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Photo du rédacteurMyriam Belmahdi

LA GUERRE CONTRE LES MARAS AU SALVADOR: JUSTIFICATION DES VIOLATIONS SYSTEMIQUES DES DROITS HUMAINS

Dernière mise à jour : 23 déc. 2023


Sous prétexte d’une guerre contre les gangs, le président du Salvador, Nayib Bukele, mène une répression massive à l’encontre de la population, en violation flagrante avec le droit international des droits de l’Homme. Arrestations et détentions arbitraires, violation du droit à un procès équitable, torture et traitements inhumains ou dégradants des prisonniers… Retour en quelques lignes sur ces derniers mois d’état d’urgence au Salvador.





Scénarisation par le gouvernement de l'arrivée des détenus appartenant aux gangs MS-13 et M-18 dans la nouvelle prison "Centre de confinement des terroristes", le 24 février 2023.

Le Salvador, plus petit pays d’Amérique centrale, connaît le taux d’incarcération le plus élevé au monde selon des estimations de mai 2022. Conséquence immédiate de la politique répressive du président Bukele à l’encontre des maras (gang), ce sont aujourd’hui 71 000 personnes qui sont détenues, bien souvent arbitrairement, dans des conditions déplorables. 


Un contexte de criminalité massive et généralisée

Trente ans après la fin de la guerre civile, le Salvador, tout comme ses pays voisins, est déstabilisé par la rivalité entre les deux principaux gangs, Mara Salvatrucha (MS-13) et Mara Diechiocho (M18). En réponse à une escalade de la violence ayant coûté la vie de 87 personnes en deux jours, le 26 mars 2022, le président Bukele a annoncé la mise en place de l’état d’urgence, censé être temporaire, mais qui a été prolongé pour la dix-neuvième fois le mois dernier.



« Dictateur le plus cool du monde »



Dans ce contexte, la police et l’armée, dont les pouvoirs ont été largement renforcés, sont déployées massivement dans tous les barrios du Salvador afin d’arrêter les membres présumés de gangs. Les contrôles d’identité deviennent systématiques, les maisons sont perquisitionnées sans mandat, les allers et venues sont surveillés. Les critères d’arrestation, tels que le fait d’être tatoué, d’avoir un casier judiciaire, d’habiter dans un quartier contrôlé par les gangs ou d’avoir l’air suspect, sont confus, voire absurdes, et discriminants. En outre, les arrestations sont motivées par la nécessité de remplir des quotas quotidiens.

 

Le résultat : une réduction drastique de la criminalité et un retour à une relative sécurité dans le pays. D’ailleurs, le président salvadorien s’en réjouit régulièrement sur son compte X (anciennement Twitter). Cela lui vaut une certaine popularité au sein de la population, excédée par la violence des gangs, mais également dans d’autres pays comme le Guatemala et le Honduras, qui a mis en place un régime d’état d’urgence similaire en décembre dernier.

 

Profitant de ce relatif succès, le président a annoncé officiellement sa candidature pour un second mandat, défiant la constitution salvadorienne qui interdit l’exercice de plusieurs mandats présidentiels consécutifs. Celui qui s’auto-qualifie de « dictateur le plus cool du monde » risque de faire basculer la démocratie vers un régime plus autoritaire… De plus, sa politique ultrasécuritaire soulève d’importantes préoccupations en matière de respect des droits de l’Homme.



« La nourriture est rationnée et les 16 000 membres de gangs emprisonnés n'ont pas quitté leur cellule et n'ont pas vu le soleil »



Une réponse disproportionnée et attentatoire aux droits fondamentaux

Dans son rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde de 2022, l’ONG Amnesty international dénonce les arrestations et détentions arbitraires ainsi que les violations des garanties procédurales d’un procès équitable depuis l’instauration de l’état d’urgence. Des réformes législatives ont permis, notamment, de supprimer la durée maximale de détention provisoire, de restreindre l’accès à un avocat et à un juge indépendant, d’assimiler les peines encourues par les mineurs à celles des adultes et d’autoriser des procès collectifs durant lesquels les charges retenues contre la personne ne sont même pas présentées.


En outre, des violations du droit à la vie et de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants ont été dénoncées par des ONG telles que Human Rights Watch et Cristosal, qui a déposé une plainte devant la Commission interaméricaine des droits de l’Homme. Le Comité des Nations Unies contre la torture a, quant à lui, exprimé ses préoccupations en ce qui concerne les allégations de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées. Les mauvais traitements subis par les prisonniers sont à la fois imputables au personnel pénitencier, mais également aux membres de gangs rivaux qui sont incarcérés dans les mêmes cellules, sans prise en compte des risques sécuritaires que cela engendre nécessairement. Cela témoigne d’une volonté du président de faire comprendre qu’il ne concède rien à ses ennemis.

 

En mars dernier, les Nations Unies alertaient également sur le décès en détention de 90 personnes depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, sans que des enquêtes n’aient été menées par les autorités salvadoriennes. Les familles, qui n’ont aucun contact avec les personnes incarcérées, sont rarement informées du sort de leurs proches.

 

Les conditions d’incarcération dans ces prisons surpeuplées présentent des risques importants pour la santé physique et mentale des détenus. Dans un de ses tweets, le président déclarait fièrement que « la nourriture est rationnée et les 16 000 membres de gangs emprisonnés n'ont pas quitté leur cellule et n'ont pas vu le soleil ».   

 

Enfin, la liberté d’expression est régulièrement mise à mal. Le gouvernement tente de réduire au silence, de discréditer et de criminaliser tous les journalistes et défenseurs des droits de l’Homme qui chercheraient, notamment, à dénoncer les liens entre le gouvernement et les chefs de gangs. La politique de communication du président Bukele s’inscrit également dans une logique de propagande, comme en atteste la vidéo publiée sur ses réseaux sociaux lors de l’ouverture de sa nouvelle « méga-prison ».

 

Pour conclure, il convient de rappeler que le droit international ne permet pas la suspension générale de certains droits fondamentaux même dans le cadre de l’état d’urgence. La dérive autoritaire du régime de Bukele ne sera sûrement pas une réponse efficace et durable à l’insécurité sans une réelle prise en compte des causes de la criminalité.



Myriam Belmahdi


Image © - Nayib Bukele

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