top of page
  • Luca Raggiri-Mary

LA RESPONSABILITÉ DE L’OCCIDENT SUR LES RÉFUGIÉS CLIMATIQUES : UN ENCADREMENT JURIDIQUE EMBRYONNAIRE

Dernière mise à jour : 9 févr. 2023


Le CO2 n’a pas de frontière. Ce gaz carbonique, qu’il soit émis depuis l’hémisphère Nord ou Sud, accentue l’effet de serre sur l’ensemble de notre Planète bleue. À la différence près que les conséquences du changement climatique, elles, ne sont pas les mêmes partout. Ce sont les pays en développement (PED) seront le théâtre d’un phénomène de plus en plus considérable : le déplacement de populations en raison des conséquences concrètes du dérèglement climatique.


Des personnes déplacées par les inondations naviguent sur un radeau de fortune pour gagner la terre ferme dans le district de Jaffarabad, dans la province du Baloutchistan au Pakistan, le 8 septembre 2022

Si les pays développés sont aujourd’hui appelés ainsi, c’est en grande partie grâce à l’abondance énergétique à laquelle ils ont accès depuis plus de deux siècles. Il ne faut pas oublier que la première révolution industrielle occidentale n’a pu avoir lieu qu’en raison de l’usage à outrance du charbon, une source d’énergie qui ne cesse d’être davantage utilisée chaque année, et à laquelle sont venus s’ajouter le pétrole et le gaz, entre autres. Néanmoins, ce développement a eu un coût considérable sur le long terme et dont on ne connaît le nom que depuis quelques décennies : le réchauffement climatique anthropique. Celui-ci est dû, pour plus de 75 %, à la combustion d’énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz). Cette combustion a pour conséquence d’émettre de grandes quantités de gaz à effet de serre, tels que le dioxyde de carbone (CO2), premier responsable du changement climatique. La contribution de tous les États à ce dernier n’est évidemment pas identique. Pour s’en rendre compte, il faut se référer à la notion d’émissions historiques de CO2. D’après des chiffres de 2019, plus de la moitié de l’ensemble du dioxyde de carbone émis dans l’atmosphère depuis le début de l’anthropocène a été le fait de l’Amérique du Nord et de l’Europe (Russie et Turquie comprises). Un fossé énorme sépare donc les pays industrialisés des pays en développement. Surtout quand on ramène ces chiffres aux émissions par habitant.


Dans un rapport d’Oxfam publié en septembre 2022 et intitulé « La faim dans un monde qui se réchauffe », une liste de dix États très sensibles aux risques climatiques a été dressée. On retrouve notamment la Somalie, le Guatemala ou encore l’Afghanistan. Si ces pays sont cités, ce n’est pas dû au hasard, mais en raison de l’explosion de la faim que connaissent leurs habitants ces dernières années. Un drame humanitaire dû en grande partie au réchauffement climatique, qui, pour rappel, est un facteur aggravant le risque de la survenue d’évènements météorologiques extrêmes. À ce sujet, l’association Germanwatch a mis au point un indicateur permettant de déterminer quels sont les États souffrant le plus de ces catastrophes : l’Indice mondial des risques climatiques. Sans surprise, ce sont des PED qui arrivent en haut du classement, tels que le Mozambique, l’Inde ou le Niger. Bien qu’ils ne soient responsables que d’une infime minorité des émissions de gaz à effet de serre constitutives du changement climatique, les PED sont en première ligne face à celui-ci. Ce sont eux qui subissent le plus fortement la montée des eaux en cours - et surtout à venir – vont souffrir d’une chute de la production céréalière en raison de sécheresses à répétition de plus en plus violentes. En revanche, ce ne sont pas les responsables de ce fléau, et ce ne sont pas eux, non plus, qui sont le mieux armés pour y faire face. Les inondations, la désertification, le ravage de récoltes par des nuisibles – et bien d’autres phénomènes – sont des désastres dont l’intensité et la fréquence sont amplifiées par le réchauffement climatique. Les populations localement touchées n’ont alors pas beaucoup de choix à leur disposition. Certaines feront celui très difficile, mais parfois nécessaire, du déplacement. Par exemple, les inondations qui se sont déroulées cet été au Pakistan ont obligé des dizaines de millions de personnes à se déplacer. À titre de comparaison, lors du pic de la « crise migratoire » européenne en 2015, ce sont 1 million de personnes qui rejoignaient le Vieux continent. Le nombre de réfugiés climatiques pakistanais est davantage dans l’ordre de grandeur de la population française. Cette mise en perspective nous permet de prendre conscience de l’ampleur de la catastrophe.


Selon l’ONU, la majorité des déplacés climatiques le sont au sein d’un même État. Le rapport annuel de l’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC) datant de 2020 nous informe que les catastrophes climatiques constituent la première cause de mouvements de populations au sein d’un même État. Cela représente 30 millions de personnes sur la seule année 2020. La Banque mondiale estime elle que d’ici 2050, plus de 200 millions de personnes vont se trouver dans l’obligation de migrer au sein des frontières de leur pays. Cette estimation risque malheureusement de se révéler un peu basse, tout simplement car les scénarios climatiques se trouvent être eux-mêmes sous-estimés.


Néanmoins, ces déplacés internes ne rentrent pas dans la définition de réfugié, et ce pour deux raisons. Premièrement, selon l’article premier A (2) de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, les individus restant dans l’État dont ils sont les nationaux ne peuvent pas être considérés comme des réfugiés. Deuxièmement, s’agissant de ceux obligés de migrer à l’extérieur de l’État dont ils ont la nationalité, il s’avère qu’il n’existe aucun texte international permettant de leur attribuer le statut de réfugié climatique. En effet, cette même Convention n’intègre à aucun moment le critère climatique – ni même environnemental – comme motif d’octroi du statut de réfugié.


Il n’existe pas de statut de réfugié climatique, certes, mais les prémices de sa création semblent avoir été posées. En décembre 2018 fut adopté le Pacte mondial sur les réfugiés. Ce texte voté par l’Assemblée générale des Nations unies énonce dans son introduction que « le climat, la dégradation de l’environnement et les catastrophes naturelles interagissent de plus en plus avec les facteurs des déplacements de réfugiés ». Cette avancée est timide, le texte n’ayant pas de valeur juridique ; elle a toutefois le mérite d’exister. Quelques jours plus tard, cette même Assemblée adoptait le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, celui-ci reconnaissant que « les phénomènes météorologiques extrêmes et d’autres catastrophes liées au climat peuvent jouer dans l’incitation au déplacement et à la migration ». Le 27 août 2019, la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe rendait un rapport rappelant la nécessité de protéger les « réfugiés climatiques », même si ce statut - et la protection en découlant - ne peut toujours pas leur être attribué. Le projet de résolution contenu dans ce rapport aboutira à la résolution 2307, adoptée dans les mêmes termes par l’Assemblée parlementaire quelques mois plus tard. Il est indéniable que les initiatives venant soutenir les déplacés pour causes climatiques sont nombreuses, mais les résultats concrets restent eux plus que limités. C’est ce que rappelle Christel Cournil dans cet article au nom évocateur : Les déplacés climatiques, les oubliés de la solidarité internationale et européenne. De la gouvernance au contentieux, publié récemment dans La Revue des Droits de l’Homme. Toutefois, quelques lueurs d’espoir apparaissent ponctuellement du côté de la jurisprudence. Le 18 décembre 2020, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rendu une décision courageuse en annulant l’obligation de quitter le territoire français adressée à un Bangladais souffrant d’une pathologie respiratoire. Le juge a considéré qu’un retour au Bangladesh aggraverait son état de santé.


Début novembre, lors de la COP27 qui se déroulait en Égypte, il a été annoncé que jusqu’en 2030, les pays en développement vont avoir besoin de de 2 400 milliards de dollars par an pour lutter contre les effets du changement climatique. Une aide financière extérieure sera évidemment nécessaire. Bien que ce chiffre donne le vertige – il équivaut au PIB annuel français - les pays occidentaux devront mettre la main à la poche pour permettre aux PED d’absorber les chocs qu’ils vont continuer de subir en raison du réchauffement climatique. Ils en ont la responsabilité.


Luca Raggiri-Mary


Image © - AFP/Fida HUSSAIN

155 vues0 commentaire

Comments


bottom of page