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La "politique humanitaire australienne" : la détention offshore

« Ce ne sont pas les psychiatres et les psychologues de MSF qui devraient quitter Nauru ; ce sont les centaines de demandeurs d’asile et de réfugiés que l’Australie retient sur l’île depuis cinq ans qui devraient partir. ». Ces paroles de Paul McPhun, le directeur général de Médecin Sans Frontières (MSF) Australie, expriment une frustration suite à la décision du gouvernement de Nauru. Le 5 octobre 2018, le gouvernement a informé MSF que ses services n’étaient « plus nécessaires » et lui a demandé de mettre fin à ses activités dans les 24 heures.

Comment l’Australie a-t-elle pu instaurer un tel climat de tensions de part sa « politique humanitaire » ?

Depuis 2013, les îles de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, et Nauru sont au cœur de la « politique humanitaire » australienne. Le 19 juillet 2013, l'Australie a adopté une politique très dure vis-à-vis des migrants : les bateaux tentant de gagner illégalement ses côtes sont interceptés et les réfugiés se trouvant à bord sont relégués pour une durée indéterminée dans des camps de détention sur les îles de Manus et Nauru, qu’importe si leur demande d'asile est jugée valide. En juillet 2018, l’Australie s’est félicité pour sa politique en matière d’immigration. Le nombre annuel de migrants permanents reçus a chuté de plus de 10%, atteignant moins de 163 000 personnes, ce qui représente le plus bas niveau depuis plus de 10 ans. Ces personnes entreprennent un long périple, tentant de fuir les conditions de vie difficiles, les persécutions et les conflits armés, tant internes qu’internationaux. Parmi elles, quelques africains, mais principalement des personnes originaires du Moyen et Proche-Orient. Mozhgan Moarefizadeh, avocate et réfugiée iranienne bloquée en Indonésie, affirme que : « Faire de [Nauru et Manus] un zoo que tout le monde voit dans le monde entier, en disant: « Ne venez pas en Australie, sinon cela vous arrive.» – ce n’est pas ce qui a un impact négatif sur les gens.». De même, Shawji Ramadhan, un microbiologiste et réfugié soudanais ayant été contraint de s’enfuir en Indonésie, vit dans l’attente d’une réinstallation. Il s’exprime : « J’imagine que le gouvernement australien pense : « Si nous autorisons ces personnes [en détention offshore] à venir en Australie, d’autres personnes viendront. ». Mais, vous savez, personne ici ne pense aux réfugiés à Manus car tout le monde sait que la frontière est fermée. Même mes amis soudanais le savent. ». Cette politique australienne se voudrait « humanitaire » : Canberra souligne que l’efficacité de sa politique a largement dissuadé les clandestins de gagner ses rivages, diminuant également le nombre de migrants noyés suite à des naufrages. Cependant, pour MSF, le modèle australien n’a rien d’humanitaire. L’association prie également l'Australie de cesser immédiatement sa politique de détention extraterritoriale et pointe du doigt l’état de santé mental des réfugiés : « Nos patients décrivent souvent leur situation comme étant bien pire que la prison, car en prison, vous savez quand vous pouvez sortir » explique le Dr. O’Connor afin de souligner la situation de détresse de ces personnes. Parmi elles, au moins 78 patients ont envisagé ou tenté de se suicider ou de se mutiler. 12 décès ont déjà été recensés depuis que ce système existe, le dernier en date remonte à juin 2018 où un réfugié iranien a été retrouvé mort sur l’île de Nauru. Au 21 octobre 2018, le « Refugee Council of Australia » recensait 1 278 personnes toujours présentes sur Nauru et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, dont 52 enfants. Suite aux transferts réguliers, les chiffres ne sont pas stables. Le 5 novembre 2018, il ne restait « que » 27 enfants sur Nauru, 8 enfants ont pu accéder à l’Australie afin d’obtenir des traitements médicaux. De nombreuses associations de défense des Droits de l’Homme, ainsi que l’ONU, ont condamné les centres de détentions offshores des îles de Manus et Nauru. Amnesty International qualifieles conditions de vie d’ « épouvantables ». Rien qu’en 2016, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme faisait état de plus de 1 000 rapports d’incidents pour des cas de violences, d’agressions sexuelles ou encore de traitements dégradants et d’automutilations, dont « beaucoup auraient impliqué des enfants ». Suite à l’exigence australienne, la seule véritable aide humanitaire – fournie par MSF – a été retirée. De fait, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a exhorté le gouvernement australien à prendre des « mesures immédiates afin de remédier à la dégradation de la situation sanitaire des réfugiés et des demandeurs d’asile ». Des mesures avaient été prises, mais elles n’ont fait qu’accroitre le problème. Par une décision du 26 avril 2016, la Cour Suprême de Papouasie-Nouvelle-Guinée a ordonné la fermeture du camp de l’île de Manus, le jugeant inconstitutionnel. Les 600 occupants ont été déplacés dans des centres de transition, et d’autres dans des pays tiers. Un accord a été conclu entre Barack Obama et Malcolm Turnbull, l’ancien Premier ministre australien, afin que les Etats-Unis accueillent 1 250 réfugiés retenus dans les centres de détention offshore australiens. Bien que Donald Trump le considère comme un « accord stupide », il a affirmé que son administration le respecterait. L’Australie a également versé plusieurs millions de dollars au Cambodge pour que le pays accepte d’accueillir les réfugiés. Cependant, en 2017, l’évacuation du centre a été particulièrement compliquée : des actes de violence de la part de la police ont été dénoncés, ainsi que la coupure définitive d’eau, d’électricité et de l’accès aux soins médicaux. La politique australienne divise autant qu’elle inspire. Pour certains politiciens aux idées extrémistes – tels que Marine Le Pen (présidente du Rassemblement National), Nigel Farage (nationaliste britannique), ou encore Matteo Salvini (ministre de l’Intérieur italien) – le modèle australien est un modèle à suivre. Fort heureusement, il ne serait pas réalisable en Europe puisqu’elle dispose de frontières terrestres, ce qui n’est évidemment pas le cas de l’Australie, rendant un contrôle aussi strict quasiment impossible. Cependant, de tels discours n’auront pour effet que la propagation de la xénophobie de part et d’autres des rives, bloquant tout élan de solidarité, et criminalisant la société civile, dont le personnel humanitaire, notamment dans leurs actions de sauvetage des naufragés. Finalement, le gouvernement australien tourne en rond : il prend des mesures afin de minimiser l’effet de sa mesure précédente, et ce, malgré les réclamations de nombreuses organisations, spécialisées tant dans l’action humanitaire que dans les droits de l’Homme.


Marie Thomas

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