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Photo du rédacteurNatacha Manen

LA QUALIFICATION DE GENOCIDE: DU PROGRES A L'INSTRUMENTALISATION ?

Il est ici question d’explorer l'origine et l'importance croissante du concept de génocide dans la reconnaissance des atrocités massives contre des groupes. Toutefois, il semble important de mettre en garde contre son utilisation détournée à des fins politiques et de souligner le risque de banalisation des allégations de génocide. C’est pourquoi, un appelle à maintenir l'intégrité du terme pour assurer une réponse adéquate aux atrocités et promouvoir une action internationale centrée sur la protection de l'humanité doit être lancée.


Le génocide aujourd'hui: de la connaissance à la prévention

Genèse

L’origine du terme “génocide” remonte aux années 1940, marquant une innovation légale cruciale dans la reconnaissance et la condamnation des atrocités massives contre des groupes ethniques. Cette notion émane de l'esprit de Raphael Lemkin, un juriste juif polonais, actif dans le domaine émergent du droit international. Face à l'insuffisance des lois existantes pour traiter les nouvelles formes de violence politique, Lemkin conçoit en 1933 une première tentative de réforme du droit de la guerre, peu après l'accession d'Adolf Hitler au pouvoir et ses premières mesures répressives contre les Juifs en Allemagne. Malheureusement, sa proposition est rejetée par la Société des Nations


Contraint à l'exil avec l'avancée nazie en Pologne, Lemkin trouve refuge aux États-Unis où il publie en 1944 "Axis Rule in Occupied Europe", introduisant le terme "génocide". Cette notion, forgée à partir du grec "genos" (clan ou race) et du latin "cide" (tuer), vise à combiner la destruction intentionnelle de groupes ethniques. Lemkin, profondément marqué par la perte de sa famille dans l'Holocauste, insiste pour que ce terme soit utilisé lors du procès de Nuremberg pour exposer l'ampleur des crimes nazis. Ainsi, le mot "génocide" émerge comme un outil crucial dans la lutte mondiale pour la prévention de telles atrocités, illustrant la quête collective de protection des générations futures face à l'horreur de la Shoah et d'autres génocides.


L'année décisive de 1946 marque un tournant majeur dans la reconnaissance du génocide comme crime sous l'égide du droit international. À la clôture du procès de Nuremberg, en décembre de cette année-là, l'Assemblée générale des Nations Unies consacre ce concept. Deux années plus tard, en 1948, est promulguée la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, définissant ce dernier comme une tentative intentionnelle d'élimination totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, qualifié de "fléau odieux". Depuis lors, la communauté internationale a officiellement interdit le génocide, posant ainsi les fondements d'une protection juridique essentielle contre de telles atrocités à l'échelle mondiale. 


Un concept instrumentalisé

Le génocide est aujourd'hui considéré comme le crime le plus horrifique, mais son usage semble parfois être dénaturé par certains pour détourner l'attention de leurs propres actes criminels. Comme l'ont souligné Matthew Kupfer et Thomas de Waal de la Fondation Carnegie pour la paix internationale en 2014, depuis les années 1940, l'accusation de génocide est parfois manipulée comme une "arme de rhétorique politique". Selon eux, le terme "génocide" s'est ironiquement "désamarré de sa formulation légale d'origine" pour devenir lui-même une arme de guerre, utilisée dans des contextes politiques pour des desseins divers. 


Allant plus loin, l’historien Bernard Bruneteau démontre, dans un de ses essais à la mémoire de Raphael Lemkin, que le terme même de génocide fait l’objet d’un usage décuplé depuis une trentaine d’années. La justification il la trouve dans le fait que les opinions publiques fonctionnent sur le registre de l’émotion, et qu’il est ainsi devenu plus facile et politiquement rentable de qualifier de “génocide” telle violence de masse contre un groupe défini. Cela souligne la nécessité d'une vigilance constante pour maintenir l'intégrité de la terminologie juridique et éviter tout usage abusif de concepts aussi cruciaux pour la justice et la prévention des atrocités.


Un risque de banalisation

Lorsque le terme "génocide" est utilisé à tort ou de manière abusive pour qualifier des événements qui ne correspondent pas à sa définition juridique précise, cela peut affaiblir sa gravité et sa légitimité. Cette banalisation peut entraîner une dilution du sens du terme et une désensibilisation du public aux véritables atrocités génocidaires, compromettant ainsi la capacité de la communauté internationale à répondre de manière adéquate à de telles situations. L'utilisation politique du concept de génocide peut également susciter des tensions et des conflits, en alimentant des narratives de victimisation et en exacerbant les divisions ethniques ou politiques. De plus, cela peut nuire à la crédibilité des institutions internationales chargées de la prévention et de la répression du génocide, sapant ainsi les efforts visant à promouvoir la responsabilité et la justice.


Aujourd’hui, ce risque prend tout son sens. Il est criant de voir le nombre d’ONG intervenant dans les instances internationales afin d’appeler la communauté internationale à prendre conscience qu’un génocide est entrain d’être perpétrer dans telle région du monde, sans pour autant qu’une réaction intervienne. A titre d’exemple, on peut parler des allégations de génocide à l’égard de la minorité Tamouls par les autorités Sri-Lankaises qui se poursuivraient suite à la guerre civile qui prit place de 1983 à 2009. 


Pour conclure, il s’agit de l’un des crimes les plus odieux que nous avons qualifié, et pourtant nous parvenons tout de même à le tourner de manière à servir nos propres intérêts, renforçant une communauté internationale stato-centrée malgré tout ce que l’on peut en dire. La question à se poser est: quand allons-nous réellement mettre l’humanité au centre des intérêts à protéger ? Une réflexion d’ampleur internationale semble nécessaire dès maintenant. 



Natacha Manen


Image © traumat psychologia

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