« Il est incroyablement opportun d’unir nos efforts maintenant et de protéger la sécurité alimentaire et nutritionnelle et les moyens de subsistance des Mozambicains - hommes, femmes, adolescents et enfants - touchés par les attaques armées, le cyclone Kenneth et la pandémie Covid-19 », a déclaré la représentante du Programme alimentaire mondial (PAM) au Mozambique, Antonella D’Aprile. Cette ancienne colonie portugaise a acquis son indépendance le 25 juin 1975. Le pays a été en proie pendant de nombreuses années à des guerres politiques, qui opposaient le parti marxiste, le Front de libération du Mozambique (FRELIMO), au parti soutenu par le régime d’apartheid sud-africain, la Résistance nationale du Mozambique (RENAMO). Depuis les accords de paix de Rome du 4 octobre 1992, le pays a retrouvé une stabilité politique. Toutefois le Mozambique a dû faire face ces dernières années à plusieurs difficultés, comme l’ouragan Kenneth de 2019, qui a détruit une bonne partie du pays. De plus, aujourd’hui et ce depuis 2017, c’est le nord du pays qui est confronté à de nouvelles formes de violences. En effet, l'État islamique a investi la région et y commet des exactions dans cette zone du territoire déjà affectée à la suite d’une catastrophe naturelle. La situation humanitaire sur place devient de plus en plus critique.
La région du Cabo Delgado : un paradis artificiel
La découverte, au début des années 2010, de ressources de gaz naturel a fait de la région du Cabo Delgado l’avenir et l’espoir du pays. Cette région, située à l'extrême nord du territoire, est prisée par les touristes et a vu naître depuis ces dix dernières années de plus en plus de complexes luxueux. Beaucoup de pays ont investi et des compagnies d'extraction, telle que l’entreprise française Total, se sont installées dans la région. La valeur du gisement est estimée à plus de 50 milliards de dollars, une aubaine pour un pays en développement que l’on perçoit déjà comme le nouveau Qatar du sud de l’Afrique.
Néanmoins, la population de la région, principalement musulmane, est la plus pauvre du pays. Le 4 octobre 2017, la ville de Mocimboa da Praia a été victime d’une attaque d'un groupe affilié à l’État islamique, la première d’une longue série. En plus de cette violence à laquelle la population doit faire face, en 2019, un cyclone s’est abattu sur la région causant des dégâts considérables et créant une véritable crise humanitaire.
Les conséquences humanitaires du cyclone Kenneth
Le 25 avril 2019, alors que la région du Cabo Delgado est déjà en proie à de multiples violences causées par des groupes terroristes, l’un des cyclones les plus violents que l’Afrique ait connu s’est abattu sur la région. Des vents allant jusqu’à 300 km/h ont causé la destruction de plus de 35 000 habitations et ont anéanti plus de 30 000 hectares de culture. La destruction de 80% des champs agricoles a créé une véritable crise humanitaire qui a engendré un manque de nourriture et une famine. Des milliers de personnes se sont retrouvées sans logements et d'autres ont été privées d'électricité. C’est le cas, notamment, de certains bureaux administratifs mais aussi d'hôpitaux. Ce cyclone a particulièrement renforcé la précarité des habitants qui font face à une double menace : le terrorisme et les catastrophes naturelles.
Un pays confronté à une menace terroriste grandissante
La région du Cabo Delgado est devenue un véritable théâtre de guerre, car depuis 2017, les attaques se multiplient. Les auteurs de ces attaques sont des insurgés djihadistes qui se font appeler “d’Ahlu Sunnah Wal Jammah” (ASWJ). Lors de leur première attaque dans la ville de Mocimboa da Praia en 2017 ils n'étaient qu’une dizaine. En 2020, ils sont des milliers. Les agressions sont de plus en plus fréquentes et virulentes puisqu'ils possèdent désormais des armes lourdes. Aujourd'hui, les terroristes se sont installés et contrôlent la région.
Mais pourquoi choisir la région du Cabo Delgado ? Tout d’abord, il faut savoir que le groupe terroriste présent dans le pays est le résultat d’une fusion de deux unités terroristes : le groupe djihadiste africain composé d’islamistes somaliens, le Sunnah Wal Jamaah, et l’Iscap, un autre regroupement djihadiste présent en Tanzanie. En 2017, ils ont été chassés de la Tanzanie et sont venus s’installer dans la province du Cabo Delgado, avec comme objectif de faire appliquer la loi islamique, la Charia. La pauvreté de la population du Cabo Delgado, ainsi que la prédominance de la religion musulmane, ont favorisé l’implantation terroriste dans cette région qui se sent exclue par le reste du pays qui est, lui, à majorité chrétienne. La présence de ces rebelles dans la région a eu d’importantes conséquences sur les population puisque plus de 350 000 personnes ont fui leurs villages et 2000 sont mortes en raison des attaques répétées depuis 3 ans.
La population va trouver refuge dans les districts et villages voisins, chez des proches ou des maisons d’accueil volontaires. Mais les places se font rares et les déplacés sont de plus en plus nombreux. Leurs conditions de survie sont très précaires, l’accès à l’eau potable et la nourriture devenant une urgence absolue. Plusieurs ONG sont déjà sur place, installées depuis le passage du cyclone Kenneth. Elles aident les populations à trouver des refuges mais fournissent également une aide alimentaire.
L’aide fournie par ces ONG et associations connaît néanmoins des limites. Tout d’abord, l'accès sur le terrain n’est pas toujours évident en raison des violences et de l’insécurité. De plus, les déplacés sont de plus en plus nombreux, rendant la gestion de la situation complexe pour les associations. Il faudrait également une aide financière plus importante au vu de la crise humanitaire constatée, qui s’aggrave. Le gouvernement, quant à lui, a eu une réponse insuffisante et tardive face aux personnes déplacées et victimes de ces violences.
L’action tardive du gouvernement face à la situation dans le Cabo Delgado Lors des premières attaques en 2017, l’État a fermé les yeux sur ces violences qui se propageaient dans la région du Cabo Delgado, les considérant comme des attaques criminelles et non une menace terroriste. L’intention de l’État a préféré garder secret ces violences et le déplacement des populations, au risque de nuire à sa réputation et à son essor économique. La présence de groupes terroristes affiliés à l’État islamique dans la province d’extraction gazière aurait pu faire fuir les investisseurs, entrainant une crise économique dans le pays, qui, depuis la découverte du gaz, en 2010, a hypothéqué ses zones d'extraction.
Cependant entre 2017 et 2020, les violences se sont accentuées et les affrontements multipliés. Le gouvernement mozambicain a été obligé de réagir notamment après l’attaque du 12 août 2020 du port de Mocimboa en raison de la gravité de la situation et des risques économiques que cela pouvait engendrer. L’État a alors fait appel à des sociétés privées de sécurité comme, par exemple, la compagnie Wagner, qui emploie des mercenaires russes. L’armée mozambicaine est elle aussi présente dans la région ainsi que celle de la Tanzanie, qui fait également face à la présence djihadiste sur son territoire. Le Mozambique a donc, en avril 2020, reconnue officiellement la présence terroriste sur son territoire. Néanmoins les moyens utilisés par le pays n’ont pas permis le retrait des rebelles et ont seulement limité leur expansion sur l’ensemble du territoire. Aujourd’hui le président du Mozambique souhaite intensifier la coopération internationale pour combattre le terrorisme.
L’augmentation de la violence dans la région du Cabo Delgado semble toujours d’actualité et le pays doit encore lutter contre l’insécurité croissante. L’État doit également intervenir auprès de la population pour mettre en place des infrastructures afin d'accueillir à la fois les déplacés qui fuient ces violences, et les associations et ONG qui leur viennent en aide, la pandémie mondiale Covid-19 ayant rendu plus difficile l’accès aux soins notamment. Le Mozambique se retrouve au cœur de multiples crises, en particulier dans la région du Cabo Delgado, où le gouvernement peine à réagir et à proposer une solution durable pour la population.
Noémie Grisolle
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