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  • Emma Bougueffa

LE BASSIN DU LAC TCHAD : UNE DOUBLE CRISE SÉCURITAIRE ET ENVIRONNEMENTALE

Le Bassin du Lac Tchad a longtemps été perçu sur la scène internationale comme une région en proie à une crise essentiellement climatique. Cependant, depuis ces dernières années, ce territoire est marqué par une crise sécuritaire sans précédent. En effet, le Bassin du Lac Tchad s’étend sur quatre États : le Cameroun, le Nigeria, le Niger et le Tchad. Il est empreint à de fortes interférences environnementales ainsi qu’à des flux migratoires et économiques très denses. La crise survenue au Nigeria en 2013 et les actes perpétrés par l’organisation terroriste Boko Haram en 2015 ont rendu la situation encore plus difficile. La région apparait maintenant comme l’une des plus vulnérables d’Afrique et du monde. De ce fait, les États du bassin du Lac Tchad doivent faire face à de nombreux enjeux à la fois sécuritaires et environnementaux.


Cet environnement aux multiples crises alimente une situation humanitaire inquiétante et provoque le déplacement forcé des populations qui tentent d’échapper aux conflits armés, aux catastrophes naturelles mais aussi à la famine. Selon l’OIM, plus de 360 000 personnes sont actuellement déplacées en raisons des inondations et de l’insécurité dans la province tchadienne du lac, soit plus de la moitié de la population de cette région. Parmi elle, 36% des personnes se sont déplacées à la suite d’inondations et 64% en raison de l’aggravation de la situation sécuritaire.


Une crise sécuritaire provoquée par les attaques de Boko Haram


Le groupe terroriste Boko Haram a particulièrement troublé la région du Lac Tchad. Ce groupe armé est apparu dans les années 2000 et a plongé le bassin du Lac Tchad dans une crise sécuritaire, provoquant le déplacement de centaine de milliers de personnes. A l’origine, ce groupe pratiquait un islam radical, qui les a conduits en 2009 à mener des attaques terroristes puis à se rallier à Daesh en 2015. En conflit avec l’État nigérian, le groupe armé a également mené une campagne d’attaques et d’attentats de plus en plus intense dans les villes et les villages. Depuis 2014, Boko Haram a mené près de 330 raids et bombardements qui ont fait au moins 4 000 victimes. Les exactions commises par ce groupe terroriste ont profondément dégradé la stabilité de la région. En effet, en plus des attaques menées, ils s’en prennent directement à la population en assassinant ceux qu'ils soupçonnent avoir un lien avec le gouvernement ou l’armée, ou encore en enlevant les femmes et les jeunes filles non mariées, ainsi qu’en détruisant les écoles et en exécutant les enseignants. En conséquence, on assiste à de nombreux déplacements des populations vulnérables qui tentent de fuir cette crise sécuritaire.


Une crise environnementale provoquée par la dégradation climatique de la région du Lac Tchad


Au cours de ces dernières décennies, les populations ont dû s’adapter aux nombreux changements climatiques qui se sont succédés tout en exploitant les ressources naturelles du Lac Tchad. La phase humide du Moyen Lac Tchad dans les années 1950 et 1960 a permis une abondance en poissons et des ressources en eau. Puis la sécheresse qu’a connu la région durant les années 1970 et 1980 et la phase intermédiaire du Petit Lac Tchad régulier depuis le milieu des années 1990 a permis l’exploitation des ressources de la décrue. Cependant, cette exploitation du Lac s’est accompagnée d’une montée progressive des tensions en raison de l’augmentation des pressions concernant l’exploitation des ressources naturelles, qui se faisaient de plus en plus rares, ainsi que du dysfonctionnement et de la dégradation des États du Bassin.

En effet, l’utilisation accrue des eaux et des rivières du Lac Tchad et le déficit de la pluviométrie a considérablement réduit sa superficie ces quatre dernières décennies. En moins de trente ans, l’étendue du Lac Tchad est passée de 25 000 km2 à 2 000 km2. Toutefois, plus 25 000 personnes vivent encore autour du Bassin, sur une terre aride autrefois recouverte d’eau et cultivable. Selon certains chercheurs, les causes seraient liées aux graves périodes de sécheresse et à l’importante demande en eau pour l’agriculture. Mais depuis 2003, les pays membres de la Commission du Bassin du Lac Tchad ont lancé un projet de restauration du Lac et sollicitent une aide financière de la communauté internationale pour sauvegarder ce dernier. Ce projet consiste dans le transfert des eaux de l’Oubangui, un fleuve régional, vers le bassin du Lac Tchad à travers un canal navigable. De plus, la Banque mondiale et le Fonds pour l’Environnement Mondial financent déjà des projets de renouvellement de l’écosystème. L’assèchement progressif du Lac Tchad et son impact sur les écosystèmes de la région constituent une menace qui risque d’amplifier les vulnérabilités socio-économiques auxquelles les populations font face, particulièrement dans cet espace où l’économie est basée sur l’agriculture, l’élevage et la pêche.

En 2020, la région du Lac Tchad a été victime de fortes inondations soudaines et a enregistré les précipitations les plus abondantes depuis près de trente ans. Le chef du bureau de l’OIM, Mouftah Mohamed, explique que c’est la raison pour laquelle « nous assistons à l’inondation soudaine de villages et de champs, ce qui provoque le déplacement de milliers de personnes ». En effet, les dégâts matériels à N’Djamena, la capitale du Tchad, ont poussé, selon l’OIM, près de 11 500 personnes à quitter leur domicile depuis la fin octobre.

Néanmoins, la décrue a permis l’émergence de nouvelles terres et la multiplication de nouvelles zones de cultures sur les bords du Lac Tchad. Elle a, par ailleurs, entraîné l’apparition de nombreuses îles, ce qui a brouillé les délimitations des frontières.


Des rivalités entre les États pour l’accès et le contrôle des nouvelles ressources


La région du Lac Tchad s’est transformée en zone de tensions en raison de la rivalité pour l’accès et le contrôle des nouvelles ressources en eau et en terre. Celle-ci opposait notamment les pêcheurs des pays riverains avec les armées respectives des différents États frontaliers. Les tensions communautaires se sont également multipliées entre agriculteurs et éleveurs, dont les parcours de transhumances sont liés aux zones de décrue. Le déplacement massif des populations vulnérables à la recherche de conditions de vie meilleures est directement lié à ces différents éléments. La coopération entre les États autour du Lac Tchad s’est néanmoins améliorée mais les enjeux de gestion de l’eau pourraient raviver des tensions.


Une insécurité alimentaire aggravée par la pandémie Covid-19

Le coronavirus a touché près de 52 pays africains dont 23 se trouvent en Afrique de l’Ouest et du centre. Ces régions sont d’autant plus vulnérables que l’accès aux soins de première nécessité n’est pas garanti. Elles sont également fragilisées par les émeutes fréquentes et la menace terroriste dans un contexte de changement climatique, de dégradation des terres et de rareté de l’eau. De plus, dans certaines régions, les centres de santé sont fermés en raison des conflits armés, privant ainsi des milliers de personnes de services de base adéquats.

Les mesures prises par les gouvernements pour empêcher la propagation du virus dans les régions ont entrainé le blocage de plus de 10 000 personnes déplacées aux frontières ou dans des centres de transit de la région. Cependant, la prévention et la protection demeurent essentielles pour éviter l’apparition et la propagation du virus dans ces lieux. Toutefois, les mesures préventives recommandées restent un véritable défi dans les zones surpeuplées où l’accès à l’eau, notamment, est limité.

En outre, les effets socio-économiques concomitants des mesures prises par les différents gouvernements frontaliers pour empêcher la propagation du virus, pourraient engendre un retour à la migration dans la région, la fermeture des frontières ayant déjà impacté considérablement l’économie des communautés.

La montée en puissance d’une animosité parmi les populations locales qui perçoivent les étrangers et les minorités comme les responsables de la propagation de la maladie est également à surveiller. Les mesures prisent par les gouvernements telles que la fermeture des marchés, le confinement ou le couvre-feu ont également un impact supplémentaire sur les moyens de substances et l’accès à la nourriture, aggravant une insécurité alimentaire naissante.


Emma Bougueffa

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