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  • Photo du rédacteurEva Roy

LA RESPONSABILITE DES ENTREPRISES DANS LA COMMISSION DU CRIME DE GENOCIDE: LA PLAINTE DES YAZIDIS CONTRE LAFARGE S.A.

Le 14 décembre 2023, 427 Yazidis américains ont déposé plainte contre la société Lafarge S.A. pour avoir apporté un soutien matériel et financier à DAESH, se rendant ainsi complice de la campagne de génocide commencée le 3 août 2014 par le groupe terroriste, et organisée contre la minorité Yazidis à Sinjar, en Irak.


Le 10 août 2014, des enfants Yazidis fuient la violence de l'Etat islamique en direction de la ville d'Eliebeh du gouvernorat d'Al-Hasakah, près de la frontière syrienne.

« Nous étions répertoriés. DAESH enregistrait nos noms, nos âges, d’où nous venions et si nous étions mariées ou non. Après ça, les combattants de DAESH venaient pour trier sur le volet les filles qui les suivraient. La plus jeune fille que je les ai vu prendre avait neuf ans. Une fille m’a dit que “s’ils tentaient de m’emmener, il valait mieux que je me suicide” ».

(Adolescente de 12 ans, détenue pendant 7 mois, vendue quatre fois)

 

Ce témoignage provient d’une résolution du Conseil des droits de l’Homme du 15 juin 2016 qui attirait l’attention du Conseil sur les crimes commis par DAESH contre les Yazidis. Dès la première phrase de la résolution, la qualification de génocide, de crime contre l’humanité et de crime de guerre apparaît. Le 3 août 2014, DAESH a attaqué le Sinjar sans que la population locale n’ait connaissance de la décision de capituler.


Aucun ordre d’évacuation n’a été donné, laissant ainsi les populations locales à la merci du groupe terroriste. Alors que certains tentaient de fuir, la situation s’est rapidement dégradée, annonçant une crise sanitaire sans précédent : des dizaines de milliers de Yazidis, hommes, femmes, enfants furent piégés sur le mont Sinjar par DAESH, sous une température de 50°c, sans accès à l’eau, la nourriture, ou aux soins. Malgré l’intervention du président Barack Obama et les forces de nombreux États comme l’Angleterre, la France ou encore l’Australie, beaucoup de Yazidis moururent sur le mont Sinjar. Ceux qui n’ont pu réussir à fuir les villages furent emprisonnés par DAESH entre le 3 août et le 5 août 2014. Les femmes et les hommes furent séparés, sauf exception des garçons n’ayant pas atteint la puberté.


« Les combattants de DAESH nous ont dits, “Les enfants sont jeunes ; ils sont comme des animaux, nous pouvons les dresser. Mais vous êtes des adultes. Nous ne pourrons pas changer votre esprit.” Ils nous ont dit ça dans le hall à Mosul ».

(Adolescente de 17 ans au moment de sa capture, retenue prisonnière pendant dix-sept mois, vendue 8 fois)

 

Les jeunes garçons âgés approximativement de 12 ans, et plus, étaient forcés de se convertir à l’Islam, auquel cas ils étaient exécutés. Les membres de la famille en guise de punition devaient souvent assister à ces exécutions. Les cadavres étaient laissés à la vue de tous. Les femmes et les petites filles âgées de neuf ans furent séparées en deux catégories : celles qui étaient mariées et non mariées, avant d’enregistrer leurs informations personnelles comme leur nom, leur âge, combien d’enfants et les prendre en photo. Elles étaient ensuite faites prisonnières pour les combattants de DAESH qui pouvaient les acheter, devenant ainsi leur propriété. Pour échapper à l’esclavage et aux viols quotidiens, certaines se griffaient pour tenter de se rendre indésirable tandis que d’autres se suicidaient.

 

Les plus jeunes enfants restés auprès de leur mère furent séparés de celle-ci une fois passé l’âge de sept ans pour les garçons qui furent envoyés dans les camps de DAESH pour combattre, et l’âge de neuf ans pour les petites filles où elles étaient vendues comme esclave. Les enfants étaient un moyen pour punir les mères de leur tentative de fuite. Ils tuaient leurs enfants avant de les frapper, ou de les violer.


La qualification de Génocide

Le 15 août 2014, quelques jours seulement après les attaques, le Conseil de sécurité adopte une résolution dans laquelle il condamne fermement : « (…) les exécutions massives et extrajudiciaires, notamment de soldats, la persécution de personnes et de groupes entiers en raison de leur religion ou de leur conviction, l’enlèvement de civils, le déplacement forcé des membres de groupes minoritaires, le meurtre et les mutilations d’enfants, l’enrôlement et l’emploi d’enfants, le viol et d’autres formes de violence sexuelle (…) ». Le Conseil par ailleurs souligne que des attaques « généralisées ou systématiques dirigées contre les populations civiles en raison de leur origine ethnique » ou encore de leur religion peut constituer un crime contre l’humanité. Dans sa résolution, le Conseil des droits de l’homme avait souligné que non seulement DAESH exigeait que les hommes se reconvertissent, mais ils détruisaient aussi les lieux de cultes Yazidis dès leur arrivée dans la région de Sinjar.

 

Plusieurs bases légales peuvent être soulevées. Dans le cadre de la plainte déposée le 14 décembre 2023 dans le district de New York par l’avocate Amal Clooney, le droit national est invoqué par les parties. Le Conseil des droits de l’homme quant à lui invoque l’article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide qui a été ratifiée par les Etats-Unis depuis le 25 novembre 1988. Il n’aurait pas été possible d’invoquer l’article 6 du Statut de Rome pour les parties demanderesses, puisque les Etats-Unis ne sont pas partie à la Cour pénale internationale.

 

Le génocide est constitué dès lors qu’un élément matériel et un élément psychologique sont réunis. L’élément matériel comprend cinq actes matériels spécifiques, dont le meurtre de membre du groupe ou l’atteinte grave à l’intégrité des membres du groupe ou le transfert forcé d’enfant d’un groupe vers un autre groupe. La notion de groupe ici s’entend comme un groupe national, ethnique, racial ou religieux. L’élément psychologique est l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe. Le Conseil des droits de l’Homme souligne que les Yazidis sont un groupe ethnoreligieux qui tombent dans le champ d’application de l’article 2 de la Convention de prévention et de répression du génocide. Cela est confirmé dans la plainte, puisque les Yazidis sont décrits comme une minorité ethnique et religieuse qui parle Kurde et qui n’est ni musulmane ni chrétienne. Au vu des faits précédemment énoncés par le Conseil des droits de l’homme, il ne fait aucun doute pour eux qu’au moins le premier acte matériel est rempli.

 

Concernant l’intention, DAESH a attaqué dans son journal officiel en anglais, Dabiq, les Yazidis en les traitant notamment des « adorateurs du diable » comme le relève la plainte. Dans ce même journal, DAESH prêchait la capture et le meurtre des Yazidis, en faisant une obligation pour le jugement dernier. Toutes ces informations ont conduit l’UNITAD, chargée par le Conseil de sécurité de récolter des preuves sur les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et de génocide commis par DAESH contre les Yazidis dès 2017. L’UNITAD conclus finalement en mai 2021 que les actes du groupe terroriste constituent un génocide.


Le soutien matériel et financier présumé de Lafarge S.A.

Alors que depuis 2017, Lafarge S.A. est accusé par des associations, telles que SHERPA et ECCHR, d’être complice de crime contre l’humanité, une seconde plainte est cette fois déposée en 2023 à New York pour complicité de génocide. Ce n’est pas la première fois que le financement de groupes terroristes est reproché à certaines entités. Par ailleurs, dès sa résolution du 15 août 2014, le Conseil de sécurité condamne fermement le financement du terrorisme. Les États ont une obligation positive car ils doivent : « veiller à ce qu’aucun fonds, autres avoirs financiers ou ressources économiques ne soient mis directement ou indirectement, par leurs nationaux ou par des personnes se trouvant sur leur territoire, à la disposition de l’État islamique d’Iraq et du Levant ».

 

La plainte relève six mécanismes ayant permis à Lafarge S.A. de financer DAESH avant, pendant et après les attaques commises contre les Yazidis dont : des paiements mensuels à taux fixe, des paiements de « bonus » basés sur la quantité de ciment vendue ou encore la vente et l’abandon de ciment et de matières premières à DAESH pour qu'il les utilise dans ses opérations, alors même que les hommes Yazidis capturés et convertis de force à l’Islam étaient forcés de travailler pour ce dernier afin de construire notamment des bâtiments comme le souligne le Conseil des droits de l’Homme.

 

Aujourd’hui, il est encore difficile de savoir si la plainte aboutira, mais force est de constater que la France et New York poursuivent Lafarge S.A. pour des faits de complicité pour crime contre l’humanité et génocide. Les entreprises sont de plus en plus pointées du doigt pour leurs actions vis-à-vis de ces crimes, que ce soit la plainte déposée contre BNP Paribas accusée d’avoir financé le génocide au Rwanda, ou encore la plainte déposée contre Lundin Energy pour complicité de crime de guerre au Soudan.


Eva Roy


Image © - VOA

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