sauvetage. Cette passivité meurtrière va plus loin encore puisque les autorités libyennes s’attaquent régulièrement aux sauveteurs bénévoles et bloquent leurs actions. Il est sans doute nécessaire de rappeler que la plupart de ces personnes fuient la misère, à la recherche d’une vie meilleure. L’Eldorado ? Il n’en est rien puisqu’ils empruntent les routes de la Libye où la plupart subissent de graves sévices et abus comme la torture ou bien le trafic d’être-humains. En 2018, trois gouvernements rivaux et plusieurs centaines de milices et groupes armés se disputent le pouvoir et le contrôle de la Libye. Des affrontements armés ont continué de se produire de façon sporadique à travers le pays provoquant la mort de nombreux civils. Violations graves du droit international, atteintes aux droits humains, des attaques aveugles sont menées dans des zones peuplées, entraînant enlèvements et arrestations arbitraires. Les personnes migrantes, réfugiées ou demandeuses d’asiles ne sont pas épargnées, que ce soit par des agents étatiques, des passeurs ou des groupes armés. De fait, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a prolongé le mandat de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) jusqu’au 15 septembre 2019 afin d’appuyer la mise en œuvre de l’Accord politique libyen de 2015 et les étapes ultérieures de la transition du pays. Car jusqu'ici, la Libye sombre de jour en jour. En ce sens, l’ONG Amnesty International, dans un rapport de décembre 2017, fait état des conditions dans lesquelles les migrants sont confinés, tandis que le rapport de la MANUL a qualifié les centres de détention d’inhumains citant la surpopulation, l’absence d’accès adéquat aux toilettes, à la nourriture, à l’eau potable et aux soins, la moitié des détenus souffrant de malnutrition.
Que fait l'Union Européenne ?
Les gouvernements européens ont parfaitement connaissance de ces graves atteintes auxquelles les réfugiés sont soumis en Libye. Le pays est dénué d’État de droit et par essence, le système de détention n’est soumis à aucune réglementation. Toutefois, ils ont décidé de mettre en œuvre des politiques de contrôle des migrations en renforçant les capacités des autorités libyennes dans la lutte contre les traversées maritimes bloquant de fait des milliers d’individus dans un pays en proie au chaos et à la violence, et donc aux violations du droit protégeant les personnes. C’est bien à ce pays que l’Union Européenne (UE) demande de prendre en charge les migrants. Il est essentiel de souligner que la Libye n’est pas signataire de la Convention des réfugiés de 1951 et que par extension, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) n’a pas de présence véritable. Depuis la fin 2016, l’Italie et les autres États membres de l’UE ont mis en place une série de mesures destinées à fermer la route migratoire passant par la Libye et la Méditerranée centrale répondant à la montée du nationalisme et de la xénophobie. Le ministre italien d’extrême-droite, Matteo Salvini prône un discours anti-immigration, ce qui lui a permis son ascension, l’Italie ne pouvant pas devenir « le camp des réfugiés de l’Europe » et affirme que « les États doivent recommencer à faire leur travail et plus aucun « vice-passeur » ne doit accoster dans les ports italiens ». En ce sens, cette collaboration a fourni des formations, des équipements - dont des navires - et une assistance technique aux garde-côtes libyens leur permettant d’intercepter un plus grand nombre de personnes en mer. À titre d’exemple, l’Italie a réparé le bateau des garde-côtes libyens à hauteur de 6 millions d’euros et parmi l’équipage présent le jour du « sauvetage » susmentionné, huit ont été formés par l’UE sur les droits humains. Pourtant, une fois sur le bateau, les réfugiés sont maltraités. Également, ces pays se sont engagés à fournir un soutien au service libyen chargé de gérer les centres de détention où les migrants sont détenus: à la Direction libyenne de lutte contre la migration illégale (DCIM). En outre, ils ont conclu des accords avec les autorités libyennes locales, les chefs de tribus et de groupes armés afin de les encourager à mettre un terme aux activités des passeurs et à renforcer les contrôles frontaliers dans le sud du pays. Cette enveloppe budgétaire de 136 millions d’euros est divisée en trois : 46 millions d’euros sont destinées à la gestion des frontières, 48 millions pour la protection des migrants et 42 millions pour le développement du pays. L’agence européenne FRONTEX a pour rôle principal d’assurer la sécurité des frontières extérieures de l’UE et plus particulièrement le contrôle de l’immigration illégale à ces frontières. Les États membres qui ont des frontières en commun avec les pays extérieurs à l’UE sont responsables du contrôle de la circulation à travers ces frontières. FRONTEX a pour mission de coordonner cette surveillance en assistant notamment la Libye. L’agence reste un rôle de soutien pour les États membres qui en ont besoin puisque la gestion quotidienne des frontières extérieures reste leur responsabilité. Toutefois, dans des situations d’urgence ou lorsque des lacunes sont constatées, l'agence exerce un rôle d’alerte et fait pression sur l’État concerné. En 2016, il a été constaté une baisse de 70% des entrées irrégulières notamment grâce à une bonne coopération entre l’UE et la Turquie dans la Méditerranée orientale à la différence de la situation en Méditerranée centrale où la situation est préoccupante. Cependant, il semble que cette sous-traitance de la gestion des flux migratoires se soit soldée en succès pour l’UE puisqu’en 2018, l’Italie a enregistré 22 500 arrivées sur ses côtes, soit une baisse de plus de 80% par rapport aux années précédentes. À défaut de trouver une autre solution, les personnes interceptées en mer sont ramenées en Libye et sont détenues dans des conditions cruelles, inhumaines et dégradantes sans aucune possibilité de faire examiner leur situation par une autorité judiciaire. Dans cette continuité, le moyen le plus rapide d’obtenir une libération est de payer la rançon réclamée par les gardiens. Le témoignage d'un détenu gambien est publié par Amnesty International, en décembre 2017, Libya’s dark web of collusion : « Ils m'ont frappé à coups de tuyaux en caoutchouc, parce qu'ils voulaient de l'argent pour me relâcher. Ils appellent la famille pendant qu'ils [vous] frappent, alors la famille envoie de l'argent. ». Actuellement, dans un souci de palier à l’incapacité et l'absence de volonté des gouvernements européens, les navires humanitaires prennent le relai. Or, Sea Watch dénonce l’action libyenne, puisque les garde-côtes frôlent dangereusement son navire avant d’accoster un bateau bondé de migrants qu’ils ont fait débarquer sans ménagement et sans gilet de sauvetage pourtant obligatoires, comme le précise la formation financée par l’UE. Des collaborateurs de l’organisation espagnole Proactiva Open Arms relate la menace armée et la séquestration dont sont victimes les migrants ou bien encore le racket provoquant une panique générale, les migrants se jetant à l’eau sans savoir nager. Les autorités libyennes légitiment leurs actions en accusant les ONG de favoriser le trafic d’êtres humains. Dans le même sens, Fabrice Leggeri, directeur de l’agence de FRONTEX, critique vivement l’action humanitaire appelant à « éviter de soutenir l’action des réseaux criminels et des passeurs en Libye » dénonçant les opérations humanitaires conduisant à « ce que les passeurs chargent toujours plus de migrants sur des bateaux inadaptés ». Plusieurs navires humanitaires ont cessé leurs activités, d’autres sont retenus par les autorités publiques dans des ports européens. Certains bateaux sont bloqués pour « non-conformité », d’autres ONG sont accusées de complicité avec les passeurs libyens. La Libye souffrant d'un conflit interne n'est pas apte à gérer les flux migratoires massifs. Pourtant, l'Union Européenne se dédouane de toute responsabilité au détriment des personnes, des droits humains et de l'action humanitaire. De cette manière, l'avenir des réfugiés et migrants reste incertain... Ou l'est-il vraiment ?...
Amélie Mauboussin
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