Depuis le 4 novembre dernier, la coalition internationale intervenant sous la direction de l’Arabie Saoudite impose un blocus empêchant la quasi-totalité de l’aide humanitaire internationale de parvenir au Yémen. Ce blocus a été mis en place en réponse au lancement d’un missile sur le territoire saoudien. Seul un avion affrété par l’Unicef a pu atterrir le 25 novembre à Sanaa, capitale du pays, afin de distribuer 1,9 millions de vaccins aux populations d’enfants touchés par la diphtérie. Excepté cet envoi ayant réussi à parvenir sur le sol yéménite, aucune aide ne peut aujourd’hui arriver dans le pays, et ce malgré l’appel à lever le blocus émisle 8 décembre par le président américain Donald Trump. Si ce blocus empêche désormais toute réponse qui aurait pu être apportée à la catastrophe humanitaire au Yémen, cette dernière n’est cependant pas récente. Le conflit opposant les forces pro-gouvernementales dirigées par le président Abd Rabbo Mansour Hadi aux forces rebelles houthistes, soutenues jusqu’à récemment par l’ancien président Ali Abdallah Saleh, a en effet débuté en 2011, à la suite du mouvement des « printemps arabes ». D’une rare violence, les affrontements sont à l’origine de ce qui est considéré par l’Organisation des Nations unies (ONU) comme la pire crise humanitaire actuellement en cours. On estime qu’entre 15 et 20 millions de personnes ont besoin d’assistance alimentaire et que jusqu’à plusieurs millions d’autres pourraient souffrir d’épidémies de choléra et d’autres maladies. En avril dernier, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, déclarait qu’un « enfant de cinq ans [mourait] au Yémen toutes les dix minutes de causes évitables ». Parmi les personnes les plus vulnérables figurent également les populations déplacées, dont on estime qu’elles sont plusieurs millions. Sur le terrain, la réponse à cette crise est, par nécessité, extrêmement faible. De nombreuses organisations, comme par exemple Médecins du monde (MDM) ou Médecins sans frontières (MSF), présentes sur le terrain au début du conflit, ont évacué la totalité de leurs travailleurs à la fin de l’été 2016 en raison de l’insécurité sur place. Plusieurs hôpitaux dans lesquels intervenait MSF avaient ainsi été bombardé, faisant de nombreuses victimes parmi les équipes de l’organisation. Ces bombardements sont en majeure partie imputés à la coalition internationale dirigée par l’Arabie Saoudite. La fuite à Ryad du président Abd Rabbo Mansour Hadi face à la progression des troupes houthistes en mars 2015 a en effet déclenché l’intervention de cette coalition regroupant le Maroc, le Soudan, l’Égypte, la Jordanie, le Koweït, le Bahreïn, le Qatar, les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite et soutenue par les États-Unis. Ces pays ont depuis menés de nombreux bombardements aériens dirigés contre les troupes houthistes. Si l’intervention de la coalition est légale au regard du droit international, son déroulement soulève cependant d’importantes critiques : en effet, outre les équipes des organisations internationales, de très nombreux civils ont été touchés par les bombardements. Un raid mené en octobre 2016 sur une cérémonie se déroulant dans l’un des fiefs rebelles avait ainsi fait plus de 140 morts parmi la population civile. L’Arabie Saoudite avait alors promis de prendre des mesures afin de ne plus répéter cela, mais plusieurs bombardements meurtriers ont pourtant été recensés depuis. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme estime que, « au 10 octobre [2016], 4 125 civils avaient été tués et 6 711 blessés, la plupart par des frappes aériennes de la coalition ». Les rebelles houthistes sont cependant eux-aussi accusés d’avoir mené des attaques ayant touché les populations civiles. Ils auraient au total tué 475 civils et en auraient blessé 1 121 entre le 1er juillet 2015 et le 30 juin 2016. Il leur est également reproché d’avoir détourné une part importante du pétrole destiné aux civils avant la mise en place du blocus le 6 novembre dernier, ce qui aurait grandement contribué à l’effondrement du système de santé. De son côté, Ali Abdallah Saleh avait rompu son alliance avec les forces houthistes le 2 décembre dernier et avait commencé à se rapprocher des pays de la coalition afin de « travailler avec eux de manière constructive ». Si ce revirement aurait potentiellement pu permettre de rapprocher la fin du conflit et de négocier la mise en place d’une réponse internationale à la catastrophe humanitaire en cours, l’ancien président a cependant été tué deux jours plus tard lors d’une embuscade tendue par ses anciens alliés houthistes. Cette mort vient donc encore réduire les chances, déjà extrêmement minces, de mettre rapidement un terme au conflit ou d’obtenir un arrêt temporaire des hostilités qui permettrait de traiter efficacement l’urgence humanitaire sur place. Pour April Longley Alley, spécialiste du pays et directrice de projet à l’International Crisis Group, il est désormais nécessaire que le Conseil de sécurité des Nations Unies vote une résolution afin d’appeler de toute urgence à un cessez-le-feu et à des négociations entre les belligérants. Selon elle, il s’agit de « la seule manière d’éviter la famine, la propagation du choléra et une dévastation économique toujours plus avancée ». Deux des membres permanents du Conseil de sécurité ont cependant des intérêts opposés dans ce conflit : les États-Unis soutiennent la coalition menée par l’Arabie Saoudite tandis que la Russie est un allié important de l’Iran, qui a quant à lui apporté son soutien à la rébellion houthiste. Reste donc à savoir si le Conseil saura dépasser ses oppositions internes et ne pas se laisser bloquer par le jeu des alliances.
Léo Lefeuvre
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