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Jane Pommier

LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT EN TEMPS DE CONFLITS ARMÉS

« Victime silencieuse » de la guerre, l’environnement n’en reste pas moins l’une des cibles privilégiées des belligérants lors des conflits armés. Mise à feu des puits de pétrole, pillage des ressources naturelles, ravage des forêts …, les exemples ne manquent pas pour illustrer la détérioration de l’environnement à des fins militaires stratégiques. L‘utilisation de l’agent orange lors de la guerre du Viet Nam figure comme un exemple historique qui a permis d’alerter la communauté internationale sur les conséquences écologiques majeures des conflits armés. A cet égard, Mme. PHAM THU HUONG, déléguée du Viet Nam aux Nations Unies, a pu affirmer que « si la guerre est terminée depuis des décennies au Viet Nam, ses effets sont toujours visibles ». Les impacts environnementaux ne cessent pas après l’armistice et révèlent souvent des dommages permanents voire irréversibles, tels que la destruction de ressources naturelles indispensables ou l’extinction d’espèces animales menacées, recensées par l’UICN.


Défini par la Cour internationale de justice en 1996, « l’environnement n’est pas une abstraction, mais bien l’espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de leur vie et de leur santé, y compris pour les générations à venir ». Cette définition met en évidence l’intérêt stratégique d’une mainmise sur l’environnement. Par conséquent, il est d’autant plus difficile de le protéger en temps de guerre. Or, une protection de l’environnement est plus que nécessaire en tant que tel mais c’est un aussi un gage du maintien de la paix internationale. Elle est encore plus pertinente quand on sait qu’aujourd’hui, la dégradation de l’environnement est devenue la source fréquente de conflits verts. Si la protection de l’environnement en temps de conflits armés soulève un éventail de questions, il s’agira de se concentrer ici sur l’existence, l’applicabilité et l’efficacité des instruments juridiques visant à fixer le cadre d’une telle protection.

Les lacunes des outils de protection de l’environnement en droit international humanitaire


En tant que « droit de la guerre », il semblait évident que le droit international humanitaire intègre des règles protectrices contre les atteintes à l’environnement en temps de conflits. A cet effet, doit être citée la Convention ENMOD de 1976 visant à interdire l’utilisation des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires. Innovante, cette Convention n’a séduit qu’un faible nombre d’Etats. Par ailleurs, son application connaît d’autres difficultés tenant à un champ d’application strict et un mécanisme de contrôle lacunaire. En 1977, a été adopté le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève qui, de manière complémentaire, règlemente les effets de la guerre sur l’environnement au titre de ses articles 35(3) et 55. L’article 35(3) dispose ainsi qu’il est « interdit d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu'ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel ». Si ces dispositions ont l’avantage d’une plus grande universalité, des acteurs clés tels que les Etats-Unis ou le Pakistan n’ont pas procédés à la ratification dudit Protocole et donc n’y sont pas liés. De plus, l’applicabilité d’une telle protection exige d’atteindre un seuil très élevé de gravité des dommages. Enfin, l’ENMOD comme le Protocole I ne s’intéressent qu’aux conflits armés internationaux. Or, une étude du Programme des Nations pour l’environnement (PNUE) a relevé que lors des 60 dernières années, au moins 40 % de tous les conflits internes étaient liés à l'exploitation de ressources naturelles. En ce sens, les Directives pour les manuels d’instruction militaire sur la protection de l’environnement en période de conflit armé du CICR « invitent » à l’application de ces diverses règles aux conflits armés non internationaux.


De manière plus indirecte, le droit humanitaire pourrait protéger l’environnement à travers la règlementation de l’emploi de certaines armes et la protection spécifique attribué aux biens. A l’image des localités non défendues et les zones démilitarisées bénéficiant d’une immunité, il s’agirait de désigner des aires protégées en raison de leur importance écologique.


Agir plus en amont et en aval des conflits armés


Lacunaire au cœur du conflit armé, la protection de l’environnement pourrait révéler son efficacité dans le cadre d’une action en amont et en aval. En ce sens, la règle 44 du droit coutumier telle qu’identifiée par le CICR met en évidence l’importance du principe de précaution dans la conduite des hostilités. Fondamental en droit humanitaire, ce principe existe aussi dans le cadre du droit international de l’environnement, lequel offre d’autres outils qui, intégrés à l’action humanitaire, permettraient d’atténuer les conséquences des conflits sur l’environnement. Ainsi, le principe 17 de la Déclaration de Rio consacre l’étude d’impact sur les risques de dommages environnementaux. Ancré dans le cadre de l’action humanitaire, cet instrument viserait ainsi l’analyse, la gestion et l’atténuation des impacts environnementaux liés aux conflits armés. Conçu comme un outil de prévention, une évaluation pré-conflit paraît difficilement concevable au regard des obstacles liés à la communication des données de terrain entre Etats sous tension. A l’heure actuelle, il existe essentiellement des évaluations « post-conflit » menées par le PNUE. A l’issue de son évaluation environnementale post-conflit en Côte d’Ivoire de 2015, le PNUE a ainsi formulé des recommandations telles que « mettre de toute urgence un terme à la déforestation permanente ; reboiser à grande échelle, protéger et gérer adéquatement les zones à préserver en priorité ». L’enjeu de ces évaluations réside avant tout dans la reconstruction pour le maintien de la paix et la prévention de nouveaux conflits. Enfin, le processus actuel denvironnementalisation des opérations de maintien de la paix de l’ONU témoigne d’une prise en compte de la protection de l’environnement dans toute sa temporalité, de la planification de l’opération à son retrait.


Projets de principe sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés


Initié en 2011, le texte sur les projets de principe sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés de la Commission de droit international (CDI) a été provisoirement adopté le 8 juillet 2019. Fruit d’une codification renouvelée, le présent texte comporte 28 principes dont certains ne font que reprendre des instruments préexistants comme la Convention ENMOD (principe 19) ou l’idée d’une procédure de déclaration étatique des zones protégées (principes 4, 17 et 18). Ce texte fait aussi état d’avancées notables en consacrant le verdissement des opérations de paix (principe 7), l’échange et la mise à disposition de données pour la remise en état post-conflit du territoire (principe 24) voire même un devoir de diligence des sociétés (principe 10). Le déplacement des personnes étant un phénomène dévastateur lors des conflits, le texte appuie la prévention et l’atténuation des dommages à l’environnement dans les zones où ces personnes sont déplacées (principe 8). La discussion autour de l’adoption définitive du texte devrait intervenir à partir du 30 juin 2021. A l’instar d’autres projets de la CDI, les principes de ce texte pourraient acquérir une valeur contraignante et rendre ainsi effective la protection de l’environnement en temps de conflits armés (internationaux comme non-internationaux).


En somme, si l’espoir d’une « guerre propre » paraît vain, des avancées normatives peuvent être attendues afin de protéger au mieux l’environnement en période de conflits armés. A ce jour, une coopération entre Etats, organisations humanitaires voire même acteurs économiques privés paraît nécessaire.


Jane Pommier


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