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Meriam Ghali

LE LIBAN : LA SUPERPOSITION DES CRISES DANS UN ÉTAT DEVENU DÉFAILLANT

« Pas d’enfant avant que la vie que ne revienne à la normale », témoigne une jeune libanaise, estimant qu’avoir un enfant aujourd’hui au Liban est devenu « une prise de risque, une forme d’imprudence ». Ce sentiment est partagé par de nombreuses Libanaises, lourdement impactées par la crise qui frappe leur pays depuis plus de trois ans, au point de remettre à plus tard leur projet d’avoir des enfants. Ce sentiment provoque une baisse significative de la natalité et une hausse des IVG. Depuis 2019, le Liban traverse des crises multiples qui se superposent. Selon un rapport publié par la Banque mondiale, le pays traverse l’une des pires crises socio-économiques dans l’histoire du monde depuis le milieu du XIXe siècle.


Plus de trois ans après, le Liban ne voit toujours pas le bout du tunnel et les conditions de vie des Libanais ne cessent de se dégrader. Selon un rapport du Programme alimentaire des Nations Unies (PAM), l’augmentation des prix alimentaires est une grande source d’inquiétude pour les Libanais. Ces derniers sont contraints de changer radicalement leur consommation alimentaire, voire de réduire leurs dépenses en matière de soins de santé et de l’éducation. Selon A. Alwardat, représentant du PAM au Liban, « à l’un de nos plus grands points de distribution, une mère m’a dit que pour la toute première fois, elle n’avait pas pu inscrire ses trois enfants à l’école cette année ». Cette augmentation est à hauteur de 1700 % depuis octobre 2019, révélateur de la chute du pouvoir d’achat et de la livre libanaise. Cette crise est de grande envergure puisque plus de la moitié de la population libanaise dépend désormais de l’aide alimentaire internationale.


Alors que le Liban s’enlise dans le marasme économique et politique, le pays est confronté à des problèmes sur le plan migratoire. En effet, coopératif au début de la guerre en Syrie, le Liban est confronté à l’afflux massif de réfugiés syriens. Environ 840 000 réfugiés syriens sont actuellement enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations unies (HCR) au Liban, un chiffre qui atteindrait en réalité près de 1,2 million, soit 25% de la population. Cette présence de réfugiés est un bouleversement pour l’équilibre démographique, sur la vie économique du pays, ou encore cette fourniture des services publics.


« 40% de la population résidente au Liban se trouverait dans un état d’extrême pauvreté, avec 82% de personnes vivant sous le seuil de pauvreté »


Le retour en force du choléra dès octobre, l’augmentation des braquages de banque, l’inflation galopante, ou encore la généralisation de la pauvreté pose question du fonctionnement des institutions étatiques. Selon Olivier De Schutter, un expert des Nations Unies, le Liban est considéré comme un « État défaillant ». Son constat serait fondé sur la responsabilité des dirigeants politiques et financiers dans l’appauvrissement continu de la population libanaise. Selon un rapport récent rendu par les autorités étatiques, 40% de la population résidente au Liban se trouverait dans un état d’extrême pauvreté, avec 82% de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, dans un contexte de chute de la livre libanaise. Selon l’expert de l’ONU, ce qui était l’un des pays les plus prospère de la région est devenu un Etat défaillant notamment du fait que la richesse nationale ait été « gaspillé[e] au cours de décennies de mauvaise gestion et d’investissements mal placés par le gouvernement et la Banque Centrale », ajoutant également que « [l]es services publics, y compris l'électricité, l'éducation et les soins de santé, ont été vidés, avec un État qui subventionne fortement la fourniture privée de ces services. Plus d'un quart de toutes les dépenses publiques d'éducation vont au secteur privé, ce qui exacerbe les inégalités, ne conduit pas à une meilleure éducation et conduit à des taux d'abandon plus élevés chez les enfants des ménages pauvres ».


« [l]es services publics, y compris l'électricité, l'éducation et les soins de santé, ont été vidés, avec un État qui subventionne fortement la fourniture privée de ces services. »


Un constat alarmant qui a été renforcé notamment avec la reprise du choléra en novembre 2022 dans un Liban qui est déjà en plein marasme économique. Un total de plus de 20 000 cas potentiels ont été comptabilisés en novembre dernier. Cette reprise de l’épidémie de choléra est la conséquence du manque de gestion des stations d’eau potables. Cette épidémie est une illustration des défaillances de l’État. Selon l’Unicef, 70% de la population libanaise vit une grave pénurie d’eau, dans un pays connu pour être l’un des pays les plus riches en eau de la région. Cette pénurie d’eau s’explique en grande partie par un problème majeur qui est le manque un manque de carburant. En effet, l’État n’a pas les moyens de fournir le carburant nécessaire aux offices des eaux, permettant d’assurer l’approvisionnement des eaux. Ce manque de moyens a provoqué une hausse du prix de l’eau en bouteille, celui-ci ayant quintuplé. De plus, les Libanais sont contraints d’augmenter significativement leurs dépenses mensuelles en eau, au détriment notamment des soins médicaux ou de la scolarité des enfants. La pénurie ayant lourdement confrontée le Liban en 2021 a aussi eu des conséquences sur la vie des hôpitaux et des supermarchés : « Des hôpitaux, dont les plus importants de Beyrouth, ont mis en garde contre une fermeture partielle de leurs services mettant de nombreux patients en danger. Il y a aussi une grave pénurie de médicaments que ce soit dans les hôpitaux ou dans les pharmacies. », témoigne Bujar Hoxha, directeur de l’ONG Care au Liban, en ajoutant ensuite que « Le Liban est devenu le royaume de l’absence, nous manquons de tout. ».

Meriam Ghali


Image © - AFP/ Joseph Eid

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